[TEXTES CRITIQUES] SCENE REUNIONNAISE

Gabrielle Manglou, série Météores, 2017. Impression sur dos bleu, 91 x 125 cm. Courtoisie de l’artiste.

Je suis venue pour la première fois à La Réunion en 2015 pour y rencontrer les artistes, les acteurs et les actrices d’une scène, dont je dois l’avouer, je ne connaissais presque rien. Après un véritable marathon ponctué de visites d’ateliers, d’expositions et de longues discussions, j’ai entrevu la scène réunionnaise : énergique, généreuse, engagée et critique. En visitant l’exposition L’Envers de l’île au Musée Léon Dierx, j’ai immédiatement été frappée par le discours critique développé par de nombreux artistes. Pourtant, les œuvres n’offrent pas une confrontation directe, bien au contraire, elles sont empreintes d’une dimension à la poétique et métaphorique qui génère une vision critique qu’il nous faut apprivoiser.

Toutes générations confondues et chacun à leur manière, les artistes prennent à bras le corps l’histoire et les réalités (géographiques, économiques, culturelles) de l’île. Pour cela, ils développent des mécanismes de résistance plastique, critique et théorique. En refusant l’exotisme, en se heurtant aux réalités de l’île sans jamais l’idéaliser ou la fantasmer. En faisant face aux contradictions, aux stéréotypes, aux injustices et aux aberrations. Les terrains d’action et de réflexion sont multiples. Des artistes comme Wilhiam Zitte, Catherine Boyer et Thierry Fontaine creusent les questions liées aux identités et à la créolisation. Wilhiam Zitte consacre son travail à la communauté noire de l’île, les Cafres. Ses recherches sont mises en forme au moyen de matériaux pauvres  et de techniques basiques comme le pastel, le pochoir et l’installation. Un choix technique et matériel qui s’inscrit pleinement dans un engagement politique de produire un art anti-élitiste, un art compréhensible par un public large sans distinction d’âge, de culture ou de classe. L’identité, comme le montre l’œuvre de Jean-Claude Jolet peut se révéler être un véritable piège, vecteur de violence et d’asphyxie. De son côté, Catherine Boyer aborde l’île de façon plus intime en observant, sa végétation dense et luxuriante. Ses dessins fouillent un univers trouble et complexe, où les apparences sont trompeuses. Les feuilles, les lianes et les fleurs recèlent une violence sourde chargée d’une dimension à la fois piquante et érotique. Les dessins esquissent une tentative d’échappement par l’imaginaire. Les photographies de Thierry Fontaine restituent une sensation d’étouffement, un poids, une oppression quotidienne due à l’histoire de l’île, mais aussi à sa réalité physique et géographique. Il réalise des portraits, où les figures, toujours masquées, entretiennent un rapport profond avec les éléments : la terre, l’océan, la lumière, le sable, le verre. Il traite autant de l’attachement viscéral que d’une forme d’aliénation. Une donnée que nous retrouvons au creux des peintures de Jimmy Cadet, qui, par la nature morte, remet en cause l’image fantasmée d’un vivre ensemble créole sans accroc. Il y fait dialoguer des éléments élégants et bourgeois, avec d’autres motifs nous envoyant à différentes formes d’addictions et à un mal-être sous-jacent. Deux réalités sociales cohabitent au sein d’un même espace, d’une même composition. Cette promiscuité engendre des tensions accentuées par d’autres éléments perturbateurs et intrusifs. Derrière la créolisation et les paysages radieux se joue une violence sociale que les artistes s’engagent à saisir. Ainsi, Morgan Fache photographie le dénuement de celles et ceux qui vivent dans la rue, tout comme Stéphanie Hoareau s’emploie à peindre les portraits des égarés et des marginaux. Des hommes et des femmes qui sont au fil des années devenus des icônes urbaines, à la fois visibles et totalement invisibles. Morgane Fache mène aussi un travail de recherche sur les origines de la précarité et des fortes disparités sociales. Il explore alors la dimension économique de l’île : ce qu’elle produit, ce qu’elle exporte et ce qui est importé. De même, Yohann Quéland de Saint-Pern & Tiéri Rivière réfléchissent aux formes de ces échanges économiques, ses contenants, ses moyens de transport et son architecture. Les sculptures, installations et vidéos traduisent un système sclérosant, autosurveillé et déshumanisé. Alors, les artistes réunionnais malaxent une histoire et une présence sur et face à l’île dont ils ne cesseront jamais d’en faire le tour. Avec une dose d’empathie, jamais mêlée de complaisance ou de nostalgie, ils tentent d’en saisir toute la complexité.

