ANTONI TAPIES /// DISPARITION DU MAITRE CATALAN

Une figure historique de l’art abstrait européen nous a quittés hier (lundi 6 février 2012). Antoni Tapies (né le 12 décembre 1923) a été retrouvé mort chez lui, à Barcelone, il était âgé de 88 ans. Peintre et sculpture il a su manier les matières et les couleurs sourdes pour nous rendre compte des effets chaotiques de l’histoire contemporaine sur nos sociétés.

Issu d’une famille cultivée, avocats, éditeurs et lettrés, le jeune catalan se dirigeait au départ vers des études de droit. Une maladie pulmonaire va en décider autrement. Au début des années 1940, il est contraint à l’isolement, il se plonge d’autant plus dans ses livres. Seul il dessine et peint. De manière totalement autodidacte il expérimente les matières sur la toile et le papier. Il suit des cours de dessin et de peinture, copie ses maîtres et se plonge dans une histoire de l’art qui va bien au-delà des frontières espagnoles. Il se passionne pour l’art oriental et notamment la calligraphie. Une donnée formelle qui va exercer un rôle important sur son œuvre personnelle, où les lettres, les mots et les chiffres y seront récurrents. Il est rapidement associé au mouvement surréaliste avec des artistes comme Joan Miro eu Paul Klee (qu’il rencontre en 1949) avec qui il partage une esthétique expressive et colorée. Dans les années 1950, il entre complètement dans l’abstraction. Il obtient une reconnaissance rapide puisqu’il participe àla Biennalede Venise dès 1952. À partir de cette période il met en place un processus créatif inédit qui mêle avant l’heure les préceptes de l’Arte Povera italien et l’art abstrait. En France, il rencontre un de ses maîtres, Pablo Picasso, il fait aussi la connaissance de Braque et découvre les pratiques informelles de Dubuffet et Fautrier. Des dialogues esthétiques qui vont jouer un rôle moteur dans sa propre pratique.

Ses premières œuvres sont un ressenti direct et expressif dela Guerre Civileespagnole (1936-1939) qui est vécu comme un véritable traumatisme par le jeune artiste. Son pays est déchiré par un conflit entre les Républicains et les nationalistes. Toute sa vie il a combattu la dictature de Franco, resté au pouvoir jusqu’en 1975. Ses dessins et peintures sont des interprétations de la violence des combats, de son engagement et de ses questionnements. À cette résistance politique, s’ajoute un second trauma collectif. En effet, comme beaucoup d’artistes de sa génération, il est profondément meurtri parla SecondeGuerreMondiale,la Shoah, la bombe atomique. Une douleur collective et personnelle qu’il traduit sur ses toiles : des matières sourdes, récupérées (terre, poussières, fil de fer, paille) et des couleurs pénétrantes. Le noir et gris dominent, parfois bafoués de rouge, comme une blessure. Ses œuvres véhiculent non seulement la violence vécue par le monde, mais aussi la violence et l’incompréhension contenue par l’artiste. La toile est un exutoire de l’horreur.

Sur ses toiles s’agrippent des poudres de toutes sortes : terre, sable, poussières, marbre broyé. Des poudres naturelles auxquelles il ajoute des objets récupérés comme des fragments de cordes, du papier lacéré, du fil de fer ou encore des matériaux textiles (vêtements, chiffons etc.). Chaque œuvre est le résultat d’une agglomération des déchets de son quotidien, de trouvailles, composée avec pertinence. Antoni Tapies colle, déchire, griffe, balafre et triture différentes couches matérielles qu’il assène de gestes sont assurés et maîtrisés. Le noir et la blanc prédominent. Des motifs se font récurrents, des croix, des lettres exécutées comme des graffitis, des formes géométriques rapidement esquissées. Progressivement il crée un langage matériel et formel qui lui permet d’extérioriser son expérience, ses résistances et son engagement. Les toiles tendent vers la tridimensionnalité qu’il applique pleinement à partir des années 1970. En effet, il délaisse temporairement la peinture au profit d’une œuvre sculptée produite à partir de ready-made. Quelques années plus tard, il revient à ses premiers amours : le dessin, la gravure et la peinture.

Celui qui a obtenu une reconnaissance internationale pour l’ensemble de sa carrière, musées, prix, fondation, est resté fidèle à un processus créatif brutal, pauvre et expressif. Il a produit une œuvre authentique, sincère et singulière. Une œuvre précieuse, comme un reflet, un témoignage de la folie des hommes.

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Plus d’informations sur Antoni Tapies : http://www.fundaciotapies.org/site/spip.php?rubrique65

Texte en collaboration avec la revue Inferno : http://ilinferno.com/2012/02/07/antoni-tapies-disparition-du-maitre-catalan/.

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