[TEXTE] CHARLES HASCOET – Je longe mon souffle

Yuki – 2020
Huile sur toile
30 x 24 cm

Où tu t’absentes de ta vie, je te vois aux prises avec l’image.

Philippe Denis – Cahier d’ombres (1974)

Je longe mon souffle.[1] Pour titre de son exposition, Charles Hascoët a choisi un vers extrait d’un poème de Philippe Denis. L’artiste est particulièrement touché par la justesse et la sincérité de mots qui résonnent avec sa manière d’être au monde et de la traduire en peinture. Les poèmes parlent de l’attente, du sommeil, de l’observation, de la peine, de la blessure, du silence, de la mémoire, de la tentative et de la mort. La violence y transparaît de manière sourde et énigmatique. Parole de pauvreté, parole souterraine au levant d’une blessure qui se perpétue en lignée… Philippe Denis travaille à la fabrication d’une langue, d’une route pour se retrouver soi-même. Si les poèmes sont marqués par une forme de désenchantement, ils véhiculent cependant un élan, un mouvement, un réveil. Les peintures de Charles Hascoët contiennent cette tension, cet équilibre fragile entre la mort et la vie. Il peint au plus près de lui-même, avec une étonnante sincérité, avec une simplicité qui confine parfois au dénuement. Sur la toile, il déploie ses intuitions, ses pensées les plus intimes et les plus fantasmagoriques. Il existe en effet deux registres : le réel (avec une peinture sur le motif) et la fantaisie. Deux registres qui, de temps à autre, trouvent des points de cohabitation. À l’image de l’autoportrait intitulé Dirty Martini (2020) où l’artiste se représente dans un espace indéterminé, entre l’intérieur et l’extérieur. Son grand corps est situé entre la moquette d’un couloir d’hôtel et un ciel nuageux. Serveur désabusé, plateau à la main, rêveur, il regarde le sol. Parole, là – rougeoyante réponse de rêve, comme j’écris pour ne pas être vaincu. L’ensemble des peintures pourrait alors être envisagé comme un autoportrait, une plongée dans son imaginaire où s’hybrident le réel et l’onirisme.

Dirty Martini – 2020
Huile sur toile
193 x 130 cm

Un autoportrait aux multiples facettes qui est jalonné de motifs récurrents, qui, au fil des séries ouvertes, deviennent les icônes d’une histoire intime. Elles sont peintes sur le motif. Je note les quelques mots qui m’éveillent toujours à la même ligne… pour agrandir la comparaison. Il s’agit d’objets issus de son quotidien à l’instar des bouteilles de Listerine®, un verre de vin posé sur une table, un vieux fauteuil, un comprimé d’Advil 400® ou plus déroutant, une collection de Furbies, des petits robots-peluches dotés de pelages aux couleurs chamarrées. Le Furby fait l’objet de portraits individuels, il peut aussi apparaître au sein d’un groupe ou encore tranquillement assis sur l’épaule de l’artiste. Au même titre que les Furbies et autres objets familiers, Charles Hascoët fait de son visage un motif récurrent. Les autoportraits rythment sa pratique. Le plus souvent des petits formats, où, sans filtre, Charles Hascoët se regarde dans le miroir pour nous livrer des états, des émotions, des expressions. Il partage sans fards ce qu’il est au fil du temps. J’erre – familier de l’inquiétude, craignant crainte plus vaste… maintenant que la mort n’échappe plus à mon imagination. Anti-génie et antihéros, l’artiste se présente avant tout comme un individu en proie à ses peurs, ses doutes et ses difficultés à se cogner à un réel perturbant. Les objets sont alors autant les icônes d’une histoire intime que les éléments d’un memento mori.

Si de nombreux motifs trouvent une forme d’intemporalité, d’autres apparaissent comme des signes, des indices d’une époque. Un Airpod® à l’oreille, un Furby, une casquette (ruine d’une campagne électorale trumpienne), des médicaments, une basket… Les peintures sont symptomatiques de notre époque. À travers elles, Charles Hascoët s’attache à représenter la solitude, l’isolement et parfois même la sidération. La réflexion de l’artiste est ainsi guidée par une profonde mélancolie. S’il ne s’agit pas de tristesse ou de désillusion, l’artiste, dans une recherche subjective, trouve des incarnations plurielles à la mélancolie et à l’abandon de soi. Arrimé à ce travail contradictoire, je parle pour m’être choisi si loin, déjà hors de l’âge – j’inaugure le poids de vivre dans la sueur du refus. À la mélancolie s’entremêle aussi la fantasmagorie. Charles Hascoët s’échappe du réel pour transposer sur la toile ou le bois des visions aux accents surréalistes. Je compte une à une les vagues de la terre – je m’éteins je suis de retour vibrant et multiple comme un envol. Des personnages aux têtes immenses, aux nez pointus, aux pieds minuscules, aux couleurs improbables évoluent au sein de paysages non identifiables. Si la plupart d’entre eux anonymes, d’autres sont plus célèbres. L’artiste s’approprie en effet des personnages de la culture populaire comme Chewbacca, Alf et les petits Furbies. Ils sont tous les trois réunis pour une scène familiale, des retrouvailles teintées d’une grande banalité. L’artiste fait ressurgir des personnages de son enfance, de sa génération. Ils sont, comme les objets les plus communs, les icônes rémanentes d’une mémoire personnelle qui longe et s’allie, sans aucun doute, avec un imaginaire collectif.