Julie Crenn

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CATHERINE BOYER /

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Catherine Boyer explore un territoire organique où la Nature et le corps s’entrelacent d’une manière à la fois sensuelle et poétique. Elle réalise des sculptures, des installations et des dessins où les détails fourmillent : feuillages, lianes, fluides, cheveux, excroissances, cavités, piquants, veines, pustules, tressages, gouttes et fleurs. L’artiste s’inspire à la fois de son expérience personnelle, de son corps, mais aussi de l’environnement dans lequel elle vit et travaille. En ce sens, la flore réunionnaise constitue une source intarissable pour son imaginaire puisqu’elle étudie aussi bien les fleurs, les arbres, les coquillages, les pierres ou les herbes. Elle recherche des aspérités et des particularismes qui peuvent entrer en écho avec son propre corps.

Le modelage et le dessin de ses formes requièrent patience, lenteur et minutie. Les compositions, qu’elles soient traduites en volume ou couchées sur le papier, sont exécutées comme des dentelles où les éléments s’hybrident et s’embrassent les uns avec les autres. En combinant ce qui est caché et ce qui est visible, l’artiste articule des paysages qui ne se rencontrent pas habituellement dans le monde réel. La rencontre imaginaire sécrète de nouveaux paysages guidés par une vision dichotomique du fait de leurs caractères à la fois fantasmagoriques, étranges, fascinants et dérangeants. En alliant les paysages extérieurs et la flore intérieure, Catherine Boyer déploie un univers extrêmement intime au sein duquel elle nous invite à nous projeter. Emprunts d’une charge érotique indéniable, de douceur et d’une violence sourde, les fragments de paysages conjuguent les mystères et les énergies vitales du corps et de la Nature.

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ABEL TECHER /

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L’œuvre d’Abel Techer s’inscrit dans un héritage artistique lié à la scène queer qui développe depuis les années 1930 une réflexion sur le genre, le corps et les stéréotypes sexuels. De Frida Kahlo à Catherine Opie, en passant par Andy Warhol, Claude Cahun, Samuel Fosso ou Jean-Luc Verna, le jeune artiste explore la performance du genre. Par la peinture, la photographie, la sculpture, l’installation et la vidéo, il réalise des portraits et des autoportraits pour mettre en image et donner des formes à la construction d’une identité, d’un « corps culturel », d’une histoire personnelle dont la portée est, comme bien souvent, collective. Abel Techer superpose son visage à celui de sa mère, interrogeant la filiation physique, la relation intime, l’histoire commune. Alors, les autoportraits agissent comme les écrans de son intimité et d’une identité mouvante. Ses traits et ses formes androgynes perturbent les critères standards d’identification ou de catégorisation. Un homme ? Une Femme ? Peu importe… En ce sens, il active la notion de la performativité du genre telle qu’elle est énoncée par Judith Butler. Théoricienne féministe américaine, Judith Butler envisage le genre comme une identité fluctuante, qui se transforme au fil de l’expérience de vie de chacun. Elle parle alors d’une performativité du genre qui « n’est pas un acte unique, mais une répétition et un rituel, qui produit ses effets à travers un processus de naturalisation qui prend corps, un processus qu’il faut comprendre, en partie, comme une temporalité qui se tient dans et par la culture. » (Troubles dans le genre – 2005). Abel Techer met en avant ce qu’il nomme « la malléabilité des genres ». Il s’agit alors pour lui de lutter contre les automatismes et les clichés dictés par la pensée dominante. Par le travestissement, le travail des poses et l’exposition du corps, l’artiste se joue des critères sexués, masculin/féminin, pour déconstruire un discours vétuste, étriqué et oppressif.

