De nos jours, lorsque nous voulons nous renseigner sur le travail d’un artiste, découvrir ses images, sa démarche ou même son visage, il nous suffit d’entrer un nom et de cliquer sur Entrée. Une porte s’ouvre sur une multiplicité de pages et d’images. Une mosaïque textuelle et visuelle qu’il nous faut débroussailler, nous nous devons de faire le tri pour trouver ce qui nous semble être le vrai du faux. En tapant le nom de Safia Bahmed-Schwartz sur Internet vous trouverez différentes informations, elle est simultanément plasticienne, éditrice, tatoueuse, DJ, auteure, photographe, dessinatrice, modèle, graphiste, égérie, réalisatrice ou encore chanteuse. Qui est réellement Safia Bahmed-Schwartz ? Son site Internet cultive le mystère, un cadre aux dorures épaisses se fait l’écran de la diversité de ses préoccupations visuelles, théoriques et critiques. L’artiste brouille volontiers les pistes en diffusant des biographies fictives. Une constante : Safia Bahmed-Schwartz est née en 1986 à Strasbourg (France). Les biographies font état de nombreux voyages à travers le monde. Elle aurait grandi aux Etats-Unis, en Algérie ou en France. Elle aurait fait de la prison, aurait été une prodige de la harpe, se serait prostituée, aurait fait des ménages, surveillé les salles d’un grand musée parisien. Autant de versions que de biographies distillées au fil de ses expositions, de ses publications et de ses blogs. A-t-on véritablement besoin de connaître les détails biographiques d’un artiste pour accéder et comprendre son œuvre ? L’artiste se joue des mythes, des légendes et des récits.
Elle écrit ses biographies et change régulièrement d’apparence physique. Un jeu de camouflage qu’elle met à l’œuvre depuis 2008 avec le projet in progress Autoportrait/Autobiographie. Il a débuté par un double autoportrait photographique noir et blanc, où l’artiste apparaît d’une part vêtue d’un uniforme militaire allemand, de l’autre portant le hijab. Une dualité historique et culturelle qui fait écho à son histoire, celle de sa famille. Une histoire qu’elle va morceler et augmenter en démultipliant les récits. Autoportrait/Autobiographie évolue au fil de ses blogs où elle publie ponctuellement des images récoltées sur Internet sur lesquelles elle incruste son propre visage. Elle devient ainsi une alter-Christine Taubira à l’Assemblée Nationale, une actrice de film X, une sainte, l’épouse d’un philosophe, une femme voilée, La Joconde, une pop star, une bodybuildeuse. Safia Bahmed-Schwartz manipule les images au profit d’un projet autobiographique fictif qu’elle déploie sur différents supports et dans différents domaines. Pour ne pas être catégorisée, elle exploite les contradictions, elle n’est jamais là où nous pourrions l’attendre. Grâce à un travail d’autoproduction, elle mène différentes propositions où l’écriture et l’image interagissent. En 2011, elle rassemble en 6 tomes des fragments d’essais, des citations et des pensées personnelles sous le titre Apprenons à Lire ! L’année suivante, elle publie un recueil de dessins dans un petit carnet noir fermé par un élastique (Idylle). Sur les feuilles blanches défilent de petits dessins tracés aux crayons de couleurs. Il s’agit de fragments de corps, de gestes érotiques, de moments intimes. Au projet autobiographique s’est greffée une réflexion sur les relations amoureuses et la complexité des sentiments. Alors, le corps et les mots apparaissent comme les filtres de ses recherches. Son dernier projet consiste à tatouer ses dessins sur la peau d’un nouveau type de collectionneurs. Le dessin sur papier a-t-il une valeur plus importante qu’un tatouage ? Le tatoueur n’est-il pas justement un artiste ? Si elle questionne et bouscule le statut traditionnel de l’artiste, elle interroge également la valeur de l’œuvre d’art : sa matérialité, sa diffusion et sa pérennité. En développant des alternatives et en repoussant les limites tracées par les traditions, elle génère une nouvelle relation entre l’œuvre et le regardeur. Safia Bahmed-Schwartz souligne les simulacres, les paradoxes et les failles de notre rapport aux images et à l’art dans son ensemble. Elle explore et parodie une imagerie collective omniprésente et éphémère. En s’appropriant les restrictions et les non-dits, en mixant les registres de lecture et en déjouant une hiérarchie artistique limitée, elle tend à un décloisonnement du medium et à un bouleversement des frontières entre les différentes formes de la création.
Safia Bahmed-Schwartz : http://www.safiabahmed-schwartz.com/
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