Elodie Antoine – Claude Cattelain – Isabelle Ferreira – Morgane Fourey – Rohan Graeffly – Sophie Hasslauer – Christine Mawet – Bérénice Merlet – Régis Perray
Commissariat / Julie Crenn
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TEXTE EXPOSITION /
J’aurais voulu travailler, mais il y avait en moi un fond de paresse énorme. J’aime mieux vivre, respirer, que travailler. Je ne considère pas que le travail que j’ai fait puisse avoir une importance quelconque au point de vue social dans l’avenir. Donc, si vous voulez, mon art serait de vivre ; chaque seconde, chaque respiration est une œuvre qui n’est inscrite nulle part, qui n’est ni visuelle ni cérébrale. C’est une sorte d’euphorie constante.
Marcel Duchamp – Entretiens avec Pierre Cabanes (1966).
Notre rapport au travail a considérablement changé au fil des décennies. En quelques chiffres, si au début du XXe siècle les Européens consacraient en moyenne la moitié de leur vie au travail, aujourd’hui, selon les classes, le temps de travail est redistribué. Nous avons procédé à une organisation du temps de travail pour non seulement concilier la vie professionnelle et la vie personnelle, mais aussi pour l’optimiser et nous rendre plus efficaces. Évidemment, les chiffres varient en fonction des pays, des classes sociales et du genre. D’un point de vue économique et intellectuel, le travail reste une préoccupation majeure. Quelles en sont les représentations ? Comment les artistes s’emparent-ils du sujet ? Comment se positionnent-ils par rapport à un milieu normé ? Par rapport à une économie (prospère ou précaire), une production et une obligation de résultat ? En fouillant dans l’histoire de l’art, des œuvres majeures figurent les gestes du travail, ses acteurs et ses outils. Le monde ouvrier et agricole y tient une place importante, spontanément nous pensons aux Glaneuses (1857) de Jean-François Millet, aux Raboteurs de parquet (1875) de Gustave Caillebotte, aux peintures ouvrières de Fernand Léger, les portraits photographiques d’August Sander et de Lee Friedlander, ou encore les films d’Allan Sekula. Le monde du travail (ses corps, ses gestes, ses outils, ses machines, ses vêtements) traverse la création artistique. Avec la présentation d’une sélection d’œuvres plurielles, Art[at]Work se propose d’envisager le travail de différents points de vue : matériel, physique, symbolique et politique.
À l’extérieur du palais abbatial, en haut des mats habituellement réservés aux drapeaux, sont agrippés des Paresseux dont les épaisses fourrures sont dotées de couleurs surprenantes. L’œuvre d’Elodie Antoine fonctionne ici comme un calembour, le travail est ici représenté par un groupe de Paresseux paisibles et immobiles. Ils apparaissent comme une réponse aux propos de Marcel Duchamp sur son refus de travailler et son droit à l’oisiveté, à la rêverie et à une sorte d’euphorie constante. Maurizio Lazzarato écrit que le travailleur est en droit de cultiver « l’irrégularité, l’imprévisibilité et l’indiscipline », trois propriétés indissociables de la création artistique.[1] Une question est ainsi posée : l’artiste est-il un travailleur comme un autre ? Une question à laquelle les œuvres de Morgane Fourey formulent une réponse possible. L’artiste pratique l’art du trompe-l’œil en manipulant un matériau pour en donner l’illusion d’un autre. Du plâtre est converti en plastique, de même du bois devient du carton. En apparence, tout est faux. À Saint-Hubert, elle présente une Série de Tables (2014-2015) envisagée comme un ensemble de portraits d’artistes et d’autoportraits. À l’aide de matériaux détournés, peints et façonnés, Morgane Fourey reconstitue à l’identique les tables de travail rencontrées dans les ateliers d’artistes. La table, recouverte de fragments d’œuvres, d’objets personnels, d’outils, de plantes, est le lieu de l’expérimentation, du faire, de la réflexion et de la création. La table d’atelier est l’espace de travail de l’artiste.
