Sans règle encore, sans compromis, sans appliquer de loi, dessin qui est allusion plutôt que description… et jeu.
Henri Michaux – Les Commencements (1983).
Adrien Vermont dessine le monde vivant. Sur le motif, directement. Il dessine les êtres humains de manière impudique, violente et cruelle. Il dessine les chats, attitudes par attitudes, leurs mouvements, leurs expressions, leurs regards. Il scrute l’intérieur comme l’extérieur pour en dégager une expressivité intense et désarmante. Pendant trois années (2010-2013), il a choisi de s’isoler pour non seulement étudier la figure animale, mais aussi pour se retrouver grâce à un travail de désapprentissage. Il s’agissait alors de produire un retour vers un trait libéré des jugements, des injonctions et des attentes du monde adulte. L’étude du dessin d’enfant lui est apparue comme une porte ouverte sur son propre imaginaire jusqu’ici réprimé. Il s’est ainsi penché sur les outils, les couleurs, les formes et les styles déployés par les enfants. Une recherche qui l’a porté vers ce qu’Henri Michaux nomme la « joie gestuelle désordonnée ». Il ne s’agit en aucun cas d’une régression, bien au contraire, ce retour à la « joie » entremêle une liberté, une innocence, une énergie, une spontanéité et une confiance sans borne jusqu’ici enfouie. Autant d’atouts que l’artiste recherchait pour construire sa propre expression. La boite de pandore est désormais ouverte. La figure animale devient un espace de projections infinies où toutes les transgressions sont permises.
Armés de crayons de couleurs, de pastels et de stylobilles, Adrien Vermont procède à la mise en œuvre d’un rayonnement de la présence animale. En poursuivant la « coexistence du vu et du conçu », il brouille les pistes et repousse les limites. Pour cela, il s’approprie les planches de l’ouvrage d’histoire naturelle de Conrad Gesner (Historia Animalium – 1551-1558). L’artiste conserve les notices écrites et substitue les représentations animales originales au profit des siennes : délirantes, subversives, bavardes, ironiques et jubilatoires. Aux modèles et aux vérités imposées par le corps scientifique, il préfère leur apporter de nouvelles réalités. Une remise en doute est formulée : l’identité animale est mise en avant au détriment d’une représentation universelle et conformée. Ainsi nous découvrons une autruche aux yeux hallucinés, un cheval enflammé, un castor hérissé, une limace Ninja ou un caniche électrisé. Les attitudes et les expressions sont excessives, prolixes et extrêmement vivantes. Adrien Vermont s’attache alors à représenter l’animal dans toute sa vérité : son enveloppe extérieure et son identité telle que l’artiste souhaite la concevoir. Son trait est guidé par la subjectivité et le pouvoir évocateur des animaux étudiés. Ils sont accompagnés de légendes commentées, formulées au moyen d’un langage fleuri qui apparaît en total décalage avec la fonction première de l’ouvrage de type encyclopédique. Des mots qui, comme le dessin d’enfant, possèdent une spontanéité, une couleur, une énergie et un franc parlé qui détonnent par rapport au territoire policé et lissé des sciences prétendument exactes. Un territoire balisé dont l’artiste fait exploser les cadres et les normes pour faire place à l’imaginaire et à l’impertinence.
Adrien Vermont mixe sans complexe et sans compromis les antipodes pour générer un dessin généreux, inédit et audacieux. Ses dessins affichent une défiance face à toute forme d’autorité. Contre la normalisation, il propose la libération des formes, de la couleur et des mots. Une perspective radicale nourrie par les pratiques de Jean-Michel Basquiat, d’Alberto Giacometti, de Pablo Picasso, de Maurizio Cattelan ou encore de Thomas Grunfeld dont les empreintes sont palpables. De cet héritage placé entre la déconstruction et l’absurde, il garde une idée de l’authenticité du trait et une volonté de décloisonner la représentation et la tradition pour leur apporter une candeur, une insolence et une sincérité. Des adjectifs simples et puissants qui manquent trop souvent à la création actuelle.

Moyennes planches d’études d’histoires naturellement compliquées 82 x 120 cm Crayons sur impression sur papier 2013
Adrien Vermont / http://www.adrienvermont.com/
Editions Derrière la Salle de Bains / http://leseditionsderrierelasalledebains.bigcartel.com/product/collection-julie-crenn-a-l-interieur-adrien-vermont
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