[EXPOSITION] SILO – Myriam Mihindou /// Transpalette – Bourges

Myriam Mihindou

SILO

Transpalette – Centre d’art contemporain de Bourges

2 juillet – 19 septembre 2021

Commissariat : Julie Crenn

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L’imaginaire de la totalité est inépuisable. Et toujours et sous toutes formes, entièrement légitime, c’est-à-dire libre de toute légitimité.

Édouard Glissant – Poétique de la Relation (1990)

Au départ, un silo est une cavité creusée dans le sol. A même la terre, les récoltes sont entreposées puis recouvertes pour leur conservation. La terre épaisse protège du froid et des assaillants. Le silo constitue une réserve. Il protège et préserve les grains de l’été pour l’hiver. Il fait partie du quotidien, sa présence est aussi essentielle qu’invisible. En adéquation avec la pensée à la fois métaphorique et politique de Myriam Mihindou (née en 1964, à Libreville, Gabon. Artiste nomade, elle vit et travaille dans le Tout-Monde), le silo est synonyme du Grand Corps, le corps collectif, celui qui rassemble les vivants et les morts, les humain.es et non humain.es. Myriam Mihindou, qui fait partie intégrante du Grand Corps, nous en livre ses formes, ses langages, ses mémoires, ses luttes, ses déplacements et ses collaborations. Dans une relation poétique et sensible aux mots, aux objets, aux matériaux, aux pratiques et aux gestes, une corrélation entre le silo et la mémoire est établie. Une mémoire transhistorique et transculturelle ; qui, par extension, est celle du Grand Corps, la matrice du vivant conjugué au passé, au présent et au futur. Le silo. Le fait de planter, de récolter, de conserver… Par la communauté, pour la communauté. Anticiper, prévoir et gérer les aléas de la vie, affiner la science de la préservation des grains. Tout cela constitue le silo : une écologie de la pensée pour le grand corps qu’il est bon d’oxygéner de toutes les façons possibles, pour toutes les fonctions possibles. Comprendre le silo c’est considérer le grand tout comme une valeur, du collectif à l’intime, de l’intime au collectif comme construction de la pensée.[1] 

Le temps de l’exposition, le Transpalette devient le silo poreux d’une œuvre foisonnante dont il paraît urgent de présenter la pluralité et la densité. Le centre d’art est ainsi envisagé comme un silo, un réservoir dans lequel sont conservés les grains, un ensemble d’œuvres réalisé entre 2000 et 2020. Vingt années de créations protéiformes (sculpture, installation, vidéo, performance, photographie) sont réunies pour comprendre une démarche plastique inscrite dans une recherche profonde et complexe. Myriam Mihindou place le corps – le sien, les nôtres, les leurs – au cœur d’une pratique artistique curative. De la performance à la sculpture en passant par le dessin ou la vidéo, le corps est la matrice par laquelle les connexions et les transmissions sont activées. La performance, comprise comme une pratique où le corps est le vecteur d’une expérience sensible, est le fil conducteur d’une réflexion cathartique. Pensée de manière rituelle, elle devient le lieu d’une mise à l’épreuve du corps pour transcender les violences et les blessures. L’artiste marche sur du verre, recouvre sa peau d’aiguilles, s’enveloppe de coton, manipule la terre, la cire, le sel, le cuivre ou encore la glace. Elle opère des sorties de corps pour incarner les maux qu’elle tente d’apaiser ou de guérir. Artiste chamane, Myriam Mihindou est à l’écoute. Elle accueille et elle reçoit. Elle collabore avec la mémoire des corps et avec l’ensemble du vivant pour recueillir les récits qui lui parviennent et qui la constituent.

MIHINDOU Myriam, Patère, 2015 – Technique mixte sur papier – 70 x 100 cm – Courtesy de l’artiste et Galerie Maïa Muller