Une figure mythologique traverse l’exposition : Sisyphe. Dans la tradition gréco-romaine, il est dit que l’homme, ayant défié les dieux, a reçu un châtiment pénible, celui de pousser indéfiniment un rocher jusqu’au sommet d’une montagne. Une fois le sommet atteint, le rocher roule et retombe, Sisyphe soit donc reprendre une tâche impossible à réaliser. Le mythe traduit l’éternel recommencement, l’absurde, l’impuissance et l’épuisement physique. En ce sens, un parallèle peut être établi avec le monde du travail où, dans de nombreux secteurs, les gestes sont inlassablement répétés. Régis Perray mène depuis les années 1990 une réflexion sur les sols, sur le monde ouvrier (ses machines, ses matériaux) à travers des actions, des photographies-constats, des installations et des sculptures. Avec la série intitulée Les Ponsées, l’artiste intervient directement sur des peintures récoltées dans des brocantes. Avec de la paille de fer et du papier de verre, il ponce la couche picturale. En ôtant couche par couche la matière, il entre véritablement dans la peinture : la surface, la matière, le motif, la couleur et les secrets enfouis. Par la performance, Claude Cattelain travaille l’endurance physique. Il crée des structures éphémères ou bien des dispositifs liés à un lieu spécifique, où le corps est rudement mis à l’épreuve. Ainsi, il avance lentement sur une ligne de blocs de béton (Colonne Empirique en Ligne) : chaque mouvement est mesuré, son corps ne doit en aucun cas toucher le sol. Pas à pas, l’artiste tente de maîtriser son équilibre et sa force pour s’élever en haut d’une tour précaire qui menace de s’effondrer à chaque instant. Les œuvres et les installations de Bérénice Merlet participent d’une réflexion basée sur le temps, la répétition et la reproduction. Au palais abbatial, l’artiste fait surgir une autre figure mythologique, Pénélope. La tisseuse grecque défaisait et recommençait son ouvrage en attendant le retour d’Ulysse. L’artiste installe un dialogue entre l’architecture et le travail à l’aiguille. Les grands peignoirs renvoient aux notions de détente domestique, pourtant sur leurs dos sont brodés ou sérigraphiés des blasons de types ornementaux. Ces derniers font référence à des éléments architecturaux : les colonnes et les chapiteaux. Alors, la figure masculine, incarnée de manière absurde par les peignoirs, est associée aux Atlantes, qui, à bout de bras, supportent les constructions. Le détournement du vêtement est aussi présent dans l’œuvre d’Elodie Antoine, Chemises. Les chemises masculines de banquiers ou bien de bureaucrates sont encastrées les unes dans les autres. Elles créent un corps « autre », informe et improductif.