A VOIR / L’ATELIER A – ABEL TECHER – Arte Creative

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STEPHANIE HOAREAU /

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Stéphanie Hoareau a fait de la peinture un médium de prédilection. Dès le départ, elle peint la part cachée de l’île de la Réunion en explorant ses paysages et ses habitants. En 2010, elle réalise une impressionnante vue de la forêt de Bélouve dont elle a accentué l’atmosphère mystérieuse et silencieuse. Formée de six panneaux mesurant chacun 1m50 de large, l’œuvre nous fait entrer, physiquement et mentalement, dans une forêt difficile d’accès située dans les hauts de l’île. L’artiste arpente aussi bien les paysages naturels que les paysages urbains : propices à l’observation d’un autre faune. En 2012, elle entreprend un projet d’ampleur consacré aux figures marginales de l’Île. Des hommes et des femmes dont tout le monde connaît les visages et les prénoms. Des individus qui vivent à l’écart de la société, suscitant aussi bien la méfiance que la fascination. Ils sont à l’origine de légendes puisqu’à leurs propos court une multiplicité de rumeurs, d’histoires et d’anecdotes. L’artiste est allée à leur rencontre, à Saint-Denis, au Port et ailleurs, instaurant avec eux une relation de confiance, par la discussion, l’écoute, la présence et l’entraide. Au fil des jours et des semaines, Charlotte, Jean-François, Jacqueline, Maximin et Elyse sont devenus les modèles que l’artiste a photographiés et dessinés. Elle s’est concentrée sur leurs visages, leurs aspérités, mais surtout sur leurs regards qui oscillent entre errance et profondeur. Stéphanie Hoareau prend le temps de rendre visibles celles et ceux que nous croisons ou que nous évitons soigneusement. Des photographies à la peinture, en passant par la sculpture et la vidéo, l’intensité des regards nous interpelle. La confrontation des regards, les leurs, les nôtres, produit autant de fascination que de malaise. À la marginalité de ses personnages, Stéphanie Hoareau préfère la liberté et la fragilité de leurs existences en rupture avec le réel organisé de la société.

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JIMMY CADET /

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Jimmy Cadet revisite un genre traditionnel de l’histoire de la peinture : la nature morte. Il s’empare des éléments de la vie intime et domestique pour dresser un portrait ambivalent de la société réunionnaise. En ce sens, il travaille la dimension critique et politique d’un genre artistique habituellement affilié, selon les mots de Matisse, au luxe, au calme et à la volupté. La société réunionnaise y est perçue de l’intérieur. Les natures mortes sont composées de fleurs, de bouteilles en plastiques, de cannettes de sodas, de boîtes de médicaments, de crânes d’animaux, de bougies, de bidons ou encore de vaisselle en porcelaine raffinée. Il fait dialoguer des éléments élégants et bourgeois, avec d’autres motifs nous envoyant à différentes formes d’addictions et à un mal-être sous-jacent. Deux réalités sociales cohabitent au sein d’un même espace, d’une même composition. Cette promiscuité engendre des tensions accentuées par d’autres éléments perturbateurs et intrusifs. Sous les natures mortes apparaît une autre réalité : des nappes déchirées, des amas de peintures qui interfèrent avec les éléments sophistiqués, des coulures, des tubes, des projections et des agrégats de câbles électriques. On observe également des départs d’incendie ou des explosions de matières sombres. Cette vie souterraine indique une menace imminente, une défaillance et une profonde inquiétude. Jimmy Cadet porte un constat critique sur l’avenir d’une société aux fondations fragiles. Une société sous perfusion, alimentée par des câbles précaires et bricolés, qui menace d’imploser à tout instant. Sous la fine couche du vivre ensemble idéalisé gronde les injustices et les failles d’un système caduc.

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JEAN-CLAUDE JOLET /

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Depuis une quinzaine d’années, Jean-Claude Jolet développe une réflexion sur le métissage culturel et l’identité créole. Une identité, qui, selon son usage, peut s’avérer être un piège comme en atteste l’œuvre intitulée Pression (2013). Conçue comme un piège à collet monumental, l’œuvre traite de l’enfermement et de la dangerosité que peut induire une identité lorsqu’elle est politiquement manipulée et déformée. Afin de ne pas tomber sans ce piège, l’artiste s’emploie à étudier les survivances de l’histoire coloniale de l’île de La Réunion. Il fixe son attention sur un motif : le lambrequin. Un motif, développé en frises sur les frontons des maisons créoles, que l’on pense créoles, mais dont l’origine est pourtant européenne. Paradoxe de l’Histoire, le lambrequin est aujourd’hui synonyme d’exotisme aux yeux des Occidentaux. Ce phénomène d’acculturation contient une violence, celle de la colonisation, que l’artiste transpose en sculptant le motif du lambrequin dans la peau animale. Il donne littéralement corps et chair à cette histoire qu’il va étaler dans l’espace, confronter à l’océan ou bien enfermer dans des tubes de verre rempli d’alcool. Jean-Claude Jolet traverse ainsi plusieurs dimensions : (néo)coloniale, architecturale, culturelle, migratoire, commerciale, corporelle et ethnologique. L’identité créole n’est pas un méli-mélo comme le souligne l’œuvre intitulée Torsion (2012), le moulage en plâtre d’une machine à laver dont la surface est colonisée de masques, de statuettes et de bas reliefs issus de différentes cultures et religions. En décortiquant l’histoire et les éléments visibles de la créolisation, l’artiste amène une juste distance et une juste mesure auprès d’un imaginaire collectif en proie au gommage, à l’oubli, aux amalgames et aux revendications faussées.