Chaque œuvre résulte d’un déplacement, d’un contexte spécifique, d’un lieu. À partir de la rencontre avec un lieu, ses habitant.es, humain.es et non humain.es, Myriam Mihindou entre en relation avec une histoire, une expérience spécifique. Elle collabore avec ce qui lui parvient pour en fabriquer une traduction. Lors du troisième Forum multiculturel d’art contemporain AfricAméricA en 2004 à Haïti, elle photographie un groupe d’acteurs et d’actrices dans un moment de transe (Dechoucaj’). Les images en noir et blanc sont passées au négatif – l’effet est saisissant, violent et magique, nous assistons à un moment à la fois intime et collectif, celui du relâchement de corps déracinés.[2] « Les artères essoufflées de la résistance demandent grâce. Les chimères de la mémoire ravinée exigent une pause qu’ils n’osent formuler de peur de perdre leur propre perte. […] À bas la déforestation de la poitrine haïtienne. »[3] L’artiste revient quelques années plus tard en Haïti pour venir en aide aux artistes et poètes suite au tremblement de terre en 2011. Elle est sidérée par la transformation physique de Port-au-Prince, par l’extrême misère. Elle décide de rechercher une statue coloniale rencontrée en 2006 et dont elle avait un vague souvenir. Un long périple à moto à travers les différents quartiers de la ville l’amène finalement à reconnaître la statue. Au même moment, elle rencontre un homme – un zombie qui lui parle. Elle le filme parce qu’il s’adresse à elle. Plus tard, en visionnant les images, l’artiste comprendra que l’homme pointait du doigt une date inscrite sur un mur. Sur ce mur il était écrit 2016, or nous étions en 2011. En 2016, l’ouragan Matthew a dévasté une grande partie de la vie haïtienne, étrange hasard, mais c’est en 2016 que le monde a commencé à basculer de façon visible. Peu importe, il me disait quelque chose.

La sculpture est un médium majeur de l’œuvre de Myriam Mihindou. Comme la performance, elle engage pleinement le corps dans un rapport intime à la matière. La céramique, la terre, le sel, la cire, le savon, le verre, le cuivre et le fil rythment le parcours de l’exposition. La sculpture est aussi archivée par la photographie avec par exemple la série intitulée Sculptures de Chair. Myriam a vécu à La Réunion. Entre 1999 et 2000, le temps d’une année, elle s’est engagée dans un rituel, un rendez-vous matinal avec la première percée du jour. Sur un fond rouge, en extérieur, l’artiste photographie quotidiennement une de ses mains. Chaque fois, la main est préparée : ligotée, recouverte de kaolin, parsemée d’aiguilles. Le rituel est lié au contexte, celui de La Réunion, où l’artiste pense le corps métis, son corps métissage à l’intérieur d’une histoire collective. Avec Sculptures de Chair, Myriam Mihindou travaille de ses mains le corps de l’histoire coloniale. J’ai compris que les matériaux : le cuivre, le coton, la cire, le sel étaient dans et en dehors du corps, qu’ils avaient une place historique et d’expérience physique. Que tout s’entrelace. Que l’utilisation des différents médiums permettait le déploiement d’une pensée, participait à la compréhension de ce qui engage l’œuvre. Son corps touche, étreint, façonne, accompagne le vivant. Ainsi, Myriam Mihindou pose la question du déplacement des corps. Elle interroge les limites, visibles et invisibles, de nos corps, de nos émotions, de nos héritages, de tout ce qui nous constitue. Au sol, est projetée la vidéo Folle (La Réunion, 2000). Des rires nous parviennent. Une femme tente de franchir une limite. Elle avance et recule. Elle apprivoise la part inconnue d’un territoire. C’est aussi ce qu’elle expérimente lors du confinement au printemps 2020 dans une forêt de l’est de la France. Sur place, elle prend conscience d’un dépeuplement de la forêt. Les arbres sont malades, atteints d’un parasite. Ils sont progressivement abattus, marqués de coups de peintures. Une autre pandémie est en cours. Plus silencieuse. L’artiste arpente a foret, embrasse les arbres, s’allonge sur les troncs et le sol. Elle prend physiquement la mesure des dépeuplements.

Myriam Mihindou — Archives of Women Artists, Research and Exhibitions
Myriam Mihindou, Johnnie Walker 1/3, de la série Sculpture de chair, 1999-2000, cibachrome, 88 x 62 cm, Courtesy Myriam Mihindou & Galerie Maïa Muller

