[texte] Kamala Ibrahim Ishaq /// aware – archives of women artists research and exhibitions [fr/eng]

Kamala Ishaq, Sans titre, huile sur toile, 130 x 130 cm, Courtesy Barjeel Collection

Kamala Ibrahim Ishaq apparaît aujourd’hui comme une figure pionnière de la scène artistique soudanaise. D’abord en tant que femme artiste puisqu’elle est l’une des premières femmes à obtenir son diplôme à l’école des beaux-arts de Khartoum, en 1963. Ce diplôme lui permet de développer sa formation, elle part ainsi étudier au Royal College of Art à Londres, entre 1964 et 1966. Elle décide ensuite de revenir au Soudan pour y enseigner à son tour et proposer un regard critique sur le groupe de l’école de Khartoum qui domine alors la scène. En 1971, avec deux de ses étudiantes, Muhammad Hamid Shaddad et Nayla El Tayib, elle fonde le Crystalist Group (le groupe des Cristallistes) dont l’engagement à la fois esthétique et conceptuel vise à penser un art critique débarrassé des normes machistes et officielles du monde de l’art soudanais, principalement et majoritairement occupé par les hommes. En 1978, les trois artistes rédigent et cosignent un texte en arabe intitulé Am-Bayan Am-Kristali [Le manifeste cristalliste]. Le nom du groupe y est expliqué : « Le Cosmos est un projet d’un cristal transparent sans voile et d’une profondeur éternelle. La vérité est que la perception des Cristallistes du temps et de l’espace diffère de celle des autres. L’objectif des Cristallistes est de ramener à la vie le langage du cristal et de transformer le langage en une langue transparente, dans la mesure où aucun mot ne peut en voiler un autre – pas de sélectivité dans le langage. […] Nous vivons dans une nouvelle vie qui nécessite un nouveau langage et une nouvelle poésie. » Les Cristallistes cherchent alors un langage esthétique et critique délivré de toute forme d’oppression et de pouvoir, un langage transparent où les notions de plaisir et de savoir sont mises en avant pour annuler de manière définitive celles de la différence et de la frontière.

Très influencée par les pratiques spirituelles soudanaises, Kamala Ibrahim Ishaq mène une recherche sur les différentes cérémonies, sur les divers rituels et cultes. Elle s’intéresse notamment au culte des zār (esprits démoniaques), pratiqué par les femmes dans le centre du Soudan pour lutter contre la possession des esprits. Les peintures sur toile aux imposants formats donnent à voir des visages de femmes déformés, des corps en mouvement, voire monstrueux, dont la perception est diffractée. Proche des teintes naturelles, la palette chromatique employée par l’artiste joue des forts contrastes lumineux qui accentuent le caractère mental des expériences vécues ou observées. Les corps féminins, seuls ou démultipliés, sont placés à l’intérieur d’espaces non déterminés. Souvent figurées en situation de partage ou d’expérience collective, les femmes y sont connectées par des flux, des racines et autres formes rhizomatiques. Leur représentation génère une relecture féministe du cubisme et du surréalisme. Les huiles sur toile traduisent non seulement des expériences spirituelles intenses, mais aussi une vision critique portée à l’encontre d’un réel normé auquel chacun·e aurait à se conformer, à l’intérieur duquel chacun·e aurait à se figer. En ce sens, le cristal est un prisme qui permet d’appréhender une multitude de réalités, mouvantes, libres et imprévisibles. Des réalités qui, comme dans la nature, se transforment en permanence.

Julie Crenn

© Archives of Women Artists, Research and Exhibitions
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Kamala Ishaq, Sans titre, huile sur toile, 130 x 90 cm, Courtesy Samia Omar Collection

Kamala Ibrahim Ishaq is now considered a pioneering figure of the Sudanese art scene, and was one of the first women artists to graduate from the College of Fine Arts in Khartoum, in 1963. Her degree enabled her to further her education at the Royal College of Art in London from 1964 to 1966, after which she decided to return to Sudan to teach in her turn and to bring a new critical perspective to the School of Khartoum, which dominated the country’s scene at the time. In 1971, she and two of her students, Muhammad Hamid Shaddad and Nayla El Tayib, founded the Crystalist Group, whose aesthetic and conceptual stance aimed at creating an art form that challenged the male-centred and official norms of Sudanese art, which was predominantly occupied by men. In 1978, the three artists wrote and co-signed the text Am-Bayan Am-Kristali (the Crystalist manifesto) in Arabic, in which the name of the group is clarified: “the Cosmos is a project of a transparent crystal with no veil and eternal depth. The truth is that the Crystalists’ perception of time and space is different from that of others. The goal of the Crystalists is to bring back to life the language of the crystal and to transform language into something more transparent, in which no word can veil another – no selectivity in language. […] We are living a new life, and this life needs a new language and new poetry.” The Crystalists sought to find an aesthetic and critical language that would emphasise the notions of pleasure and knowledge in order to permanently abolish differences and boundaries.

Kamala Ibrahim Ishaq is greatly influenced by Sudanese spiritual practices and, as such, explores a variety of ceremonies, rituals, and manners of worship. She is particularly interested in zār (demonic spirits) worship, an exorcism rite performed by women in central Sudan. Her large-scale paintings on canvas depict the twisted faces of women, their contorted and at times monstrous bodies in diffracted vision. The artist’s range of colours favours natural hues and uses strong luminous contrasts to accentuate the mental quality of the experiences she or others have gone through. The female bodies, whether single or multiple, are placed inside undetermined spaces. Often depicted in situations of sharing or collective experiences, the women are connected by fluxes, roots, and other rhizomatic shapes, the visibility of which prompts a feminist reinterpretation of cubism and surrealism. Her oils on canvas are the expression both of intense spiritual experiences and of a critical vision of a standardised reality to which we are all expected to conform and in which we are all supposed to remain unchanged. In this sense, the crystal is a prism through which one is able to apprehend a multitude of realities – shifting, free, and unpredictable. Realities which, as in nature, undergo permanent transformation.

Kamala Ishaq, Untitled, oil on canvas, 120 x 120 cm, Courtesy Barjeel Collection


AWARE

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