En parlant avec les artistes et les différents acteurs de la scène artistique réunionnaise, j’ai pris conscience d’un manque d’histoire, d’image, d’objet, de tradition. Ils m’ont fait part d’une carence historique et culturelle, qu’ils s’emploient à étancher par la création. L’exposition L’Envers de l’île repose en partie sur ce constat collectif. En réunissant des images issues du passé comme du présent, les commissaires, Nathalie Gonthier et Bernard Leveneur (directeur du Musée Léon Dierx), mettent en lumière La Réunion à travers sa géographie, ses paysages (naturel, spirituel, économique, politique et social), ses habitants, ses identités et ses rituels. La sélection des œuvres, toutes réalisées sur place, s’étend du 19èmesiècle (gravures et photographies) au 21ème siècle (peinture, photographie, installation, vidéo, sculpture, dessin). Le visiteur assiste à une confrontation et à un dialogue entre les temporalités, les visions de l’île, les récits et les imaginaires d’artistes, mais aussi de naturalistes, de cartographes, d’ethnologues, de géographes ou d’ingénieurs. L’histoire coloniale constitue un fil directeur de l’exposition, des relevés topographiques aux photographies anthropométriques, en passant par les cartes et les illustrations des volcans et de la flore de l’île. Les pièces archivistiques et historiques s’articulent avec les œuvres contemporaines. Le paysage est particulièrement présent. La silhouette du volcan apparaît dans une lithographie aux couleurs acidulées de Gabrielle Manglou ou encore dans l’installation de Kid & Boogie où un volcan facetté est entouré de rouleaux de fumées dessinés aux murs. La mer, les falaises et le ciel traversent les photographies de Yo-Yo Gonthier, de Nelson Navin et d’Annie Decupper. Les artistes explorent aussi la part intime de l’île et de ses habitants. On découvre ainsi les dessins floraux-érotiques de Catherine Boyer, les photographies d’intérieurs de Leila Decomble ou encore les surprenantes natures mortes peintes par Jimmy Cadet. De son côté Stéphanie Hoareau peint, dessine et modèle les portraits de marginaux : Charlotte, Jack le Fou et Jacqueline. Chacun d’entre est une icône traduisant le mystère et la crainte. Il y a des individus que nous retrouvons à travers leurs objets personnels dans les photographies de Laurent Zitte. La dimension spirituelle et rituelle est également abordée. Jean-Claude Jolet restitue un autel rouge de Saint-Expédit dont le culte a été introduit à La Réunion dans les années 1930 – ces constructions multiconfessionnelles fleurissent aux bords des routes.L’Envers de l’île ne dévoile pas les secrets de l’île, l’exposition se propose davantage d’établir un état des lieux d’une iconographie riche et complexe, qui met en perspective un imaginaire mixant les fantasmes des explorateurs et la lucidité des artistes contemporains. L’ancrage dans le réel contraste avec le fantasme colonial et le discours lissé d’une société créolisée et paisible.
Julie Crenn
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L’envers de l’île – MUSEE LEON DIERX
Du 3 juillet au 20 septembre 2015.
Commissariat / Nathalie Gonthier et Bernard Levenneur.
ARTISTES / Jean-Baptiste Bory de Saint-Vincent, Catherine Boyer, André Blay , Jimmy Cadet, Paul Cassien, Désiré Charmay, Gilbert Clain, Leila Decomble, Annie Decupper, Morgan Fache, Thierry Fontaine, Yo-Yo Gonthier, Claude Allaire, Stéphanie Hoareau, Jean Claude Jolet, Kid Kreol et Boogie, Karl Kugel, Jean Legros, Adolphe Leroy, Gabrielle Manglou, Henri Mathieu, Charles Mermé, Patrick Nantaise, Nelson Navin, Sanjee Poleatchy, Adolphe Potémont, Yohann Queland de Saint-Pern, Tieri Rivière, Louis-Antoine Roussin, Antoine-Denis Selhausen, Abel Techer, Nicolas Valmont et Laurent Zitte.
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