L’outil apparaît comme l’extension du corps qui se fait machine de production. Les artistes détournent leur usage et s’inscrivent dans une forme contre-productive. Une relation corps-outil que Rohan Graeffly amène vers la notion de maladie de travail. Algos, en grec ancien, signifie « douleur ». Les outils sont ainsi affublés d’un mal physique, qui, habituellement, touche le corps humain. Alors, les truelles se transforment en béquilles, la massette est victime d’une déformation osseuse, une palette de bois souffre d’une cyphose, la bêche, dotée de trois têtes, est au bord du burn-out. L’artiste formule ainsi une réflexion sur les maux des travailleurs. Parce que son « corps » est rendu malade, l’outil devient inutile. Son aura anthropomorphique renvoie au travail de manière générale : ses formes, ses modes, ses conditions, ses injustices. L’idée la répétition, de l’épuisement du corps au travail est mise en avant avec les sculptures d’Isabelle Ferreira qui martèle le bois. La série intitulée Substractions apparaît comme un entre-deux : entre la peinture et la sculpture. Les planches de contreplaqué sont bombées puis attaquées au marteau. Les marques inscrites dans la matière sont semblables à des touches de peintures. Le pinceau est substitué par le marteau, outils de construction comme de destruction. Depuis quelques années, Sophie Hasslauer construit des parpaings à partir de morceaux de sucre. Qu’il s’agisse du matériau alimentaire ou du matériau de construction, ils sont tous deux produits de manière sérielle et industrielle. En combinant le sucre et la forme du parpaing, l’artiste produit un nouveau matériau : fragile, unique et artisanal. Ils sont présentés seuls, empilés sur une palette de bois ou bien sous la forme de murs. Christine Mawet réfléchit à la forme de l’outil en tant que motif. Elle travaille à partir d’outils de jardinage fabriqués dans les années 1950 dans une usine dirigée par les frères Mawet (le grand-père de l’artiste et ses frères). Les outils sont vecteurs d’une histoire personnelle que l’artiste transforme et recontextualise. Pour cela, elle s’emploie à dessiner les silhouettes des outils, puis à les répéter, les combiner et les reproduire sur différents supports : papier peint, tabliers, moulages, affiches. À Saint-Hubert, l’artiste investit les vitres du palais abbatial au moyen de films à al fois opaques et transparents. Les outils figurés en noir et blanc forment une dentelle créant un jeu entre l’architecture, la lumière et l’ombre. Chacun des artistes de l’exposition fouille une histoire personnelle, souvent familiale, nourrie de gestes, d’images, d’objets, de matières, d’odeurs et de sensations. Par le prisme du travail, les artistes génèrent une traduction de leurs histoires non seulement pour les transfigurer, mais aussi pour leur donner une portée collective.
Julie Crenn, mars 2015
[1] LAZZARATO, Maurizio. Marcel Duchamp et le refus du travail. Paris : Les Prairies Ordinaires, 2014, p.8.
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NL / ART[at]WORK /// NL
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ISABELLE FERREIRA
Née en 1972, vit et travaille à Paris.
« Les deux dernières séries, Wall box (depuis 2011) et Substractions (depuis 2012) sont des peintures réalisées à partir de planches de contreplaqué auxquelles j’attribue le statut de toile. Une fois recouvertes d’acrylique à la bombe aérosol, ces planches sont littéralement sculptées à l’aide d’un marteau (côté arrache-clou) qui entame plus ou moins la surface du bois peint. Cette action est radicale et irréversible. Après mon passage, le bois est blessé, ces blessures peuvent aller jusqu’à faire des trous dans le panneau. Lorsque je travaille, j’ai en tête l’impossibilité de revenir en arrière, le caractère définitif du geste, ma rapidité d’exécution et son efficacité. Mes gestes sont rapides, par peur de perdre mes intuitions, le sens de l’œuvre, mais aussi pour ne pas tomber dans la posture. La multitude des touches, construites par soustraction de la matière, rappelle des coups de pinceaux en négatif empruntés à la gestuelle du peintre, mais aussi à celle du tailleur de pierre. J’aime aussi l’idée que des outils plutôt grossiers puissent devenir des instruments qui me conduiront ensuite à en faire un usage très appliqué. La peinture que j’utilise est elle-même sans grande qualité car je peins avec des bombes acryliques, les mélanges sont rares, j’aime travailler rapidement. Avec mes nouvelles pièces, j’ai trouvé des réponses à mes recherches. Je ressens une grande harmonie entre le besoin intrinsèque que j’avais de poser un geste dans le champ de l’art et la résonance du résultat qu’il provoque aujourd’hui. Je suis parvenue à quelque chose de fondamental et structurel dans mon travail, qui embrasse tout ce que j’ai fait depuis dix ans. »
(Isabelle Ferreira, entretien avec Julie Crenn, revue Laura, mars 2014 /// A LIRE ICI).
ROHAN GRAEFFLY
Né en 1975, vit et travaille à Houdrigny.
