[TEXTE EXPOSITION] JEAN-BAPTISTE JANISSET – A MA VIE /// Galerie Alain Gutharc – Paris

Jean-Baptiste Janisset pratique une sculpture de terrain. Par le moulage, il prélève in situ des éléments divers : des sculptures, des objets, des ossements. Sa démarche implique le déplacement et la rencontre. L’artiste arpente par exemple les rues de Nantes à la recherche des traces visibles et concrètes du colonialisme et de l’esclavage. À Nantes toujours, il découvre dans la cathédrale un emblème d’Anne de Bretagne au bas duquel est gravé «  À ma vie ». L’artiste le moule sur place et réalise un tirage en plâtre de l’objet. Sur un rond-point à Ziguinchor au Sénégal, il moule une partie d’une sculpture rendant hommage à Aline Sitoé Diatta (1920-1944), une résistante casamançaise surnommée la « Jeanne d’Arc d’Afrique ». La jeune femme aurait en effet reçu une prophétie, elle entendait des voix lui demandant d’aider à l’indépendance de la Casamance. Guidée par les voix, elle active un mouvement de désobéissance et d’émeutes. Aline Sitoé Diatta est arrêtée, condamnée par l’administration française et déportée au Mali. Elle meurt du scorbut à l’âge de 24 ans et bénéficie aujourd’hui d’une aura de martyre. Les œuvres de Jean-Baptiste Janisset convoquent et rassemblent des histoires qui s’entrechoquent. Il pose ainsi la question de l’écriture du récit d’une histoire collective complexe et du degré de conscience que nous pouvons en avoir : à qui rend-on hommage ? Que commémorer ? Quelles icônes ? Pour qui et pourquoi ? Le récit d’une histoire commune diverge inévitablement selon les contextes. Les moulages génèrent alors de nouveaux objets : les sculptures-archives d’une recherche en cours. L’artiste examine ce qui fait mémoire et monument, ce qui fait histoire. De Nantes à Libreville, en passant par le Sénégal, l’Italie, l’Algérie et la Corse, il s’immerge dans la vie quotidienne et spirituelle. « Ce qui m’intéresse avant tout c’est écrire une histoire, une sorte d’éveil syncrétique. »

Les sculptures impliquent plusieurs couches de lecture. À l’histoire coloniale, dont l’artiste s’approprie physiquement les vestiges architecturaux et sculpturaux, se superpose une réflexion portée sur les croyances et les pratiques religieuses. Nous voyons alors les moulages d’ossements d’un bœuf sacrifié lors d’une cérémonie du Magal réalisé à Touba au Sénégal. La ville de Touba est fondée en 1887 par le Cheikh Ahmadou Bamba Mbacké (1853-1927), un prêcheur musulman soufi acétique, mystique et pacifiste. Ce dernier, considéré comme dangereux par l’administration coloniale, est emprisonné et déporté au Gabon, puis en Mauritanie.  Ses croyances et sa vie ont donné lieu à une nouvelle religion. La cérémonie du Magal (en wolof : «  Célébrer, rendre hommage ») commémore l’exil forcé du chef spirituel. Jean-Baptiste Janisset a participé à la cérémonie en sacrifiant un bœuf qui a ensuite été partagé collectivement. Nous rencontrons aussi le moulage de la carcasse d’un mouton sacrifié durant l’Aïd el-Kebir à Alger, celui d’une représentation de Notre Dame de Douleur à l’église Saint-Roch à Ajaccio ou encore le buste de Nostradamus moulé à Salon-de-Provence. Sans hiérarchie, les croyances sont réunies au sein d’un même espace, d’une même réflexion.

L’exposition À ma vie est envisagée comme une œuvre en soi. En ce sens, Jean-Baptiste Janisset parle de cénotaphe, un tombeau vide, un monument funéraire pensé et fabriqué pour rendre hommage non seulement à une cosmogonie interculturelle, mais aussi à une mémoire collective peuplée de héros, d’héroïnes et de martyres. L’artiste s’appuie sur sa propre expérience, sa propre conscience d’une mémoire blessée. Une mémoire fragmentée, nourrie de non-dits, de violences, de ressentiments, de culpabilités, de secrets et de hontes. Les œuvres oscillent en permanence entre une forme de douceur et une violence latente. La vie et la mort sont conjuguées au sein d’un territoire de croyances hybridées. Une œuvre sonore (réalisée en collaboration avec Tim Karbon) articule d’ailleurs des chants corses aux poèmes du Cheikh Ahmadou Bamba Mbacké déclamé par un marabout sénégalais, ami de l’artiste. Les tirages, qui peuvent être augmentés de LED, sont réalisés en plomb (un matériau toxique au toucher qui bloque les ondes), en plâtre, en zinc et en cuivre. Dans une perspective animiste, l’artiste souhaite charger les œuvres d’une énergie, d’un esprit. Peu importe le résultat final, l’œuvre n’existe pas sans son histoire : l’intention, l’action et le récit priment sur la forme. Le récit oral est aussi important que l’œuvre qui apparaît comme l’archive physique d’une expérience et d’une rencontre.

