Je vends à l’autre siècle
Les errements de mon destin sinueux
Je revendique le double visage
De mon identité éclatée avec le temps
Je déchire ici et maintenant
L’acte de naissance des frontières
Pour baptiser le nouvel espace à conquérir.
Alain Mabanckou. Tant que les Arbres s’enracineront dans la Terre (2003).
Depuis les années 1990, Yinka Shonibare est une figure incontournable de l’art contemporain, non seulement britannique mais également international. Son œuvre développe une contre-vision de l’Histoire écrite et enseignée en Occident, offrant ainsi une réinterprétation et un remodelage transgressifs d’un récit unilatéral. Il donne à réfléchir autrement en ne revisitant pas l’Histoire de manière systématique et scientifique, mais en choisissant plutôt des éléments chargés d’une forte symbolique appartenant à une période précise. En fouillant l’ère victorienne et de l’expansion coloniale britannique au XVIIIème siècle, il explore son identité hybride, britannique et nigériane. L’ironie, la parodie, la fantaisie, l’esthétisme et la poésie sont ses armes artistiques. Des armes culturelles permettant d’accéder à des sujets cruciaux et déroutants.
Authenticité africaine ?
Yinka Shonibare a grandi à Lagos au Nigeria, puis s’est installé avec ses parents à Londres. Il raconte : « Au Nigeria j’étais ouvert à de nombreuses expériences : Je vivais à Lagos, une société contemporaine, et je pouvais […] être fondamentalement un citoyen du monde, montrer de l’intérêt à plusieurs choses en même temps – Je n’avais pas à choisir. Ensuite lorsque j’ai emménagé en Europe, à ma plus grande surprise, j’ai dû choisir. Je pense que ma blackness a commencé lorsque je suis sorti de l’avion à Heathrow. Je n’avais pas de notion ou de concept de la blackness jusqu’à ce que je sorte de l’avion. »[1] L’artiste a vécu un véritable choc en subissant les effets d’une discrimination. Aux yeux des « autres » il incarnait la différence. Il est alors confronté à des problèmes raciaux, ainsi qu’à une certaine idée de « l’authenticité africaine ». Un sujet qu’il a choisi de creuser alors qu’il débute ses études à la Byam Shaw School en 1984. A la section peinture, ses professeurs lui ont suggéré de mettre en avant ses racines africaines pour « africaniser » ses œuvres et son style. Ils attendaient de lui un art qui soit « authentiquement » Africain. Il raconte :
Un de mes tuteurs est venu dans mon atelier et a dit « Alors, tu es africain, non ? Pourquoi ne produis-tu pas un art traditionnel authentique africain ? ». Et bien sûr, étant donné mon origine, la notion que je pouvais en comprendre, le concept d’une pure authenticité africaine, ou pour ce sujet une telle expression qui serait attendue de moi, je trouvais cela profondément choquant, négligeant ainsi mon engagement avec le modernisme et la modernisation. Alors j’ai décidé d’explorer la notion d’authenticité et ce qu’elle pourrait signifier. C’est à ce moment là que j’ai réalisé que l’idée de loyauté ou l’allégeance est toujours imposée par les autres de l’extérieur. […] C’est durant ma formation artistique à l’école que j’ai réalisé que je ne deviendrai pas un artiste universel et anonyme. [2]
À partir de là, il formule des problématiques critiques et plastiques : Qu’est-ce que l’« authenticité africaine » ? En quoi ses origines (biculturelles) doivent-elles jouer un rôle dans sa pratique artistique ? En quoi est-il le garant d’une certaine idée de l’africanité ou d’une certaine identité que la société voudrait lui assigner ? Ses professeurs voyaient-ils en lui un « représentant du Vrai », de « l’authenticité africaine » ? Pourquoi devait-il se conformer aux attentes de l’expression d’un exotisme recherché par les Occidentaux ? Une posture qu’il a immédiatement refusé pour ne pas se retrouver enfermé dans une catégorie prédéfinie. L’artiste renverse et déconstruit avec pertinence, et non sans humour, le concept d’altérité. Qui est cet « autre » ? De quel droit se permet-il de classer les individus selon leurs classes sociales, leurs sexes ou leurs origines ? Il dit : « En tant qu’artiste d’origine africaine, je sais qu’on attend de moi que je demeure lié à l’art africain traditionnel – même si je suis un homme de mon siècle, et qu’il semblerait tout aussi absurde d’imaginer qu’un artiste français ou anglais n’est forcément intéressé que par l’art médiéval ! »[3]
Pour lire la suite de l’article : le n°99-100 de la revue Africultures est disponible sur le site de la revue u bien auprès des Editions l’Harmattan.
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[1] ENWEZOR, Okwui. « Yinka Shonibare. Of Hedonism, masquerade, carnivalesque and Power. Conversation with Okwui Enwezor », in Looking Both Ways : Art of The Contemporary African Diaspora. New York : Museum For African Art, 2003, p.166-167.
[2] Ibid. p.166.
[3] MULLER, Bernard. « Entretien avec Yinka Shonibare MBE », in Yinka Shonibare, MBE : Jardin d’Amour, Paris : Flammarion, 2007, p.20.
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+++ YINKA SHONIBARE