[EXPOSITION] MYRIAM MECHITA – Je cherche des diamants dans la boue /// Transpalette – Bourges

Myriam Mechita

Je cherche des diamants dans la boue

14 février – 6 avril 2019

TRANSPALETTE – Bourges

Commissariat / Julie Crenn

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« La beauté n’a qu’un type, la laideur en a mille. Le sublime accolé au sublime peine à faire contraste, et il faut faire une pause pour tout, même pour la beauté. La salamandre fait ressortir l’ondine ; le gnome rend plus beau l’éphèbe. »

Umberto Eco – Construire L’Ennemi (2014)

Je cherche des diamants dans la boue. Avant de devenir la pierre précieuse telle qu’elle existe ou telle que nous nous la représentons, le diamant et son développement nous échappent en tout point, dans le temps comme dans l’espace. Tout se passe en dehors de notre réalité. La croissance d’un diamant, amas pur de carbone, évolue entre un et trois milliards d’années. Sa vie commence à plusieurs kilomètres sous nos pieds, au cœur du manteau terrestre. Des diamants dans la boue. Il lui faudra du temps, de la chaleur, des accidents chimiques, pour remonter jusqu’à la surface. Il est ensuite extrait de la roche, de la terre, pour être taillé, poli, facetté et devenir une pierre précieuse, « le fruit des étoiles », « les larmes de Dieu ». Le diamant est le matériau le plus dur, un aimant indomptable (adamas) qui, sous la forme d’amulette ou de talisman, est considéré comme un antipoison, il repousse les mauvais esprits. Je cherche. Une pierre magique, que seuls les rois ou les reines des différentes civilisations et époques portent à leurs couronnes et autres somptueux bijoux. Une pierre sublime dont l’histoire, la symbolique et les propriétés nous dépassent. Je cherche. Du manteau terrestre, de l’inconnu, remonte lentement, une pierre rare au devenir précieux. C’est ainsi que je me figure le processus créatif de Myriam Mechita, qui, sans concession, explore les profondeurs de l’histoire humaine. Des mémoires enfouies, elle fait remonter à la surface, à nos yeux, des images, des flashs, des révélations qui ne connaissent ni espace ni temps.

Dans une œuvre vidéo de Myriam Mechita, inspirée par Les Diaboliques de Georges Clouzot, une voix de femme, la voix d’une femme, Je cherche des diamants dans la boue. La phrase ne m’a pas quittée. Ces mots contiennent la pensée plastique de l’artiste. Son travail est là : une recherche permanente de beauté dans un monde désespérément violent. Myriam Mechita est une artiste tellurique. Ses œuvres proviennent de la boue, une matière concrète qu’elle manipule pour réaliser les œuvres en céramique (sculptures, vases, assiettes). La boue est aussi une matière immatérielle, un espace symbolique qui englobe les violences de nos existences passées et présentes. Par les dessins, les céramiques, les œuvres en bronze ou en verre, Myriam Mechita donne corps à ces violences. Les œuvres convoquent une palette d’émotions extrêmes : intensité, beauté, peur, colère, magie, merveilleux, amour, mort, bestialité, douceur, explosion, jouissance et solitude. Des émotions à la fois paradoxales et complémentaires qui nous envahissent. Je cherche des diamants dans la boue. De la terre, à la mine de graphite, du bronze, du verre, les matériaux proviennent de la terre, ils sont liés à des énergies, des propriétés physiques et chimiques, des légendes, des mythes, des récits que l’artiste mêle aux siens, aux nôtres. Elle dessine ou sculpte des corps, humains ou animaux, fragmentés, amputés, violentés. Je cherche. Les yeux noirs, un pied disloqué, une main d’enfant isolée, une tête de chien, une patte enchaînée, les membres des différents corps forment une conversation impossible. Les corps, monstrueusement magnifiques,  sont les réceptacles de nos histoires, de nos héritages visibles et invisibles.

Au transpalette, la terre est un élément central de l’exposition. Des diamants dans la boue. Disposée au sol, elle devient un îlot qu’il nous faut contourner. Des sculptures semblent s’extraire de la terre brute : des têtes, des vases, des meubles gravés, des palettes en céramique, des fragments de corps humains et animaux. Dans un élan de survie, les corps et les récits jaillissent de la terre. Ils font littéralement surface pour s’imposer à la lumière du jour. Autour de l’îlot, les murs sont rouges, il accueillent des dessins de grand format. Chacun d’entre eux articule au premier plan la représentation d’une femme acrobate réalisant des positions complexes et étranges. Au second plan, l’artiste s’approprie les œuvres de femmes artistes issues d’une mythologie personnelle : Joan Mitchell, Barbara Kruger, Carolee Schneemann, Valie Export, Catharina van Hemessen, Judy Chicago, Lilly Reich, Séraphine de Senlis, Julie Mehretu, Kiki Smith, Lynda Benglis, Marianne Brandt, Rosa Bonheur, Gunta Stölz, Käthe Kollwitz  ou encore Adrian Piper. Je cherche. L’artiste arrache les diamants de la boue. Les femmes artistes trouvent ainsi une place forte au sein d’une histoire de l’art qui serait enfin débarrassée des mécanismes dominants et excluants.

Dans les hauteurs du centre d’art, les murs sont noirs. Myriam Mechita présente des assiettes comportant des portraits et des autoportraits. L’objet domestique devient le support de révélations enfouies, de présences gênantes, de regards appuyés. Au dernier étage, la série Tu vas comprendre (2012-2018) est réunie. Les dessins rouges et noirs résultent de conversations avec une voyante. Il s’agit d’images surgissantes, d’images persistantes, d’images obsédantes. Des diamants dans la boue. Les images proviennent d’un imaginaire sans frontière : ethnologie, cinéma, histoire de l’art, éléments autobiographiques, fantasmes, actualités, références à l’Histoire. Je cherche. Dans la terre, le bronze, le verre ou à la surface du papier, Myriam Mechita représente ce qui est inscrit dans nos corps, dans nos mémoires. Elle figure les secrets, les pulsions, les dénis, les non-dits, les désirs, les peurs, ce qui dérange, ce que nous fuyons. La recherche est infinie, la boue incarne la brutalité, l’intensité, l’effroi. Les œuvres de Myriam Mechita traduisent un cri étouffé, un hurlement confiné dans un espace inconnu qui ne connaît aucune limite. Le vaste territoire d’une mémoire engourdie par le poids de violences et de souffrances transtemporelles. Le vivant est pensé dans sa globalité en dessinant des flottements entre les civilisations, les époques, les vivants et les morts, les genres, les réalités. Je cherche. Myriam Mechita sonde et regarde le Vivant avec une lucidité déconcertante. Dans les boues profondes et difficiles de nos histoires, elle cherche le merveilleux qui se cogne inévitablement à l’horreur. La beauté coexiste à la laideur, les diamants à la boue.

Julie Crenn

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VUES DE L’EXPOSITION ///

Crédit photo / Dorian Degoutte 2019

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Myriam Mechita

Je cherche des diamants dans la boue

14 février – 6 avril 2019

TRANSPALETTE – Bourges

Commissariat / Julie Crenn

TRANSPALETTE – Centre d’art contemporain de Bourges

++ MYRIAM MECHITA

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PRESSE ///

  • Le Quotidien de l’Art – 25 février 2019 :

– ARTPRESS #466 – mai 2019 :

 

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