[TEXTE] Safia Bahmed-Schwartz / Don’t fuck with my energy

Talk shit, we can cast spells, long weaves, long nails

Corn rows, pig tails, baby fathers still in jail

Good witches, I fuck with, bad bitches, we run shit.

Princess Nokia – Brujas (2019)

Safia Bahmed-Schwartz place l’écriture au cœur d’une pratique artistique protéiforme qui allie sans compromis et sans contrefaçon le dessin, l’édition, le tatouage, la peinture, le chant, le son, la performance, la sculpture. Sur scène, dans les squats, les lieux d’art, instagram, la rue ou YouTube, tous les espaces et tous les médiums s’articulent et font sens. L’écriture prend différentes formes et trouve des canaux de diffusion autres que celui de la traditionnelle exposition. Avec une volonté d’annuler l’élitisme lié à l’art, Safia Bahmed-Schwartz souhaite toucher d’autres publics en explorant des espaces alternatifs.

Très tôt elle commence par écrire et dessiner. Dans un petit carnet, elle figure l’intimité de corps, le sien, ceux des autres. Chaque jour, comme un rituel, elle réalise un dessin érotique. Le trait est graphique. Le dessin est une écriture à part entière. Une écriture des corps. « Un safe place pour moi ». Avec une totale liberté, l’artiste y traduit en effet une conscience de son corps, de ses désirs, de ses fantasmes et de ses envies. « J’invoque les choses pour qu’elles existent. » Au fil du temps, la vision personnelle devient collective puisqu’elle a créé des groupes de discussions sur les réseaux sociaux afin de récolter les témoignages d’autres femmes. Ensemble, les dessins forment un journal non idyllique de corps et de désirs pluriels. Des carnets, aux feuilles de papier, les dessins sont transposés aussi sur les corps. Safia Bahmed-Schwartz tatoue à même les peaux des dessins préexistants ou bien de dessins pensés avec l’autre. L’acte indélébile génère selon elle un empowerment « dans la douleur, la confiance et l’érotisation ». Parallèlement, l’artiste expérimente la peinture sur toile, sur tissu ou sur papier. Elle participe à des sex parties durant lesquelles elle prend des notes et réalise des croquis. « La nudité n’y est pas obligatoire, je n’ai vu aucun corps complètement nu. Ce qui, d’un point de vue systémique, est d’ailleurs intéressant : sexe n’est pas égal à nu, et nu n’est pas égal à sexe. »[1] Il s’agit pour elle de documenter des moments éphémères où différentes formes de corps et différentes formes de sexualités cohabitent dans un même espace-temps. En résultent des fresques et des tableaux où les corps s’entremêlent sans distinction de genre, d’âge, de race ou de classe. L’orgie devient le lieu de l’intersectionnalité, d’une liberté sans borne et sans norme. Les corps nus et graphiques n’y sont pas identifiables, pas catégorisables. Les peintures sont réalisées à partir de deux couleurs, l’outremer et le blanc, pour annuler les binarités et au contraire visibiliser la pluralité des corps. « Quand je dessine un couple, par exemple une femme noire et un homme blanc, c’est noir et blanc, trop manichéen. » Par ailleurs, le bleu et le blanc participent de l’idée du souvenir, de l’archive, d’une persistance de la mémoire. Si les dessins et les peintures ont une existence autonome, Safia Bahmed Schwartz transforme leur échelle pour leur donner une forme spatiale au moyen de fresques ou de décors permettant une expérience physique des œuvres.

 

Le clip et la scène permettent une synthèse des médiums. Au sein d’une esthétique pop exagérée, volontairement kitsch et absurde, Safia Bahmed-Schwartz génère un espace critique dans le déplacement et le décalage. Vêtue d’un lourd manteau de fourrure, de lunettes de soleil et de talons hauts, elle arpente les rues de quartiers populaires, les rayons de supermarchés, un fast-food, le Marais et les salles du Centre Pompidou. Dans un taxi, à la manière d’une odalisque, elle mange des billets de banque. L’artiste retourne les codes et les imaginaires de la musique pop pour les tourner au ridicule. Elle pose une question : « qu’est-ce qu’une chanteuse féministe ? » Dans le sillage d’un féminisme intersectionnel et prosexe, Safia Bahmed-Schwartz propose différentes manières d’objectiver et se sexualiser son propre corps. Jambes poilues, maquillage excessif, voire clownesque, fourrures, de la femme fatale à la femme de ménage, l’artiste se réapproprie les accessoires et les statuts d’une féminité stéréotypée. Tout en refusant les normes, elle incarne et performe des féminités insoumises. Safia Bahmed-Schwartz s’inscrit dans une famille plastique allant de Ghada Amer à Genevieve Gaignard, sans oublier d’autres artistes comme Ingres, Judith Bernstein, Leila Slimani, Mickalene Thomas, Mylène Farmer, Gordiola Sapienza ou Tracey Emin. Une famille plastique qui crée des alliances entre l’écriture, l’érotisme, la culture pop, les féminismes qui engendrent une réflexion à la fois intime et politique. Alors, du dessin érotique au clip, en passant par la peinture et l’écriture, Safia Bahmed-Schwartz travaille à l’invention de récits inclusifs. Ces derniers déjouent un système de domination : masculin, blanc, occidental, hétéro, cis, wealthy, privilégié à tous les niveaux. Par son corps et la représentation de corps pluriels, elle s’attelle à une réappropriation d’espaces et d’imaginaires dont les personnes invisibilisées ont trop longtemps été privées. L’intimité devient le lieu de l’empowerment où les corps et les désirs s’expriment et se manifestent sans tabou.

[1] Les citations de l’artiste sont extraites d’une conversation datée du 14 novembre 2019.

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