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GABRIELLE MANGLOU /

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Gabrielle Manglou développe une œuvre inspirée par le paysage, la représentation humaine et animale. Avec une volonté de réorganiser le réel, elle dote à la faune comme à la flore des formes stylisées et des couleurs acidulées. Sur papier comme dans l’espace, sur un mur comme sur un écran, elle pratique l’art du collage en hybridant le dessin, la découpe de formes géométriques colorées, l’aquarelle, la photographie, le document d’archives et l’objet domestique. Ainsi, il n’est pas improbable de rencontrer des êtres coiffés de chapeaux pointus, un singe portant un masque coloré, une montagne noire reposant sur un amas de câbles, une fleur en pleurs ou encore des chaises surmontées de volcans en éruption de feux d’artifice. Un élément à la fois étrange et fascinant traverse son œuvre : l’œil. Seul, par pair ou en groupe, il plane et surveille un monde vacillant, rieur et méfiant. Réduits à leurs silhouettes colorées, les personnages ne sont pas identifiables, les visages se fondent à la couleur. Seule l’addition des yeux, ronds ou en amendes, leur donne un air halluciné et absurde. Les humains sont alors perçus comme des êtres fantomatiques et clownesques. En alliant les imageries issues de différents territoires comme l’ethnographie, le cirque, le théâtre, la nature (minérale, organique et animale), Gabrielle Manglou fait jaillir un univers où son imaginaire personnel se glisse dans le réel tel qu’il est présenté dans les livres. En injectant ses formes et ses couleurs aux images, l’artiste s’approprie un récit, celui d’un discours de vérité qu’elle refuse et détourne. Derrière les décors édulcorés, les rondes, les parades et les cotillons, palpite une violence sourde liée à l’Histoire que l’artiste ne cesse de fouiller et retravailler les images.

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YO YO GONTHIER /

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Yo-Yo Gonthier met en place des protocoles techniques et humains dont l’ultime finalité est de parvenir à saisir un fragment de merveilleux. Ce dernier est envisagé par l’artiste comme une émanation, un surgissement, l’apparition d’un phénomène qui, dans son œuvre, ne doit rien au hasard. La capture du merveilleux se prépare longuement, elle fait l’objet d’un projet qui s’élabore sur plusieurs années. Alors le merveilleux, l’engagement et la lenteur se conjuguent au creux d’une philosophie où « le processus est plus important que le résultat ». L’artiste ne travaille pas seul, chaque projet réclame un investissement collectif non seulement pour la fabrication d’instruments, d’engins volants, mais aussi pour la récolte d’informations, d’envies, de témoignages, de compétences. L’œuvre se fait alors pluridisciplinaire et participative. En fédérant un groupe autour d’un même projet, il active un « geste collectif, sublime et laborieux ». L’énergie est mise au service d’une réflexion portée sur notre présence au monde, nos relations aux humains, aux paysages et à l’Histoire. L’Ile de la Réunion constitue un territoire clé dans cette réflexion. Yo-Yo Gonthier sonde la part merveilleuse de l’île en expérimentant ses habitants, ses paysages, sa flore, ses éléments, ses lumières et ses origines. La série d’héliogravures intitulée Pieds de Bois (2000-2005) porte une attention spécifique aux arbres, les premiers habitants de l’île. Les images du paysage recèlent une pensée métaphysique et existentialiste. Les œuvres de Yo-Yo Gonthier comportent une dimension contemplative qui s’inscrit à rebours des sociétés contemporaines. Il s’agit alors de ralentir la cadence pour prendre le temps de regarder et de comprendre un monde où la fuite en avant mène à l’oubli, à la dispersion des consciences, à la perte de repères (individuels et collectifs) et à l’évanouissement du merveilleux.

