[TEXTE _CATALOGUE] BARBARA SCHROEDER – A L’orée des champs ::: Château de Taurines, Centrès

Exposition personnelle : A l’Orée des Champs /// Château de Taurines, Centrès (Aveyron) 2025

21 juin → 21 septembre 2025 

« En 2025, le Château de Taurines célèbre 40 ans d’engagement pour l’art contemporain en milieu rural. J’ai l’immense joie d’y présenter À l’orée des champs, une exposition née de rencontres, de confiance partagée et d’un formidable élan collectif.

Ce projet s’est construit au rythme du bon sens paysan, de l’entraide et d’un esprit de solidarité profondément ancré dans les terres du Ségala. Grâce à l’implication d’une équipe de nombreux bénévoles et à la générosité des femmes paysannes qui m’ont ouvert leur porte — et leur cœur — l’exposition a pris une ampleur et une audace que je n’aurais jamais imaginées seule.

Sur 600 m², À l’orée des champs explore les liens intimes entre enracinement, transmission et rapport au vivant. Mes sculptures en porcelaine réalisées à la Manufacture de la Fabrique rendent hommage au travail des femmes de la terre, à leur mémoire souvent silencieuse. Une pièce centrale, la table de Germaine embousée, élève la bouse de vache au rang de matière artistique, révélant l’intelligence et la puissance du vivant.

L’exposition donne aussi à entendre la parole de celles qu’on voit peu : des témoignages vidéos dans lesquels les paysannes racontent leur quotidien, leurs luttes, leurs fiertés. Ce sont elles qui donnent chair au projet. Comme les mycéliums, les lichens ou les loupes d’arbres qui nourrissent mes peintures, ces voix modestes et puissantes dessinent une autre écologie : sensible, ancrée, vivante.

Un catalogue sortira pour l’occasion avec un magnifique texte de Julie Crenn. »

Barbara Schroeder

A L’orée des champs _ Barbara Schroeder

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Accepter de traverser la vie sans signifiance

Disparaître dans la routine des jours et des

saisons

Ressentir le soleil sur la peau et vibrer du

printemps qui éclate

Ralentir avec l’hiver, dormir longtemps

Être une parmi les comparses

Elsa Sanial – Elever (Editions Sahus Sahus, 2025)

Barbara Schroeder est née à Clèves en Allemagne. Elle a grandi parmi les champs de culture de légumes pensés comme étant populaires et modestes. Des pommes de terre, des navets, des choux. Elle connaît les odeurs de la terre. Celles qui font travailler sa mémoire et qui agitent sa relation au vivant. Elle connaît aussi les odeurs de l’élevage bovin, du foin, de la paille, du poil humide, de la bouse fraîche, puis sèche. L’artiste est aujourd’hui installée dans le vignoble bordelais. Si le milieu est très différent, la relation au vivant l’est tout autant. Les vignes participent d’une monoculture, d’un paysage uniforme où l’élevage y est nettement plus rare. Alors, imprégnée de ces écosystèmes, de ses souvenirs, de ses expériences, de ces temporalités et de ces pratiques plurielles de l’agriculture, Barbara Schroeder fait de la ruralité un sujet de prédilection depuis le début des années 2000. Elle s’allie par exemple aux temporalités paysannes en partageant une relation étirée au temps, aux cycles, une pratique de gestes répétés et un amour de la sédimentation. Plusieurs œuvres découlent d’une multiplication à la fois matérielle et gestuelle. Elle réalise ainsi des œuvres spatiales où des objets-motifs en porcelaine prolifèrent. Elle moule des pommes de terre (Champ des constellations, 2010 – en cours) pour constituer un cycle calendaire puisque trois cents soixante-cinq sculptures sont présentées. Dans un même élan, elle moule cinquante-deux outils (Les semaines blanches, 2025) pour visibiliser le travail continuel des paysan.nes. Parce que le nombre d’œuvres correspond aux cinquante-deux semaines de l’année, Barbara Schroeder traduit le fait que le vivant ne connaît pas de pause lorsqu’on collabore avec lui pour nourrir, élever, entretenir, cultiver et protéger.

Consciente des interdépendances inhérentes au vivant, Barbara Schroeder ne sépare ni les êtres (humains et plus qu’humains), ni les milieux. Chaque existence comporte une action, une conséquence sur une autre vie. C’est ce que manifestent ses peintures et ses dessins qui nous parlent non seulement de notre monde connecté mais aussi de la manière dont les humain.es s’efforcent de contrôler le vivant. Elle se penche ainsi sur la coupe des arbres en milieu urbain. Les écorces de ces derniers sont marquées par la répétition des amputations pour les conformer aux attentes humaines. L’artiste inventorie les boursouflures, les cicatrices, les loupes de bois et toutes autres excroissances. Elle travaille la résilience des arbres et les alliances qui se nouent avec les champignons, les lichens et les végétaux. Une réciprocité solidaire que l’artiste entretient avec les humain.es qu’elle rencontre non seulement dans son lieu, mais aussi au fil des projets et des résidences. Elle tient ainsi à rendre un hommage (un femmage) appuyé aux femmes qui vivent et font vivre la ruralité au quotidien. Dans la continuité du Banquet (2022 – en cours), elle présente La Table de Germaine (2025) qui réunit sur une table la vaisselle de sa voisine dans le Bordelais. Chacun des éléments est embousé : recouvert de bouse de vache. Plus loin, suspendus à des fils à linge, des bas de contention, des documents administratifs liés aux vies de paysannes de Taurines (Au fil des jours, 2025). L’œuvre pensée comme un labyrinthe mène à une série de témoignages filmés (La ferme, 2025). Dans une même perspective de femmage, elle réalise sept bustes en porcelaine de paysannes (Les Paysannes, 2022 – en cours) dont les visages sont hybridés avec leurs cultures : des feuilles de choux, des racines et autres tubercules rhizomiques. Sept bustes, comme les sept jours de la semaine qui nous ramènent aux cycles infinis du travail. En visibilisant leurs visages, leurs objets, leurs voix, leurs corps et leurs quotidiens, Barbara Schroeder met en lumière les femmes du passé et du présent qui ont, trop longtemps, été confinées dans l’ombre d’un milieu patriarcal. De la bouse à la porcelaine, l’artiste se joue des qualités et des propriétés matérielles. Si la bouse de vache incarne une dimension physique et sensorielle forte, la porcelaine, semblable à du marbre, installe une distance avec le sujet. Elle alterne le chaud et le froid, le contact et le recul. Alors, par ses gestes, ses rencontres, ses choix et ses matériaux, Barbara Schroeder fait éclore une poésie de la ruralité. Ses œuvres sont nourries d’une nostalgie assumée et d’une conscience sensible des réalités actuelles du monde paysan.

Julie Crenn

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2 Commentaires

  1. Merci Julie pour ce texte magnifique et si juste, qui rend pleinement hommage à cette exposition !
    Ta lecture donne à voir l’“intelligence et la puissance du vivant”, et met en lumière toute la sensibilité, la complicité paysanne et la poésie de À l’orée des champs.
    Un véritable bonheur de te lire ! 🙏

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