Depuis les années 1990, Jacques Julien développe une réflexion sur la forme : son élaboration, sa réalisation et son abandon. Passionné par les œuvres de Barnett Newman et de Blinky Palermo, il s’engage dans la peinture minimale avec une production intense de monochromes. Sur la surface de la toile, il expérimente les techniques, les matériaux, les gestuelles. Un travail de modulation de la forme et de la couleur qui ne le satisfait pas. Conscient de prendre une mauvaise direction et de se perdre dans ce laboratoire, il décide de représenter au fusain une piste d’athlétisme. Sur un rouleau de cinquante mètres, il trace des lignes, et par un système de trames et de hachures il recouvre le papier. Pendant un mois, il s’applique laborieusement à donner forme à la piste. Couvrir la Distance (1992) marque un premier tournant dans sa réflexion et dans sa pratique. La référence au monde sportif, qui est au départ un moyen d’aller à contresens de ses œuvres antérieures, devient petit à petit une réponse à ses propres questionnements : que signifie faire de l’art aujourd’hui ? Comment faire de la peinture à une période où se chamaillent les modernistes et les postmodernistes ? Alors que l’idée et le format ont pris le pas sur les ambitions créatrices, comment parler de la forme ? Jacques Julien fait du terrain de sport un espace de mesures, de projections et de formes. Son ambition est de comprendre par la pratique ce qui se joue entre une œuvre, son processus de réalisation, sa mise en espace et sa réception auprès du spectateur. En s’attachant à la peinture et à la sculpture, il mène une observation des enjeux fondamentaux de la création.
Depuis quelques années, une nouvelle phase est activée, le rapport à la main est privilégié. Ses mains deviennent son unique outil grâce auquel il élabore des pièces de différentes échelles. Des « petites sculptures » modulées sur une petite table de son atelier, les maquettes possibles de sculptures de taille moyenne, qui elles-mêmes peuvent devenir des sculptures de grandes tailles. L’échelle de la main est un des moteurs de sa production. En 2011, lors de l’exposition Dur comme Plume, Léger comme Pierre à l’Orangerie du Domaine Départemental de Chamarande, il présente pour la première fois ses maquettes, un ensemble de soixante-douze petites sculptures intitulé Les Empathiques. Elles représentent dix années de pratique d’atelier. La série apparaît comme un condensé miniature de ses recherches formelles, matérielles et spatiales depuis les années 1990. Si de nombreuses maquettes ont donné naissance à des pièces aux formats plus généreux, d’autres attendent encore leur tour. « Je reviens à des gestes basiques, presque régressifs. Des gestes de poterie. L’économie est véritable tant au niveau des matériaux que des gestes. Couper, trancher, jeter, point barre. La terre crue (poétiquement très fragile) est repeinte puisque lorsqu’elle sèche, ses couleurs deviennent plus fades. En peignant la terre, je revenais vers la couleur initiale, celle que je voyais lorsque je la travaillais. » Dans la continuité de cette première série aux formes primaires, il réalise Pièces Uniques (2012). Cinquante-quatre petites sculptures disposées, tels des totems, sur autant de hauts socles blancs au cœur de la Chapelle du Genêteil. L’artiste coupe et assemble des tranches de terre, il y plante des composants miniatures (grilles, chaînes, poteaux de basket) peints ou bruts. L’économie gestuelle et matérielle est flagrante. Matisse estimait que « plus la sculpture est petite, plus l’essentiel de la forme doit s’imposer. » Jacques Julien pousse le rapport physique avec la matière en faisant interagir la répétition, le rythme, l’échelle, la modulation, le ratage.
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