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EDI DUBIEN
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Le dessin ne porte pas de titre. Aucun indice ne nous est donné. Nous voyons une très jeune personne, un enfant sur le chemin de l’adolescence. Le corps chétif est en mouvement, il nous retour le dos ou bien s’apprête à se retourner vers nous. Son dos est surmonté d’une grande feuille de fougère. À la manière d’une aile – celle d’un ange – le jeune humain se végétalise. La tige de la fougère prolonge sa nuque délicate. Comme nous pouvons l’observer dans plusieurs autres œuvres d’Edi Dubien (né en 1963, vit et travaille entre Vendôme et Paris), l’enfant appartient pleinement au domaine du vivant. Il y existe en alliance symbiotique avec les différents règnes : minéraux, végétaux, animaux. Les corps mêlés y sont souvent en transition dans la fabrication de nouvelles alliances vivantes.
Les corps en transition appartiennent à l’histoire intime de l’artiste qui a fait le choix de faire sa transition de genre en dehors de la ville, près des bois, des champs et des rivières. N’y voyez rien de bucolique. Loin de la ville, Edi Dubien prend le temps de renouer avec son corps et avec le vivant d’une manière plus globale. Vivre dans la transition à l’écart des bruits du monde, c’est vivre dans une zone de liberté, de choix, de sécurité, de sérénité et de résistance. Un espace entre qu’Edi Dubien fabrique depuis son enfance pour définir en lui et par lui-même son devenir. Un devenir résolument vivant. Dans cet espace immense se déploient les arbres, les rivières, les herbes, les animaux, les oiseaux, les insectes, les fleurs, le vent. Ielles sont ses allié.es. Ielles composent une communauté affectueusement symbiotique où chacun.e est dépendant.e de l’autre. Une communauté où chacun.e prend soin l’un.e de l’autre. Edi Dubien peint, dessine et sculpture la tendresse qui inonde le vivant lorsqu’il est protégé, compris et aimé. Les œuvres apportent une incarnation visuelle et physique à ces relations fusionnelles. Pourtant, nous décelons aussi une tristesse, parfois une amertume, des larmes, un regard songeur, une pointe de nostalgie ? Ce sentiment traverse son œuvre. La tristesse inhérente de la violence vécue par l’artiste, mais aussi par la communauté tout entière, est progressivement devenue une terre fertile.
Edi Dubien métamorphose la tristesse en un élan vital. Un élan générateur de relations transespèces, des amours hybrides, des corps pluriels. De l’enfant au jeune homme, l’artiste représente des organismes performatifs. Un humain aux mille natures dont l’enveloppe corporelle infuse dans le vivant. Un corps qui se donne la possibilité de devenir autre, d’aller à la rencontre, d’embrasser ou d’enlacer ce que nous avons trop longtemps mis de côté. Edi Dubien fait exploser l’opposition entre ce qui serait la nature d’un côté et la culture de l’autre. Ici tout est réuni dans une même circularité, une même métamorphose éternelle et intemporelle. L’artiste écarte aussi la notion de sauvage au profit d’un vivant hospitalier, bienveillant, protecteur, abondant, réconfortant. Un écosystème où tous les êtres se reconnaissent. Alors, ses œuvres nous (r)appellent avec douceur et puissance. Elles nous affectent durablement. À leur contact, nous comprenons et nous nous souvenons que nous appartenons toustes à une même communauté vivante, vulnérable, sensible et mouvante.
Julie Crenn
Texte commandé par le Centre d’art Madeleine-Lambert, Vénissieux, 2021
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+ EAP Vénissieux / https://www.ville-venissieux.fr/arts_plastiques/Centre-d-art-expositions/Collection-fonds-municipal-d-art-moderne-et-contemporain
+ EDI DUBIEN / https://www.edidubien.com/