Conjointement à l’exposition J’ai Deux Amours, la Cité Nationale de l’Histoire de l’Immigration accueille dans l’immense hall du palais de la Porte Dorée l’installation vidéo Zon-Mai de Sidi Larbi Cherkaoui et Gilles Delmas. Le premier est danseur et chorégraphe, le second est vidéaste. Depuis 2004, ils travaillent ensemble et croisent avec pertinence danse, performance et vidéo. Les deux artistes ont implanté leur maison au cœur dela Cité pour interroger et bousculer nos rapports à l’immigration, aux identités, aux frontières, aux sentiments d’appartenances et aux statuts mouvants.
Sidi Larbi Cherkaoui a invité vingt et un danseurs avec qui il a collaboré dans le passé ou dont le travail fonctionne avec sa vision du mouvement et de la danse. Vingt et un danseurs venus du monde entier : Espagne, Islande, Bangladesh, Belgique, Angleterre, Inde, Suède etc. Ils se retrouvent ensemble dans la maison, Zon-Mai, une structure symbolique élaborée par Gilles Delmas. Une architecture sans porte ni fenêtre, dont chaque pan se révèle être un écran. L’intérieur est projeté sur la surface, l’extérieur. L’intimité du foyer est exposée, partagée. Le choix même de la maison est intéressant puisque les individus exilés ou nomades sont en constante recherche d’un abri, d’un foyer. Les danseurs sont réunis dans une reformulation de la notion de foyer, à la fois multiple et harmonieux. Leurs chorégraphies installent une interaction entre les corps et leur habitat. Elles traduisent différents sentiments et états, ils sont nostalgiques de leurs maisons passées ou pensent à la destination prochaine, la future maison. Si elle est traditionnellement rassurante, confortable et synonyme de souvenirs, de racines et d’appartenance, ici, la conception même de la maison est retournée. Son titre en verlan est à l’image de la déconstruction de la maison comme abris ou habitat, la Zon-Mai est une architecture inhabitable, inconfortable, sur laquelle glissent, dansent et se muent les corps des danseurs.
Je suis flamand-marocain, j’ai grandi en Belgique et je travaille dans plusieurs pays, y compris la France. Je collabore avec des danseurs des quatre coins du globe qui se déplacent constamment d’un endroit à un autre pour répéter, danser ou vivre. Les questions du mouvement, de la migration font partie intégrante de mon existence. [Sidi Larbi Cherkaoui – Zon-Mai / Parcours Nomades, 2011]
Gilles Delmas est allé à la rencontre des véritables maisons et appartements des danseurs. Chaque film nous invite à entrer dans leurs intimités. Il s’est approprié les lieux et a restitué la relation complexe qui existe entre le corps et son habitat, qu’il soit temporel ou fixe. Les chorégraphies font chaque fois état de tiraillements, de difficultés, les corps sont en transe, tourmentés, empêchés. Avec humour, poésie ou gravité, ils traduisent une absence, un manque, une envie d’ailleurs. Les différentes chorégraphies et l’expérience de chacun des participants, acteurs de la maison, crée une cartographie corporelle d’un nomadisme pluriel, riche et porteur de sens. Les films sont assemblés, sans coupure, interdisant ainsi un début et une fin, favorisant une constance er un renouvellement infini. Dans cet espace illimité dans le temps et dans la géographie, les corps sont réunis, liés. Ils coexistent et fonctionnent aussi bien individuellement que collectivement.
L’histoire du palais de la Porte Doréeentre en collision avec Zon-Mai et l’ensemble du projet de la Cité. Anciennement consacré aux colonies, le palais, construit en 1931 à l’occasion de l’exposition coloniale, est aujourd’hui un lieu de réflexion sur la signification de l’immigration, ce qu’elle apporte et ce qu’elle véhicule non seulement dans notre société mais aussi de manière plus universelle. Un jeu visuel s’opère entre les frises de la salle et Zon-Mai qui nous apparait elle aussi comme une frise mouvante des vies nomades, des exils actuels. Une frise qui n’est pas figée dans le temps, qui se meut et évolue en fonction des expériences de chacun. Une frise dynamique à laquelle se joint les musiques métissées sélectionnées par les deux artistes.
Alors le déracinement peut concourir à l’identité, l’exil se révéler profitable, quand ils sont vécus non pas comme une expansion de territoire (un nomadisme en flèche) mais comme une recherche de l’Autre (par nomadisme circulaire). L’imaginaire de la totalité permet ces détours, qui s’éloignent du totalitaire. [E. Glissant – Poétique de la Relation, 1990]
Zon-Mai est une invitation au partage des expériences à travers deux postulats communs, collectifs : le corps et la maison, qui finalement, ne font plus qu’un. La maison abrite le corps et le corps est habité par tout ce qui nous construit, nous enrichit et nous révèle à l’Autre. Elle est aussi une magnifique interprétation des textes d’Edouard Glissant qui a décrit le monde (le Tout-Monde) comme un archipel dont chaque ilot communique les uns avec les autres. Un monde où le langage, qu’il soit corporel, textuel, chanté ou parlé, participe aux mutations, aux métissages, aux évolutions de nos sociétés. En cela, les artistes ont envisagé Zon-Mai comme « une ambassadrice d’une coexistence universelle et harmonieuse ».[1]
Julie Crenn
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Zon-Mai est présentée à la Cité Nationale de l’Histoire de l’Immigration, du 15 novembre au 31 décembre 2011.
Plus d’informations : http://www.histoire-immigration.fr/2011/9/la-zon-mai-au-palais-de-la-porte-doree.
Site de Zon-Mai : http://www.zon-mai.com/accueil_fr
Texte pour la revue Inferno : http://ilinferno.com/2011/12/08/zon-mai-sidi-larbi-cherkaoui-gilles-delmas/
[1] CHERKAOUI, Sidi Larbi. « La Zon-Mai : un voyage dans le temps et dans l’espace » in Zon-Mai / Parcours Nomades. Arles : Actes Sud, 2011, p.26.