Julie Crenn, mars 2020

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[1] Toutes les citations en italique insérées  dans le texte sont extraites du Cahier d’ombres paru en 1974.

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Wherever you’re absent from your life, I see you grappling with the image.[1]

Philippe Denis – Cahier d’ombres (1974)

 

Je longe mon souffle (I follow my breath).* For the title of his exhibition, Charles Hascoët chose a verse  from a poem by Philippe Denis. The artist was particularly affected by the precision and sincerity of the words that echoed his way of relating to the world and wanted to translate that into his painting. The poems are about waiting, sleep, observation, sorrow, pain, silence, memory, striving and death. The violence reveals itself in a dull and enigmatic way. Words of poverty, a word beneath the rising of a wound perpetuated in the lineage…[2] Philippe Denis works on creating a language, a road to find ones’ self. The poems are stamped by a form of disenchantment, yet they convey a momentum, a movement, an awakening. Charles Hascoët’s paintings contain this tension, this delicate balance between death and life. He paints as closely as possible to himself, with an astonishing honesty, and a simplicity that sometimes borders  on visual destitution.  On the canvas, his intuitions unfold his most intimate  and phantasmagorical thoughts. There are in fact two registers: the reality (with a painting on the motif)  and the imagination. Two registers which, from time to time find places of cohabitation. Just like the self-portrait titled Dirty Martini (2020) where the artist portrays himself in an undefined space, between both the internal and external worlds. His large body is located between the carpet of a hotel corridor and a cloudy sky; a disillusioned waiter, tray in hand, daydreaming, as he stares at the floor. Word, there – glowing answer of a dream, how I write so as to not be defeated.[3] All the paintings could then be considered as a self-portrait, a dive into his fantasy where reality and onirism hybridize.

A multifaceted self-portraiture punctuated with recurring motifs which, over the course of the open series becomes the icons of an intimate story. These are painted on the pattern. I write down the few words that always awaken me to the same line… to widen the comparison.[4] The objects are part of his everyday life such as Listerine bottles, a glass of wine on a table, an old armchair, a tablet of Advil 400 or more disconcertingly a collection of Furbies — little furry-robots endowed with colorful fur.  The Furby is the subject of individual portraits, it may also appear among a group or even sitting quietly on the artist’s shoulder. In the same way he uses Furbies and other familiar objects, Charles Hascoët turns his face into a recurrent motif. Self-portraits set the rhythm to his work,  most often on small canvases where without any filter, Charles Hascoët looks in the mirror to reveal his moods, feelings and expressions.  He shares unvarnished depictions of who he is over time. I wander – acquainted with worry, fearing the greater fear… now that death no longer escapes my imagination.[5] Anti-genius and anti-hero,  the artist introduces himself first and foremost as an individual falling prey to his fears, doubts and difficulties in confronting a troubling reality. The objects are then as much the icons of an intimate story as the pieces of a memento mori.

While many motifs are timeless, others emerge as indications and clues from our era. An Airpod in the ear, a Furby, a MAGA cap (artefact of Trump’s election campaign), medicines, a sneaker… Paintings are symptomatic of our Age. Through them, Charles Hascoët endeavors to represent loneliness, isolation and stupefaction. The artist’s reflection is thus driven by a deep melancholy. If it is not a matter of sadness or disillusionment, the artist on a subjective quest seeks various incarnations of melancholy and self-abandonment. Tied to this contradictory work, I speak for having chosen myself from so far away, already out of age – I inaugurate the weight of living in the sweat of refusal.[6] Melancholy is also intertwined amongst phantasmagoria. Charles Hascoët escapes from reality to transpose surrealist visions onto canvas or  wood. I count the waves of the earth one by one – I fade away I am back vibrant and multifarious like a wing. [7]Characters with huge heads, pointed noses, tiny feet and unusual colours evolve within unknown landscapes. Whilst most of them remain anonymous, others have varying degrees of cultural recognition. The artist appropriates characters from popular culture such as Chewbacca, Alf and the little Furbies. The three of them are gathered for a family scene, a reunion tinged with extreme banality. The artist resurrects characters from his generation, from his own childhood. They are undoubtedly, like most common objects, the remanent icons of a personal memory which runs along and unites with a collective psyche.

Julie Crenn, March 2020

Translated by Fiona Vilmer

* All quotations in italics in the text are from the Cahier d’ombres published in 1974.

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[1] Où tu t’absentes de ta vie, je te vois aux prises avec l’image.

[2] Parole de pauvreté, parole souterraine au levant d’une blessure qui se perpétue en lignée…

[3] Parole, là – rougeoyante réponse de rêve, comme j’écris pour ne pas être vaincu.

[4] Je note les quelques mots qui m’éveillent toujours à la même ligne… pour agrandir la comparaison.

[5] J’erre – familier de l’inquiétude, craignant crainte plus vaste… maintenant que la mort n’échappe plus à mon imagination

[6] Arrimé à ce travail contradictoire, je parle pour m’être choisi si loin, déjà hors de l’âge – j’inaugure le poids de vivre dans la sueur du refus

[7] Je compte une à une les vagues de la terre – je m’éteins je suis de retour vibrant et multiple comme un envol.

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VUES DE L’EXPOSITION ///

Crédits photo : Diane Arques

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+ Charles Hascoët – Website :

Actualité

++ L’Atelier A – Charles Hascoet – Arte Creative

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