Algos est une série d’objets-sculptures, des outils liés au monde du travail que l’artiste a modifié de manières plus ou moins flagrantes. Algos, en grec ancien, signifie « douleur ». Les outils sont ainsi affublés d’un mal physique, qui, habituellement, touche le corps humain. Alors, les truelles se transforment en béquilles, la massette est victime d’une déformation osseuse, une palette de bois souffre d’une cyphose, la bêche, dotée de trois têtes, est au bord du burn-out. L’artiste formule ainsi une réflexion sur les maux des travailleurs. Des maux souvent physiques causés par la répétition de gestes, eux-mêmes induits par l’utilisation d’un outil ; mais aussi des maux psychologiques dus au stress des objectifs et aux multiples pressions. L’outil cause une douleur qui peut se révéler immédiatement ou bien s’installer avec le temps (l’usure du corps et des nerfs). Parce que son « corps » est rendu malade, l’outil devient inutile. Son aura anthropomorphique renvoie au travail de manière générale : ses formes, ses modes, ses conditions, ses injustices. L’artiste précise qu’il s’agit d’un « portrait de nous-mêmes dans l’effort qui nous détruit. » Il pointe du doigt le caractère productiviste du travail, dont le résultat prime souvent sur le bien-être des corps. (Julie Crenn)
REGIS PERRAY
Né en 1970, vit et travaille à Nantes.
Sans théories ni grandes prétentions, Régis Perray expérimente le réel au quotidien. L’art et la vie se confondent dans une démarche où le dialogue avec le lieu est primordial. Il s’est construit sur un postulat simple et clair en ayant établi des règles auxquelles il s’attache. Regarder, comprendre, fouiller, marcher et activer, l’artiste se laisse entraîner par les lieux, les villes et les rencontres qui émergent de ses expéditions. Son corps se fait le récepteur des lieux dont il est à l’écoute. Une écoute physique, intellectuelle et spirituelle, qu’il traduit par ses activités et ses constats. Par le geste, il capte leurs esprits et leurs histoires. Au sol, il travaille la mémoire des pierres, des parquets, de la terre et du bitume pour leur rendre en toute discrétion une dignité, une attention et une forme de noblesse. Régis Perray se met au service d’un patrimoine rendu invisible, abandonné, indésirable ou bien trop commun pour être considéré à sa valeur. Il engage un dialogue mutuel avec le lieu et grâce à une gestuelle laborieuse, mais humaine, il lui restitue simplement son existence.
Les Ponsées / Depuis une dizaine d’années, Régis Perray souhaitait travailler le papier peint, un matériau lié à la famille, à la maison d’enfance. Un matériau avec lequel nous avons grandi. En 2012, il découvre chez sa grand-mère un vieux catalogue d’échantillons de papiers peints qui constitue le point de départ d’une collection qu’il décide de poncer. Armé de papier de verre, il procède à un travail de passages successifs. Le processus de ponçage requiert patience et exigence. Son objectif n’est pas d’effacer les motifs, mais au contraire de les ranimer en leur conférant un vécu. Il réveille ainsi leurs qualités intrinsèques et leurs motifs. Les traces du ponçage agissent comme celles du temps dont l’artiste accentue les effets. Il en est de même pour Les Ponsées, une série de peintures récoltées auprès de brocanteurs nantais. Dans leurs stocks, les croûtes, réalisées en majorité par des peintres du dimanche, attendent de réintégrer un foyer. Comme pour les papiers peints, l’artiste ponce les natures mortes, les paysages et les portraits chinés. En ôtant couche par couche la matière, il entre véritablement dans la peinture : la surface, la matière, le motif, la couleur et les secrets enfouis. Parce qu’il est férocement amoureux de la peinture et de son histoire, l’artiste choisit, par le rapport physique et abrasif, d’attaquer les toiles. Une relation paradoxale est générée au profit d’une relecture d’œuvres négligées, écartées des maisons et des musées.(Julie Crenn)
MORGANE FOUREY
Née en 1984, vit et travaille à Rouen.