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WILHIAM ZITTE /

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Depuis les années 1980, Wilhiam Zitte (1955-2018), considéré comme un peintre pionnier et majeur de la scène artistique réunionnaise, mène une réflexion à la fois plastique, théorique et critique portée sur la représentation du corps noir. Sur des feuilles de papier journal ou bien sur de la toile de jute, il fait des pochoirs, il peint et dessine les portraits de ses amis. Il met plus particulièrement en lumière la communauté des Cafres, les Noirs réunionnais. Il dit : « J’ai toujours navigué sur l’image du Noir. J’essayais soit de la réhabiliter, soit de créer un impact tel que quand on voyait une tête de ʺCafreʺ, on ne pouvait y être indifférent, on réfléchissait. »[1] Il consacre ses recherches non seulement à la représentation des Cafres, mais aussi plus largement à l’histoire de l’esclavage, au colonialisme et à l’identité créole. C’est dans cette perspective critique qu’il structure la notion d’artcréologie. Un néologisme que j’utilise pour qualifier mon travail. Dans l’artcréologie se retrouvent l’image du Noir et les esprits, dans une écriture fantomatique, parce que je trouvais que la représentation du Noir était fantomatique ».[2] Ses recherches sont mises en forme au moyen de matériaux pauvres récupérés (du papier journal, la toile de jute, des pigments, des épices, de la terre) et de techniques basiques comme le pastel, le pochoir et l’installation. Les matériaux et techniques proviennent à la fois d’une attention aux objets du quotidien, mais aussi à des pratiques populaires inhérentes à l’histoire et à la culture réunionnaise. Ses choix s’inscrivent pleinement dans un engagement politique, une volonté de donner lieu à des formes anti-élitistes, un art compréhensible par un public large sans distinction d’âge, de culture ou de classe. Par son travail de portraits et la mise en scène d’objets, Wilhiam Zitte revendique et fouille une identité créole, une histoire et une culture réunionnaise en proie aux questions et en mal d’affirmation.

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KID KREOL & BOOGIE /

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Formé de Jean-Sébastien Clain (Kid Kréol) et Yannis Nanguet (Boogie), le duo est actif depuis leur adolescence. Ils ont d’abord sévi dans les rues et sur les terrains vagues de Saint-Denis. Ils déploient des graffitis, d’abord inspirés par le street art américain des années 1970-1980, qui vont peu à peu s’épaissir par l’appropriation de références en prise avec la culture et l’histoire réunionnaise. Une histoire habitée par un vide que les deux artistes s’emploient à combler, à habiter et à réincarner. Pour cela, ils ont progressivement élaboré une mythologie constituée de paysages (terrestres et célestes), de dieux, de déesses, de chimères et de monstres humains et animaux. Les Hommes Montagnes et les Hommes Univers, nous invitent à imaginer les origines d’une île dans sa formation géologique et mythologique. Sans visages identifiables, ils avancent masqués de leurs paysages. Alors, l’île, le volcan, le ciel et l’océan représentent une source d’inspiration fondamentale. Des paysages et des éléments constitutifs de leur quotidien, ils extraient des figures fantasmagoriques, hallucinatoires, des énergies, des esprits ou encore des fantômes. Ces entités (humaines, animales, végétales, minérales) engendrent un espace narratif où la multiplication et la créolisation des récits deviennent possibles. Debout, recroquevillés, assis ou plongeants, les corps énigmatiques et puissants portent les cieux, s’enracinent dans le sol, s’extirpent de l’océan ou jaillissent des volcans. Au moyen de positions signifiant une gestation, un devenir, les corps incarnent l’île. Par la création de mythes et de symboles, Kid Kréol et Boogie parlent de la société réunionnaise : son passé et son présent, ses doutes, ses questions, ses silences, ses richesses, ses secrets et ses illusions. Les dessins, les sculptures et les installations participent à l’enrichissement d’un imaginaire collectif, celui de La Réunion et plus largement celui de l’Océan Indien.

