Jean-Luc Verna formule depuis les années 1990 un univers fondé sur une connaissance aigue de l’histoire des arts, de la culture rock et populaire. S’il excelle dans sa discipline, le dessin, il est également photographe, sculpteur, acteur (notamment dans les films de Brice Dellsperger) danseur (dans la troupe de Gisèle Vienne) et chanteur du groupe I Apologies. Son œuvre est constituée de plusieurs facettes dont chaque ingrédient existe dans son œuvre dessinée. Si la musique joue un rôle primordial dans sa pratique, il voue un culte abyssal pour Siouxie Sioux, leader charismatique du groupe post punk Siouxies and the Banshees. Une femme qui a littéralement changé le cours de sa vie. Pour cette raison, Jean-Luc Verna s’entoure quotidiennement sa muse, dont le visage, l’attitude et la voix résonnent dans chacune de ses créations.
Le corps de Jean-Luc Verna est enveloppé d’une résille tatouée où souvenirs, mantras et portraits parsèment sa peau. Le premier est gravé sur sa cuisse : un portrait de Siouxie Sioux. Adolescent, il découvre la chanteuse sur le petit écran. Son apparence, son charisme et sa voix lui font l’effet d’un violent électrochoc. Cette révélation est si puissante, qu’elle déclenche des changements radicaux, il prend conscience de son corps, son apparence et de ses envies. Il commence à se maquiller, change de coiffure, de vêtements et prend la décision de s’affranchir de sa famille. Son corps qui ne correspondait pas à ses attentes et à sa personnalité va peu à peu incarner une esthétique punk et New wave, en accord avec un mouvement culturel et musical qu’il affectionne.
Siouxie Sioux devient un modèle à suivre. Un modèle non seulement esthétique, artistique mais aussi éthique et politique. « C’est une femme que j’aime pour moi qui suis féministe. Elle a de la puissance, elle prend sa destinée en main, elle ne se laisse pas avoir par une industrie menée par des hommes. C’est la femme libre et puissante. C’est Wonder Woman. Elle est un exemple magnifique. » Une puissance et une liberté sans compromis qu’il va transférer dans ses dessins où les portraits de la chanteuse se multiplient. Selon lui, Siouxie incarne la tragédie antique, « elle possède ce caractère transhistorique que j’aime dans le dessin et dans la littérature. Elle est à la fois la Pythie, la magicienne, Circé, la vampe etc. ». C’est donc naturellement qu’elle fusionne avec différentes références : mythologiques, artistiques, religieuses et populaires. Tour à tour Siouxie se fait femme fatale, sorcière, none ou prêtresse. Les surprenantes interprétations livrées par Verna forment un corpus d’œuvres dotées d’un caractère intemporel où le passé est réactualisé et où le contemporain se fait antique. Les périodes, les styles et les genres se télescopent sous nos yeux.
En 2001, au MAMCO à Genève, Christian Bernard l’invite à produire un all-over sur le sol d’une salle d’exposition. Jean-Luc Verna réalise Chapelle Siouxtine, un portrait de Siouxie avec son ex mari, harmonieusement intégré à l’imagerie fantasmagorique du Palazzo del Tè de Giulio Romano. Ainsi l’égérie post punk se marie avec le maniérisme italien du XVIème siècle. Les fresques du Palazzo del Tè à Mantoue sont un trésor de curiosité enfermé dans une architecture classique et austère. Le bâtiment est composé de plusieurs salons où tour à tour le visiteur rencontre la grâce, l’érotisme et la violence. « J’aime le maniérisme et j’adore le Palais du Té de Giulio Romano, je voulais à la fois représenter ma Sixtine (Sixtine Siouxie évidemment), les deux ont convergé et fusionné. »
Plus récemment, Jean-Luc Verna réalise une œuvre surprenante et mystérieuse intitulée Suzanne-Janet Préault (2011). Il s’agit d’un portrait de Susan Janet Ballion (alias Siouxie Sioux) dont le visage a fusionné avec celui de la sculpture-médaillon d’Auguste Préault, Le Silence (1842-1843, Musée du Louvre, Paris). L’œuvre de Verna existe en deux versions, l’une dessinée, lumineuse et légèrement colorée, l’autre plus sombre, exécutée en nuances grisées et noirâtres et encadrée de plumes noires. La seconde version rejoint un imaginaire sombre, où Siouxie Sioux apparaît comme une ombre fantomatique, une magicienne ou une sorcière sortant de l’obscurité pour nous adresser un message énigmatique. Il nous faut bien regarder, nous déplacer et revenir sur nos pas, pour deviner son visage serein et austère. L’artiste a conservé le format original et le caractère sculptural de l’œuvre de Préault : les drapés, la pose et l’expression ascétique. Le doigt sur la bouche, Suzanne-Janet, demande le silence. La chanteuse retient sa voix. Le Silence est le fruit d’une commande pour la tombe de Jacob Roblès. Le visage féminin évoque donc le silence de la mort, le silence éternel. Enfouie dans ce noir intense, Suzanne-Janet protège les secrets de l’artiste. L’œuvre traduit non seulement son admiration pour la femme, mais aussi une complicité vitale entre Verna et sa muse enchanteresse.
Pour vous procurer l’ouvrage, rendez-vous sur le site internet des Editions Derrière la Salle de Bains : http://leseditionsderrierelasalledebains.bigcartel.com/product/julie-crenn-a-l-interieur-de-jean-luc-verna