Morgane Fourey met en scène le montage ou le démontage de l’exposition en se réappropriant son vocabulaire technique, pratique et logistique. « Mes pièces sont fermées. Figées dans le temps. Privées de leurs fonctions puisqu’il s’agit de faux objets. Elles deviennent bavardes lorsque l’on s’en approche, que l’on observe les détails, ensuite on se rend compte de la dimension picturale de chacune des œuvres. » L’apparente brutalité de ses œuvres recèle pourtant une réflexion pertinente sur la peinture et sur l’implosion de la hiérarchie entre arts et artisanats.
L’artiste opère un travail de fourmi. Une entreprise absurde qui tend à renverser les normes, les codes et les habitudes du regardeur. Entre art et artisanat, elle trouve un équilibre qui lui permet de dégager différentes problématiques en lien avec l’histoire de la peinture (son passé, son présent et son avenir), avec le format de l’exposition (l’objectif de tout artiste), ainsi qu’avec une réflexion basée sur les rapports difficiles entre des univers apparemment séparés. Elle rapproche ainsi l’art et le travail, l’art et l’artisanat, le réel et le fictif, le familier et l’inconnu. L’industriel, l’artistique, l’artisanal sont ainsi imbriqués avec pertinence. Chacune de ses pièces plonge le regardeur dans une mise en abîme complexe où les comportements et les réflexes sont faussés, perturbés et finalement reformulés. « Lorsqu’il s’agit d’art contemporain, on a l’impression de tout connaître, on arrive dans une exposition ou face à une œuvre avec des a priori. Lorsque je fais un mur en placo, les visiteurs ne s’approchent pas de la pièce, ils se tiennent à l’écart et se demandent pourquoi l’artiste a-t-elle posé un mur en placo. Ils ne s’approchent pas pour en voir la substance, il faut aller voir de plus près. Il y a une sorte de retenue par rapport à l’œuvre. » Une retenue que Morgane Fourey vise à atténuer. Une véritable confrontation doit avoir lieu. Avec une économie de moyen et des dispositifs de déplacements perceptuels, contextuels et matériels, elle parvient à nous extirper d’un confort visuel chargé en références, en discours figés et répétés, pour nous surprendre et nous amener à réfléchir autrement. (Julie Crenn)
CHRISTINE MAWET
Née en 1971, vit et travaille à Bruxelles.
Cette collection de motifs « Back to the tools » aurait pu s’appeler également « Back to the roots » puisqu’il est question pour moi de retourner aux sources de mon histoire paternelle et de trouver ainsi une forme d’enracinement à travers la découverte singulière d’un catalogue d’outils de jardinage datant des années 50. Ce catalogue, issu du passé, appartenait aux industriels « Mawet frères ». Société qui n’existe plus aujourd’hui et que mon grand-père, Édouard Mawet, décédé un an avant ma naissance, dirigeait avec ses frères. Fidèle à ma thématique de prédilection, la vanité des êtres et des choses, je cherche une fois encore à déjouer le temps qui passe, à mettre le doigt dans l’engrenage de ce mécanisme terrifiant de régularité. Comme s’il était possible de repousser la mort le temps d’un instant et de la tenir à distance. Il ne s’agit plus cette fois d’anticiper la fin, la chute, le déclin, mais de remonter le cours de l’histoire. Rechercher la gloire qui a précédé la décadence. Redonner vie à une époque de réussite et de bonheur avant que la maladie et la mort ne frappent. Retrouver quelques instants de cette plénitude perdue en suivant le tracé rigoureux de dessins techniques d’outils de jardinage. Redonner vie à ces motifs périmés, à travers une vision graphique contemporaine. Voir comment il est possible de les agencer pour quitter leur sens premier, leur fonctionnalité première : couper, vider, creuser, piquer, planter pour partir vers un motif floral ou végétal et les décliner à l’infini jusqu’à l’abstraction géométrique : triangles, ronds, carrés, étoiles, etc. Cette collection de motifs « Back to the tools » est encore en pleine effervescence. D’autres agencements se matérialiseront bientôt et viendront s’ajouter à cette première série. (Christine Mawet)
SOPHIE HASSLAUER
Née en 1971, vit et travaille à Val-de-Vesle.
