Zanele Muholi (née en 1972, à Umlazi-Durban, Afrique du Sud), a réalisé ses études en photographie à Johannesburg. Son travail vient poursuivre une tradition de photographie documentaire engagée avec des photographes comme Santu Mofokeng, David Goldblatt, Paul Weinberg, Biddy Partridge, Mxolise Mayo, Giselle Wulfsohn ou encore Guy Tilim. Elle déploie depuis les années 2000 un travail politique et militant. En effet, depuis 2001, elle porte son attention et toute son énergie sur la communauté lesbiennes noires en Afrique du Sud. Elle va à la rencontre de ce qu’elle appelle les Black Queers sud-africaines, des femmes qui ne se conforment pas aux attentes de la société traditionnelle africaine. Des femmes dont elle fait le portrait afin de leur donner non seulement une visibilité mais aussi la parole.
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Dans ce monde, à part la femme Noire, quelle autre créature a dû inclure la conscience de tant de haine à sa survie tout en allant de l’avant ? (1)
Audre Lorde
Alice Austen (1866-1952), Claude Cahun, Rohmi Fani-Kayode, Sunil Gupta, Annie Leibowitz ou encore Robert Mapplethorpe se sont attachés à la représentation de la diversité sexuelle. Des modèles qui ont influencé la démarche de Zanele Muholi, qui, elle s’est investie dans une cause qui voudrait être étouffée, ignorée. Muholi est une artiste militante en lutte contre les crimes haineux dont les Black Queers et l’ensemble des membres de la communauté LGBTI (Lesbian, Gay, Bi, Transgender and Intersex) sont les victimes depuis plusieurs décennies. En 2001, elle prend conscience de la nécessité d’une visibilité de la communauté gay et décide de briser les silences. Elle souhaite alors devenir une « productrice de nos propres histoires, savoirs et subjectivités » et créer une mémoire visuelle collective. Elle collabore avec Peter Goldsmith pour la réalisation du film Difficult Love (2010) retraçant l’expérience de la photographe en tant que Black Queer (2). Son rapport à sa mère, son engagement vers la communauté et son intimité sont exposés. Muholi témoigne de la violence et de la profonde injustice qui font désormais partie de sa vie. Des conditions d’existence qu’elle refuse et qu’elle souhaite endiguer.
Being : Exister c’est résister.
En 2003, elle débute une série de photographies basée sur son propre sang menstruel. Elle en dégage un discours à la fois social, politique, sexuel et culturel. Ngiyapha, qui, en langue Zoulou signifie « mon sang » renvoie à la condition des femmes opprimées par un système phallocrate, qui selon Muholi, s’est renforcé avec le colonialisme. « Dans ma culture zouloue, une femme qui a ses règles n’est pas autorisée à entrer dans la cuisine ou n’importe quel endroit ou les gens se rassemblent parce qu’elles contamineraient le village. (3) » Le sang menstruel est considéré comme sale, impur. À travers lui, la photographe explore son identité de femme, lesbienne et noire, avec la ferme intention de briser les tabous. Si elle a commencé par sa propre expérience, la jeune photographe a ensuite tourné son objectif vers les membres de sa communauté. Dans Only Half The Picture(2003-2005) et Being (2007), elle a développé un travail sur la beauté des corps de ces couples considérés comme hors normes, voire anormaux. Elle en dévoile l’intimité au travers de corps dénudés, de gestes attentionnés, de regards échangés et de postures sexuelles. L’idée de Muholi était de dépasser les tabous liés aux pratiques sexuelles étrangères aux cultures africaines, des pratiques sur lesquelles sont inventés des récits fictifs, erronés et homophobes. Les présenter publiquement est un moyen de barrer la route aux stéréotypes et à un imaginaire collectif faussé. Il s’agit de confronter le spectateur à une réalité, à des histoires d’amour et à une communauté dont on gomme chaque jour un peu plus l’existence. Zanele Muholi met en lumière des corps enlacés symboles d’une multitude d’histoires d’amour brimées, freinées, auxquelles elle a souhaité donner un espace de visibilité inexistant et non désiré. Un espace où la beauté des corps et la fierté d’une communauté sont restituées. Being, « être », exister et résister contre une autorité patriarcale persistante qui empêche ces hommes et ces femmes de vivre librement, dignement.
En 1996, la constitution sud-africaine interdit toute forme de discrimination basée sur les préférences sexuelles. Zanele Muholi estime que la loi est largement bafouée, elle n’est pas respectée pour tous les citoyens du pays. Les Black Queers vivent en marge de la société et sont les victimes de crimes ultraviolents visant à une rééducation des lesbiennes par la force. Par souci d’isolement, elles sont contraintes de vivre dans les townships où le danger est le plus prégnant. Elles sont de véritables proies pour des agresseurs misogynes, racistes et homophobes. Les Black Queers sont les victimes d’un schéma sociétal hétéro-patriarcal ne leur autorisant aucun droit, aucune liberté. Parquées à l’extérieur des centres villes, elles subissent un effacement social. Si l’Afrique du Sud postapartheid a mis en avant le souhait d’une société arc-en-ciel, nous faisons aujourd’hui le constat d’une société qui n’accepte pas la différence sexuelle. Une injustice contre laquelle Zanele Muholi s’attaque avec ténacité et pertinence dans son travail photographique. Avec les autres femmes de la communauté, elle dénonce le désengagement de l’Etat, de la police et de la justice, qui ont littéralement abandonné leurs citoyennes. Elles luttent contre une indifférence générale et une brutalité systémique.
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