La Galerie Chantal Crousel présente actuellement une seconde exposition monographique du photographe allemand, Wolfgang Tillmans. Une présentation de ses dernières séries qui, dans la continuité de son processus créatif, mêlent des images prises lors de ses différents voyages, des expérimentations abstraites et des images plus intimes liées à son environnement personnel.
Depuis les années 1990, Wolfgang Tillmans (né en 1968, à Remscheid en Allemagne) bouscule discrètement la photographie contemporaine. S’il a commencé par la photographie de mode en travaillant pour le magazine I-D, il va peu à peu féconder une œuvre personnelle, troublante et innovante. En effet, il mêle sans compromis différents styles photographiques : mode, portraits, reportage, autoportraits, images abstraites, natures mortes et paysages. D’une orange pelée sur une table de cuisine au portrait de son amant disparu, en passant par une série consacrée au Concorde, des vues intérieures du TGV ou à une souris rencontrée dans la rue, Tillmans transforme le trivial en un objet d’étude dont il nous offre des impressions tantôt lumineuses, tantôt mélancoliques.
Je suis à la recherche d’une authenticité de l’intention, mais je n’ai jamais recherché l’authenticité du sujet ; je suis à la recherche d’une vérité universelle, mais pas de la vérité de tel moment particulier.
Au cours des années 1990, il déploie une œuvre en marge inspirée des mouvements visuels underground allemands et britanniques. Il réalise les portraits de ses amis et de personnes rencontrées lors des soirées branchées à Hambourg ou à Londres. Attitudes provocantes et gauches, sexualisation des postures, exhibitionnismes, embarras des corps fragiles, rugosité des regards, les portraits de Tillmans témoignent d’une jeunesse en révolte contre les normes d’une société qui les étouffe et en qui elle ne se reconnaît pas. Dans un premier temps, ses images sont marquées par un engagement politique, ainsi il traite d’écologie, des problèmes de logement, du racisme et de l’homophobie. Activiste homosexuel, il donne un visage à une communauté qu’il explore et représente sans jamais la caricaturer.[1] Il prend le pouls d’une génération fiévreuse pour atteindre ce qu’il appelle un « climat des possibilités ». Les portraits ne sont pas des images instantanées, au contraire ils sont le résultat de séances de poses, avec ses amis qu’il scrute et met en scène. Il puise dans les failles et les forces de l’expérience du physique de chacun. Depuis les années 1990, il construit une histoire visuelle à la fois intime et collective, une narration contemporaine. Ses images sont chaque fois éprises d’une grande liberté, d’une décadence revendiquée, mais aussi d’une tonalité plus sombre à la fin des années 1990.
En effet, de nombreux clichés font état de disparitions, d’absences et de manques. Wolfgang Tillmans a assisté impuissant au départ prématuré de ses amis et de ses proches morts du sida. Une série de deuils douloureux qui le pousse à travailler les intérieurs, les vêtements, les objets personnels. Il se dirige vers une photographie plus intime formulée au moyen d’une lumière naturelle, douce et d’une sobre palette chromatique. Ses images, où la figure humaine se fait plus discrète, révèlent une profondeur et une poésie de la trivialité. Wolfgang Tillmans parvient à transcender la banalité et à faire jaillir de la beauté là où nous ne la suspectons pas. Il fouille la sphère privée avec une subtilité et une discrétion qui caractérisent l’ensemble de son œuvre. Une passion pour l’ordinaire qu’il va pousser jusque l’abstraction des formes en jouant avec la lumière, l’appareil et la chimie.
L’univers de Wolfgang Tillmans ressemble à une comédie mi-rose mi-noire dont les acteurs seraient les amis (peut être les siens) d’une communauté imaginaire. Ils semblent exilés dans une culture dont ils auraient eux-mêmes, défini les règles, pour l’exercice d’un contre-monde.[2]
L’aspect technique de son travail photographique est primordial. Au niveau des formats, il joue avec un éventail d’impressions (jet d’encre, c-prints), de plus ou moins bonne qualité, qu’il accroche ou colle directement au mur. Tillmans procède à des mosaïques associatives entre images du passé et du présent, portraits et natures mortes, photographies abstraites et paysages urbains. Ainsi les murs blancs sont recouverts de pages de magazines, de cartes postales, d’affiches tramées, d’impressions au jet d’encre et de photographies très grands formats. Un processus qu’il applique également dans ses publications. Il s’approprie l’espace, déstructure les conceptions traditionnelles de la photographie et désacralise la notion d’œuvre d’art. Il ne s’impose aucune hiérarchie et aucune limite technique. Il travaille aussi bien avec un appareil numérique sophistiqué qu’avec une photocopieuse. Le photocopieur est pour lui une figure fascinante. Il commence ses expériences visuelles au lycée, où il procède à des dégradations des images et à des mises en pages inhabituelles de celles-ci. Non seulement il reproduit les images, mais il est aussi une source de lumière éblouissante. Des fonctions observées dans la vidéo Kopierer (2010) projetée actuellement à Paris. La lumière qui jaillit de la machine transforme et altère notre vision de l’espace et des images.
La lumière et les couleurs sont depuis les années 2000 une obsession qu’il poursuit et travaille sans cesse. Chaque nature morte ou paysages (rural ou urbain) devient un prétexte pour capter l’éclat naturel des scènes observées. Les images extrêmement composées offrent plusieurs niveaux de lecture et nous offrent des espaces de contemplation, voire de méditation.
Wolfgang Tillmans revendique un art total, englobant tous les styles et ne s’imposant aucune contrainte. Il fait partie d’une génération de photographes qui ont su renouveler notre rapport aux images. Ses œuvres sont empruntes d’une franchise, d’une poésie, d’une évidence et d’un esthétisme à la fois modeste et grandiose. Il opère à de constants allers-retours entre passé et présent, entre souvenir et immédiateté. Des passages et entremêlements des temporalités, qui confèrent une constance au fil narratif que Tillmans déroule depuis le début des années 1990. Au moyen d’impressions personnelles, il capte une mémoire collective des affects, des troubles et des bonheurs simples qui parsèment nos existences éphémères.
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Texte pour la revue Inferno : http://ilinferno.com/2011/11/11/photographie-wolfgang-tillmans-impressions-intimes/
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Exposition Wolfgang Tillmans, à la Galerie Chantal Crousel, du 20 octobre au 3 décembre 2011. Plus d’informations ici : http://www.crousel.com/.
Site du photographe : http://tillmans.co.uk/.
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[1] Un activisme qu’il poursuit encore aujourd’hui en participant à au relais de l’information sur la prévention, les conséquences et le besoin de traitements du Sida. Voir l’ouvrage Why we must provide HIV treatment informations, disponible en ligne : http://tillmans.co.uk/images/stories/pdf/HIV_book.pdf.
[2] KARROUM, Adbellah. « Urgences d’une Exposition ». in Urgence.Bordeaux : CapcMusée, 1996.
ce si bon.
Ping : Wolfgang Tillmans, Freischwimmer 26, 2003