La pratique de Sophie Hasslauer est motivée par une envie insatiable de repositionner notre regard par rapport au monde des objets. Qu’ils soient issus du quotidien, de la culture populaire et sérielle, elle manipule leurs essences et leurs fonctions. Les évidences sont testées et éprouvées. Son travail plastique repose sur la perception, les situations et les déviations visuelles. Elle s’attache à chaque facette du monde vécu pour en extraire les contradictions, les oublis et les absurdités. L’artiste fait surgir des matériaux et des objets un discours critique et ironique. Sa triple formation, à la fois en histoire de l’art, en arts plastiques et en architecture, lui donne la possibilité de réfléchir non seulement sur ce qu’elle voit, mais aussi d’inscrire les objets dans une histoire des formes et un système marchand compulsif. Sur un mode humoristique et satirique, elle s’attaque aux aberrations de notre société qui s’éloigne chaque jour un peu plus de l’essentiel. (Julie Crenn)
ELODIE ANTOINE
Née en 1978, vit et travaille à Bruxelles.
Les pièces que l’on connaît d’Elodie Antoine font appel à des matériaux souples, tels le fil, le tissu, le papier peint, le tapis en laine ou le feutre. Il se peut aussi qu’elle travaille sur l’objet quotidien, la chaise, le cadre, l’évier, mais en transgressant leur limite. De plus en plus, Elodie Antoine tend à investir l’espace dans sa globalité par la mise en scène d’objets qui paraissent se générer par eux-mêmes. Son travail fait usage de matières textiles pour composer un univers entre l’organique et le végétal où chaque forme aux morphologies étranges semble en devenir. Explorant les potentialités des matériaux, elle laisse la multiplicité et l’excroissance advenir selon un cheminement qui leur est naturel, mais qu’elle maîtrise savamment. (…) La démarche d’Elodie Antoine tend aujourd’hui à se confronter de plus en plus à l’espace dont elle se sert comme d’un laboratoire de recherche. Et les installations qu’elle organise jaillissent des spécificités du lieu comme si elles tendaient à faire corps avec lui. (Nathalie Stefanov)
CLAUDE CATTELAIN
Né en 1972 au Zaire, vit et travaille à Valenciennes.
Claude Cattelain aime la sobriété. Il aime dépouiller les formes, les techniques, les matériaux et les délester de tout effet. Au modelage du sculpteur, à la ciselure du décorateur, à la taille du charpentier, Claude Cattelain a substitué la manipulation et l’utilisation de la matière brute et de l’objet ordinaire. Ses mains, sa tête, ses bras et ses pieds ont pétri, porté, planté, foulé, tenu, aspiré… Leur enchaînement a structuré ses performances sur la base des vases communicants et du déplacement. A mesure que son corps se dépense, l’artiste en entrave le mouvement. Dans un lieu confidentiel ou peu accessible, sauf quand il s’agit d’une performance publique, ses actions sont toutes pensées, réalisées et cadrées en fonction de la vidéo qui les filme, en plan fixe. L’atmosphère silencieuse doit être propice à la concentration. Certaines d’entre elles sont dangereuses. Tout est pourtant calculé pour donner au caractère performatif une réelle existence et une réelle consistance. Le spectateur peut être mal à l’aise devant ses prises de risques, notamment quand, au bord d’une toiture-terrasse, son dos défie le vide. Il peut aussi être admiratif devant une telle constance et une telle pugnacité. Et puis il est aussi amusé devant des performances plus légères et absurdes ou ému et bouleversé quand le corps de l’artiste se soumet à des épreuves presque inhumaines. (Barbara Forest – Conservatrice du Musée des beaux-arts de Calais).