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ESTHER HOAREAU /

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Les œuvres d’Esther Hoareau engagent une réflexion sur les liens qui existent entre la Nature et l’Homme. Les vidéos, dessins, photographies, textes et performances mettent en lumière les différentes formes d’inscription du corps au sein de paysages (terrestres, célestes, marins, cosmiques). Avec une perspective à la fois poétique, facétieuse, spirituelle, philosophique et sensible, l’artiste s’empare du sublime : tout ce qui nous dépasse physiquement et conceptuellement. À la finitude l’île, elle répond par l’échappée et par le détournement. Les contours de l’île sont prolongés par les notions de mystère et de sublime (l’éruption d’un volcan, la profondeur de l’océan, l’immensité d’un ciel étoilé). La relation entre le corps et le paysage est prétexte à l’ouverture d’un espace narratif, d’une fiction invitant à une projection, une traversée, un voyage. Esther Hoareau met en œuvre un imaginaire qui est en partie nourri de son expérience de l’île, de ses voyages (concrets et mentaux) et de son observation des paysages (de ses détails comme de son immensité). La littérature et le cinéma jouent également un rôle moteur dans son processus de création. La science-fiction rencontre ainsi le récit de voyage, la poésie, l’absurde et l’autofiction. Le film intitulé Sanctuaire (2009-2010) fait de l’île un territoire aussi paradisiaque que monstrueux. De l’abri protecteur elle devient progressivement un être dévorant pour les enfants perdus. Une ambivalence entre la fascination et l’inquiétude s’immisce dans une grande partie de l’œuvre d’Esther Hoareau. Ainsi, elle articule l’émerveillement, le réenchantement et la puissance, avec une part d’inquiétante étrangeté et d’inconnu. Le rapport d’échelle entre notre présence et celle des paysages engendre des sentiments antagonistes révélant une forme d’impuissance, de vanité, mais aussi un sentiment d’infinitude, de possible et d’extase.

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KARL C. KUGEL /

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Au début des années 1980, Karl C. Kugel débute de manière autodidacte sa carrière de photographe. Fasciné par les œuvres de Raymond Depardon et Robert Franck, il s’oriente vers la photographie, envisagée à la fois comme une fable et une fiction documentaire. Il s’engage dans différents projets successifs en Allemagne, au Burkina Faso ou encore en Chine. Chaque projet réclame plusieurs années de travail afin de saisir la complexité d’une société et de défaire par l’image les stéréotypes et les visions erronées portées sur différentes cultures. Par les corps, les visages, les paysages, les objets, les rituels, les spécificités et le quotidien, Karl C. Kugel rend compte de son expérience. En 1997, à La Réunion, il débute le projet Récits des Corps. Au sein du projet se déploient différentes séries dont l’une est intitulée Danseurs de Combat. Au Musée Léon Dierx étaient présentées trois photographies extraites de la série, trois portraits en noir et blanc de moringeurs réunionnais. Ces danseurs combattants participent à la perpétuation de rituels populaires et traditionnels actifs dans la zone océano-indienne. Le photographe explique : « Je voulais traduire la force et la beauté de cette mémoire immatérielle portées par les danseurs combattants de l’Océan indien et les danseurs du Mozambique, un territoire intime sans frontière, blotti et vibrant au sein des corps, une fascinante mémoire. » Avec la volonté de documenter différents aspects d’une société, les images restituent des pratiques culturelles spécifiques. Les portraits s’éloignent cependant d’un postulat strictement anthropologique. Il précise d’ailleurs que les portraits prennent sciemment « le contre-pied des images anthropométriques de Désiré Charney, réalisées au XIXème siècle à La Réunion. » Des portraits qui s’inscrivaient dans un rapport de domination, de racisme et d’humiliation. Avec un souci constant de respect, de réparation, de « revalorisation symbolique », de profondeur et de justesse, les photographies de Karl Kugel, véritable « griot des temps modernes », témoignent avant tout de rencontres humaines et nourrissent une mémoire collective.

[1] EYENE, Christine. « L’artcréologie de Wilhiam Zitte : les cultures réunionnaises mises au jour. » in Africultures, avril 2008.

[2] Ibid.

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Merci au FRAC DE LA REUNION

2 Commentaires

  1. LERKA

    Julie bjr C’est volontaire que tu n’indiques pas que WZ est dcd? Du moins en lisant sur mon iPhone!!!!! Bonne et belle Antoine

    Envoyé de mon iPhone

    >

  2. Ping : [EXPOSITION] ABEL TECHER – I call you from the crossroads /// Maëlle Galerie – Paris | Julie Crenn

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