Les interdépendances se révèlent au fil du parcours de l’exposition. Qu’est-ce qu’une œuvre ? Toute ma vie artistique, consiste à reformuler par rapport à quoi, pour qui, pour quoi, dans quel Système, pour quel système hors système, pour soi, pour l’autre ? Qu’est-ce qu’une œuvre ? C’est à l’artiste perceptif d’en livrer toutes les combinaisons possibles dans un mouvement qui réajuste sans cesse par rapport à des réalités qui se vivent  et qui anticipent, car la vision en fait partie. L’œuvre est comme un grand corps (anthropomorphisme de l’œuvre) qui voit, qui entend, qui parle, qui rêve, qui pleure, qui crie, qui copule, qui rentre en transe,  qui a peur, soif, faim. Un grand corps qui a des émotions de colère, des émerveillements, des déplacements, des débordements, des cachettes, des crises, des transformations – des terrains de guerre. Un grand corps qui se polarise. Le grand corps est une totalité. Tout mon travail repose sur des cellules qui ne sont pas censées se rencontrer pour le système et qui pourtant si on les ACTIVE, on enrichit des imaginaires en se frottant à la réalité en abattant toutes les projections les sublimations,  les autorités, les magies frauduleuses. Et,  bien des images et y compris celles de ce que l’on pourrait penser d’un rêve éveillé adviennent, car le creuset c’est la réalité le corps tout entier qui s’engage qui expérimente qui mange qui digère et qui propose – une respiration. Travailler sur le perceptif est une intelligence, une pensée en écosystème, travailler sur le corps c’est prendre en compte toutes les données à commencer par des données traumatiques et métaboliques de ce corps qui va donc puiser des besoins et ces besoins développent de nouvelles formes, de nouvelles projections, actionnent de nouvelles façons d’envisager le collectif, le social, le politique. Mon approche personnelle serait celle d’une proposition qui engage le corps l’intime le collectif les périphéries avec un ensemble de miroirs très variés pour crée le grand corps debout, engagé, connecté qui tend vers un bonheur du vivre ensemble, une bienveillance, un partage. Mais pour cela il faut goûter le doux, l’amer, l’allégresse, les violences, la différence, les différents territoires cognitifs la dimension de l’amour, le sensoriel. Accepter l’authenticité de chaque chose aussi différente soit-elle. Il faut déclencher l’amour le besoin d’amour… J’ai compris que ce que j’appelais nomadisme est une marche une curiosité, un frottement, une transformation, un contact, un non-lieu où tous les lieux et parfois même une métamorphose… que je laissais tous ces enseignements opérer sur l’œuvre.

À l’écoute du grand corps, Myriam Mihindou est présente. Empathique. Attentive. Résistante. Elle habite le monde avec une sensibilité et une CONSCIENCE fine et aiguë. L’artiste transporte cette conscience. Elle lui donne des mots, une langue réparée et conductrice de nouveaux sens. Elle garde les yeux et les bras grands ouverts pour agiter nos sens (voir, toucher, sentir, écouter). Elle communie avec les éléments (le vent, le feu, l’eau, la terre). Guérisseuse. Elle saisit la matière. Elle touche pour comprendre. Elle prend le temps. Elle respire. Résiliente. Elle vit les émotions, les plus douces comme les plus amères, pour les accepter pleinement, pour trouver le lieu de la connexion, de la collaboration. Elle embrasse le grand corps. Nos histoires, nos présents, nos réalités, nos désirs et nos devenirs. 


[1] Les textes de Myriam Mihindou sont les fruits de différents échanges dans son atelier, par téléphone ou par email.

[2] En Haïti, dechoucaj’ signifie qu’une chose est arrachée avec sa racine.

[3] Extrait du Plaidoyer pour le rêve géographique haïtien. Déclaration de Jean Morisset, avec le concours de Myriam Mihindou, Kossi Assou et René-Paul Savignan. Fait à Port-au-Prince, le jeudi 29 juin 2006, dans le cadre du 4ème Forum Transculturel d’Art Contemporain.


VUES EXPOSITION ///

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EXPOSITION /// Myriam Mihindou – SILO

Transpalette – Centre d’art contemporain de Bourges

2 juillet – 19 septembre 2021

Vernissage le 2 juillet 2021

Commissariat : Julie Crenn

+ https://antrepeaux.net/lieux/transpalette/

++ http://www.maiamuller.com/myriam-mihindou/biographie/

+++ JOURNAL DE L’EXPOSITION :

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PRESSE ///

  • POINT CONTEMPORAIN

http://pointcontemporain.com/en-direct-exposition-myriam-mihindou-silo/

  • LE MONDE – 25 août 2021

https://www.lemonde.fr/culture/article/2021/08/25/myriam-mihindou-sollicite-les-sens-et-le-corps_6092270_3246.html?fbclid=IwAR0XvzwSK96rBQy2KFiDdFV5hwnzJz9mMlkiDeu8x1Mz0Bm-Z8jv4ok1TbE

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Peut être une image de texte qui dit ’Silo exposition 02.07>19.09.2021 Dans cadre de Bourges Contemporain Entrée libre du mercredi samedi e 5h 19h Fermeture juillet et 15 aout inclus Myriam Mihindou ialo’

ANTRE PEAUX

24/26 route de la Chapelle
18000 BOURGES

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