Julie Crenn

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ENGLISH VERSION /

Jean-Baptiste Janisset creates sculpture in the field. He molds and collects on site elements: sculptures, objects and bones. His approach feeds on travels and encounters. For instance, the artist has walked the streets of Nantes in search of visible traces of colonialism and slavery. It was in Nantes also that he discovered an emblem of Anne of Brittany on the bottom of which was engraved: “A ma vie” (to my life). The artist molded it on site and made a plaster copy. In a crossroad of Zinguinchor, Senegal, he molded part of a tribute sculpture to Aline Sitoé Diatta (1920-1944), a member of the resistance in Casamance nicknamed the “African Joan of Arc”. The young woman was said to have received a prophecy and heard voices telling her to help Casamance become independent. Guided by the voices, she initiated a movement of disobedience and led riots. Aline Sitoé Diatta was arrested, judged by the French administration and deported to Mali. She died of scurvy at the age of 24, and is now considered a martyr.

The works of Jean-Baptiste Janisset conjure up and intertwine complex narratives. The artist questions the writing of collective history and how conscious we are of it. Who do we pay tribute to? What should we commemorate? Which icons, for who and why? Contexts inevitably impact the way we see collective history. The artist’s molds thus create new objects, the archive-sculptures of an ongoing research. Jean- Baptiste Janisset challenges the making of memory, monument and history. He immerses himself in the daily and spiritual life of places from Nantes to Libreville via Senegal, Italy, Algeria and Corsica. “I want to tell a story, a sort of syncretic awakening.”

The sculptures have several reading levels. A research around beliefs and religious practices is superimposed on colonial history, which architectural and sculptural vestiges the artist appropriates. Jean-Baptiste Janisset molded the bones of an ox sacrificed during the Magal ceremony in Touba, Senegal. The city of Touba was founded in 1886 by Sheikh Ahmadou Bamba Mbacké (1853-1927), a mystic, ascetic and pacifist Sufi Muslim preacher. Considered dangerous by the colonial administration, he was imprisoned and deported to Gabon then Mauritania. His beliefs and life laid the foundation of a new religion. The Magal ceremony (which means “to celebrate, to pay tribute” in Wolof) commemorates the forced exile of this spiritual guide. Jean-Baptiste Janisset took part in the ceremony and sacrificed an ox, which was then collectively shared. The artist also molded the carcass of a sheep sacrificed during Eid al-Adha in Algiers, Our Lady of Sorrows at the Saint-Roch Church of Ajaccio, and a Nostradamus bust in Salon-de-Provence. Beliefs are gathered within a same space and approach without hierarchy.

The exhibition A ma vie is a work of art itself. For Jean-Baptiste Janisset, it is like a cenotaph: an empty grave, a funeral monument conceived to pay a tribute not only to an intercultural cosmogony, but also to a collective memory filled with heroes, heroines and martyrs. The artist draws from his own experience, his own consciousness of memorial wounds. A fragmented memory, full of things unsaid, violence, resentments, guilt, secrets and shame. The works constantly alternate between a form of gentleness and a latent violence. Life and death struggling in a land of hybrid beliefs.
A sound piece ( made in collaboration with Tim Karbon ) combines songs from Corsica with poems by Sheikh Ahmadou Bamba Mbacké delivered by a Senegalese marabout and friend of the artist. The sculptures, which can be enhanced with LED lights, are made of lead (a substance that blocks waves and intoxicates if we touch it), plaster, zinc and copper. In an animist approach, the artist wants to imbue his works with a certain energy and spirit. No matter the final result, the work exists for its (his)story: intent, artistic gesture and narrative preside over form. The oral narrative is as important as the work viewed as the physical archive of a precise experience and encounter in time.

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VUES DE L’EXPOSITION /

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JEAN-BAPTISTE JANISSET / À MA VIE

Vernissage samedi 26 Janvier 2019

Exposition du 26 Janvier au 23 Février 2019

GALERIE ALAIN GUTHARC

++ JEAN-BAPTISTE JANISSET

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