[TEXTE] MYRIAM MECHITA – Je cherche des diamants dans la boue

« La beauté n’a qu’un type, la laideur en a mille. Le sublime accolé au sublime peine à faire contraste, et il faut faire une pause pour tout, même pour la beauté. La salamandre fait ressortir l’ondine ; le gnome rend plus beau l’éphèbe. »

Umberto Eco – Construire L’Ennemi (2014)

Je cherche des diamants dans la boue. Avant de devenir la pierre précieuse telle qu’elle existe ou telle que nous nous la représentons, le diamant et son développement nous échappent en tout point, dans le temps comme dans l’espace. Tout se passe en dehors de notre réalité. La croissance d’un diamant, amas pur de carbone, évolue entre un et trois milliards d’années. Sa vie commence à plusieurs kilomètres sous nos pieds, au cœur du manteau terrestre. Des diamants dans la boue. Il lui faudra du temps, de la chaleur, des accidents chimiques, pour remonter jusqu’à la surface. Il est ensuite extrait de la roche, de la terre, pour être taillé, poli, facetté et devenir une pierre précieuse, « le fruit des étoiles », « les larmes de Dieu ». Le diamant est le matériau le plus dur, un aimant indomptable (adamas) qui, sous la forme d’amulette ou de talisman, est considéré comme un antipoison, il repousse les mauvais esprits. Je cherche. Une pierre magique, que seuls les rois ou les reines des différentes civilisations et époques portent à leurs couronnes et autres somptueux bijoux. Une pierre sublime dont l’histoire, la symbolique et les propriétés nous dépassent. Je cherche. Du manteau terrestre, de l’inconnu, remonte lentement, une pierre rare au devenir précieux. C’est ainsi que je me figure le processus créatif de Myriam Mechita, qui, sans concession, explore les profondeurs de l’histoire humaine. Des mémoires enfouies, elle fait remonter à la surface, à nos yeux, des images, des flashs, des révélations qui ne connaissent ni espace ni temps.

L’œuvre de Myriam Mechita est tellurique, les dessins et sculptures convoquent une palette de sentiments extrêmes : intensité, violence, beauté, peur, colère, magie, merveilleux, amour, mort, bestialité, douceur, explosion, jouissance et solitude. Des sentiments à la fois contraires et complémentaires nous envahissent. Je cherche des diamants dans la boue. De la terre, à la mine de graphite, du bronze, du verre, les matériaux proviennent de la terre, ils sont liés à des énergies, des propriétés physiques et chimiques, des légendes, des mythes, des récits que l’artiste mêle aux siens, aux nôtres. Elle dessine ou sculpte des corps, humains ou animaux, fragmentés, amputés, violentés. Les yeux noirs, un pied disloqué, une main d’enfant isolée, une tête de chien, une patte enchaînée, les membres des différents corps forment une conversation impossible. Les corps, monstrueusement magnifiques,  sont les réceptacles de nos histoires, de nos héritages visibles et invisibles.

Les images, dessinées ou en volume, semblent provenir d’un réel alternatif, imperceptible, inatteignable. Elles ne sont jamais présentées d’une manière brute et claire. Myriam Mechita travaille les notions de filtres et de strates. Les images nous apparaissent lentement, sans confort, il nous faut à notre tour les explorer. Je cherche. Elle collabore ainsi avec des pierres, des shamans, des voyants, des rêves, des personnes extralucides qui voient à travers le temps et l’espace, à travers les réalités. Leurs séances, rencontres, discussions ou expériences donnent lieu à des images que l’artiste s’emploie à matérialiser. Des dessins rouges, bleus, noirs rythment différentes séries qui attestent d’une recherche de type archéologique. Des diamants. Les images proviennent d’un imaginaire sans frontière : ethnologie, cinéma, histoire de l’art, éléments autobiographiques, fantasmes, actualités, références à l’Histoire. Dans la boue. Dans la terre, le bronze, le verre ou à la surface du papier, elle représente ce qui est inscrit dans nos corps, nos mémoires. Elle figure les secrets, les pulsions, les dénis, les non-dits, les désirs, les peurs, ce qui dérange, ce à quoi nous ne souhaitons pas être confrontés. Alors, fragment par fragment, elle dresse un portrait intime et brutal d’une humanité pleine de contradictions.

La recherche est infinie, la boue explique la brutalité, l’intensité, l’effroi. Les œuvres de Myriam Mechita traduisent un cri étouffé, un hurlement confiné dans un espace inconnu qui ne connaît aucune limite. Le vaste territoire d’une mémoire engourdie par le poids de violences et de souffrances transtemporelles. L’humanité est ainsi pensée d’une façon globale, puisque toutes les civilisations s’entrecroisent, toutes les époques, les vivants et les morts, tous les genres, toutes les réalités. Une humanité que Myriam Mechita sonde et regarde avec une lucidité intense et déconcertante. Dans les boues profondes et difficiles de nos histoires, elle cherche le merveilleux qui se frotte inévitablement à l’horreur. La beauté coexiste à la laideur, les diamants à la boue.

+ MYRIAM MECHITA

 

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