Arrive-t-il d’un pays lointain
Ce volatile au regard éteint
Moi je le crois revenu
Apeuré et nu
Du fond de ma mémoire
Rétive
Alors du temps qui passe.
Feu ! Chatterton – L’oiseau (2018)
La rencontre constitue un point de départ dans le processus plastique d’Hayoun Kwon. De cette rencontre, elle retient une histoire, une expérience passée qu’elle va ensuite mettre en image. Elle travaille et façonne l’espace du souvenir en s’immisçant dans un territoire spatio-temporel régi par la fuite, l’oubli et par conséquent l’interprétation. L’artiste nous donne à expérimenter des souvenirs impermanents. L’Oiseleuse (The Bird Lady) est une œuvre vidéo résultant d’une installation en réalité virtuelle, et qui, à l’occasion de l’exposition est accompagnée d’images sérigraphiées. L’œuvre consiste en un hommage et une réponse au souvenir d’un homme, Daniel, qui fut son professeur de dessin aux Beaux-arts. Depuis une dizaine d’années, il partage ses souvenirs de jeunesse, de ses amis et de ses expériences. Avant le dessin, il a travaillé brièvement en tant qu’assistant de gestionnaire de biens. L’artiste raconte : « En 1967, à Paris, Daniel devait visiter les appartements de tous les locataires d’un ancien bâtiment pour mesurer les espaces intérieurs et en dessiner les plans. Il m’a dit que chaque porte ouvrait sur un autre monde. Lorsqu’il est entré chez l’oiseleuse, il était si émerveillé qu’il a complètement oublié le but de sa visite. Il oubliait la réalité derrière lui pour se plonger dans un monde unique et nouveau. Il a discuté avec elle, il est reparti sans mesurer ni dessiner. Le soir même, il a dû inventer un plan. » Hayoun Kwon est séduite par le récit inévitablement sublimé de ce qui fut un évènement magique. Un récit augmenté(1).
Hayoun Kwon décide alors de reconstituer l’exploration spatiale et la rencontre avec l’oiseleuse. Aidés par la technique permettant une réalité augmentée, nous entrons dans l’immeuble, accédons aux différents appartements, aux différents univers proposés(2). La voix de Daniel accompagne notre déambulation. L’artiste multiplie ainsi les réalités et notre perception d’un souvenir mis en partage. Dans un jeu de rôle d’un nouveau genre, nous nous installons dans les yeux et les déplacements de Daniel pour assister, avec lui, à une réminiscence où l’objectivité se cogne au fabuleux. La découverte des espaces est doublée, « nous visitons deux fois un même espace. » Une première fois, des illustrations et des éléments décoratifs sont intégrés aux scènes pour accentuer la lecture idéalisée et enchanteresse de la progression. On voit par exemple des cages à oiseaux scintillantes apparaître et disparaître, laissant s’échapper des oiseaux à l’intérieur de l’immeuble. Une seconde fois, où les lignes noires de l’architecture forment un espace mental sur fond blanc. L’entrée dans l’appartement de l’oiseleuse (personnage absent) apparaît comme une épiphanie, une hallucination féérique. Nous assistons aux envols lumineux d’oiseaux multicolores. Ils volent dans un espace flottant, indéterminé, à la fois ouvert et fermé. La scène finale présente Daniel se tenant debout, les yeux clos, le bras levé. Un petit oiseau jaune se pose quelques secondes sur sa main et reprend son envol. La scène est pensée comme une métaphore de la fragilité, la délicatesse et la fugacité des souvenirs. L’espace mémoriel devient le lieu de création de récits multiples : celui de Daniel, celui de l’artiste qui interprète une expérience, et les nôtres via nos propres projections. Un lieu où la réalité se frotte à la fiction, c’est-à-dire à un récit qui imite le réel. « Or l’opérateur principal de la mise en ʺfictionʺ de la vie individuelle et collective, c’est l’oubli ; […] ce sont les modalités de l’oubli, les mises en scène et les mises en œuvre qui ʺconfigurentʺ le temps dans la vie même pour en faire une sorte de récit que se racontent ceux qui le vivent en même temps qu’ils le vivent.(3)» L’installation repose sur la fabrication d’une expérience vécue par un autre à l’intérieur de laquelle nous sommes invité.e.s à nous mouvoir visuellement et physiquement. Hayoun Kwon déjoue par là les mécanismes de
l’oubli pour retenir dans le temps et dans l’espace une fiction mémorielle qui à son
tour engendre de nouvelles projections et de nouveaux souvenirs.
Julie Crenn
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1_ Les citations de l’artiste sont extraites d’un échange mené le 13 aout 2018
2_ À la galerie Sator, Hayoun Kwon a choisi d’adapter l’œuvre à l’espace. Elle présente l’œuvre vidéo
accompagnée d’images sérigraphiées issues de L’Oiseleuse
3_ AUGÉ, Marc. Les Formes de l’oubli. Paris : Editions Payot & Rivages, 2001, p.47
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exposition du 22 septembre au 27 octobre 2018
vernissage à l’occasion de
PASSAGE PAS SAGE samedi 22 septembre
en présence de l’artiste
de 15h à 22h
Communiqué de Presse de l’exposition
galerie Sator / Lise Traino
+33 (0)6 89 46 02 84
lise@galeriesator.com
Charlene Fustier
+33 (0)6 62 46 27 10
charlene@galeriesator.com
8 passage des Gravilliers
75003 Paris, France
+33 (0)1 42 78 04 84
www.galeriesator.com
du mardi au samedi 14h–19h
et sur rendez-vous