![Claude Cattelain - Colonne Empire en LIgne - Palais Abbatial de St Hubert - ART[at]WORK](https://crennjulie.files.wordpress.com/2015/05/11752472_10205756419703164_6396404243666012927_n.jpg?w=800&h=443)
Claude Cattelain – Colonne Empire en LIgne – Palais Abbatial de St Hubert – ART[at]WORK (17 juillet 2015). Photo / Rohan Graeffly
BERENICE MERLET
Née en 1980, vit et travaille à Bruxelles.
Graver, maroufler, imprimer, décalquer, reproduire, tapisser, publier…
Les œuvres de Bérénice Merlet ressemblent dans leur fonctionnement à des matrices, ces pièces de métal que l’on gravait au moyen d’un poinçon afin de réaliser les caractères d’imprimerie. L’action de reproduire, de décalquer, de déplacer, la question de l’empreinte et de la répétition sont au centre de ses pratiques et des ses œuvres, que ces actions en constituent le préalable, l’essence ou le résultat. Ainsi La Chambre de travail et Barricade sont-elles constituées à la fois des matrices gravées par l’artiste et des tirages réalisés au moyen de celles-ci, qu’ils prennent la forme de sacs de sables, de lais de tapisserie, ou de livres… Camouflage, Une forme aveugle quant-à-eux sont le résultat d’actions semblables, de reproduction ou de décalque d’une forme préexistante, dont nous ne pouvons que deviner la nature.
Elles sont aussi des matrices au sens ancien de mater, la mère qui donne naissance, le milieu de la reproduction même : matrice d’actions répétées inlassablement par l’artiste, matrice d’une temporalité bien particulière, qui ne se clôt pas tant que la tâche n’est pas achevée. Lorsqu’il écrivait sur le jeu, Walter Benjamin expliquait que «toute expérience profonde aspire à être insatiable, aspire au retour et à la répétition jusqu’à la fin des temps, et en le rétablissement d’un état initial dont il est issu » : il y de même chez Bérénice Merlet une joie mêlée de sérieux dans la répétition, une manière d’ancrer le geste dans une matérialité, mais aussi de faire émerger d’infinies variations qui se détachent progressivement du motif de départ et se déploient alors dans une différence radicale.
Matrices de récits, terrains de jeu imaginaires, nourris des histoires qui leur donne naissance, qu’il s’agisse de contes (J’ai mangé grand-mère, Renard), d’histoires de femme et de famille (la Chambre de travail), les œuvres de Bérénice Merlet semblent imprégnées d’un imaginaire et d’une intimité dont on ne sait s’ils appartiennent à l’artiste ou à nous-mêmes… Pour aborder ces propositions, il faut se prêter au jeu, se glisser dans la peau de l’enfant comme on se glisse sous le bureau. C’est à travers le jeu et le récit, à travers la répétition des gestes réalisés patiemment par l’artiste, c’est en s’inventant le chemin qu’elle a parcouru que les contradictions s’évanouissent et que l’espace s’ouvre, puis se referme derrière nous. La fragilité n’est alors plus qu’apparence, c’est la force des récits qui régit l’espace. (Julien Zerbone).
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IMAGES DE L’EXPOSITION ///
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PRESSE ///
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ART[at]WORK
Palais Abbatial – Saint-Hubert
18 juillet – 11 octobre 2015
(Vernissage de l’exposition le 17 juillet 2015)
Elodie Antoine – Claude Cattelain – Isabelle Ferreira – Morgane Fourey – Rohan Graeffly – Sophie Hasslauer – Christine Mawet – Bérénice Merlet – Régis Perray
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