Hippolyte Hentgen est un nom qui sonne d’un autre temps, celui d’un homme, d’un personnage, d’un acteur, d’un clown ? Il n’en est rien, la dénomination masculine recouvre en fait un duo de femmes artistes : Gaëlle Hippolyte et Lina Hentgen. Durant leur formation à l’école des Beaux-arts de Paris, elles découvrent leurs affinités mutuelles sur les plans plastiques, musicaux et littéraires. En 2007, elle débute leur association : deux imaginaires, quatre mains et un bagage de références partagées. Parce qu’il représente un « lieu de liberté absolue », le dessin est leur medium de prédilection. Si le format le permet, elles travaillent ensemble sur une même œuvre, sinon, elles entament plusieurs dessins et procédèrent à des échanges, des allers-retours. Au crayon, elle développe un univers mêlant des visions burlesques, oniriques, joyeuses et troublantes. Tantôt le dessin grand format présente des créatures détaillées en noir et blanc, tantôt, le trait se fait plus léger, plus rapide et plus cocasse. Différents styles sont conjugués au profit d’une pratique multiréférentielle où la notion de hiérarchie est proscrite. L’ensemble des œuvres forme un journal artistique dont les pages sont quotidiennement nourries de leurs environnements, de leurs humeurs et de leurs envies.
Si l’art moderne (Giorgio de Chirico, Fernand Léger) et l’art contemporain (Jim Shaw, Mike Kelley, Paul Thek, Eva Hesse) constituent un socle commun, Gaëlle Hippolyte et Lina Hentgen puisent leurs inspirations au creux de territoires multiples : cinéma, bande dessinée des années 1930, dessins animés, musiques alternatives, littérature underground. Elles s’approprient, associent et réincarnent des images provenant d’imageries populaires, ouvrières, scientifiques où bonhommes, personnages, objets ou encore paysages semblent être tombés dans l’oubli. Cette pratique de la citation, du recyclage et de l’appropriation participe de leur réflexion sur le statut de l’auteur, qui, à quatre mains est fortement brouillé. En même temps qu’elles ont permis une accessibilité démocratique à l’information et au savoir, les images hyper-reproduites ont perdu de leur valeur et de leur sens. Par le réveil des imaginaires, les artistes souhaitent ainsi rendre une existence propre et une autonomie aux images diluées dans les mémoires. Alors, les bonhommes aux allures mécanisées et/ou organiques sont dotés d’une nouvelle aura : sensible, drôle, touchante, fière et critique.
Une autonomie qui est exacerbée par un esprit de mise en scène du dessin. Ce dernier est effectivement considéré comme un « théâtre ambulant » et un « véhicule transdisciplinaire » par les deux artistes. Le dessin ouvre les possibles et permet d’établir des passerelles entre les territoires et entre les mediums. Hippolyte Hentgen pratique également la sculpture et le décor de théâtre. La mise en volume du dessin contribue à l’incarnation physique et spatiale des images puisque le corps-à-corps avec le regardeur et l’acteur est rendu possible. Chaque sculpture trouve sa place au sein d’une mise en scènes pécifique, elles sont constitutives d’un environnement, d’un paysage ou d’un abri où la fiction et l’imagination peuvent œuvrer.
La pratique du dessin est un moteur joyeux, mais c’est aussi la manifestation paradoxale d’un constat plus mélancolique qui nous renvoie à nos propres limites et à nos propres incapacités à changer le monde via notre condition d’artiste. (HH, 2009)
L’étrangeté et le caractère jouissif de l’œuvre d’Hippolyte Hentgen proviennent de rencontres insolites, de sourires, de sentiments empathiques envers des monstres inoffensifs et joyeusement ridicules. Les artistes privilégient les écarts entre les références, les émotions, les couleurs, les gestes et les univers) pour conserver une totale liberté de ton et de trait. Elles pratiquent le collage visuel, matériel et référentiel pour « exciter l’intelligence par l’étonnement. » Au visage désincarné d’un imaginaire collectif universalisé, formaté et appauvri, elles apportent une touche de fantaisie, de bienveillance et d’impertinence aux images extirpées de la confusion.
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HIPPOLYTE HENTGEN / http://hippolytehentgen.tumblr.com/