YAYOI KUSAMA est à Beaubourg du 10 octobre au 9 janvier 2012 pour une rétrospective qui couvre soixante années de travail.
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Yayoi Kusama (née en 1929) est une figure majeure de l’art des années 1960-1970. Sa pratique obsessionnelle et psychédélique mêle sans détours Pop Art, art féministe, art abstrait, art minimal, expressionisme ou encore art brut. Le Centre Pompidou lui offre aujourd’hui une première rétrospective française de son œuvre prolifique et inclassable. L’occasion pour nous de revenir sur une artiste avant-gardiste, dotée d’une personnalité excentrique, décalée et provocante.
L’exposition propose un parcours chronologique formé de 150 œuvres produites entre 1949 et 2011. Le visiteur découvre ainsi les premières aquarelles intimistes de l’artiste, des œuvres aux accents surréalistes qui n’ont jamais été présentées en Europe. Puis, nous sommes happés et intrigués par ses peintures, environnements, sculptures et performances filmées. Yayoi Kusama ne se limite jamais, elle explore les mediums et matériaux pour inscrire sa pratique dans un renouvellement constant. Un choix interdisciplinaire qui fait de son œuvre un art singulier. Lorsqu’elle s’installe à New-York en 1958, elle réalise des monochromes blancs puis colorés de grandes dimensions (Infinity Nets). Interrogations sur son rapport à l’infini, sa signification et ses possibilités de représentations. À ce moment, elle côtoie des artistes comme Andy Warhol ou Clæs Oldenburg.
Du monochrome épuré, elle passe à la prolifération : des installations où sont accumulés des objets trouvés dans la rue et articulés par l’artiste. Elle poursuit ses recherches plastiques vers le volume et la contamination de l’espace. Yayoi Kusama produit ses premiers environnements, au sein desquels elle déploie un univers hallucinatoire et complexe. Elle y réalise ses premiers happenings et performances. Des actions, à l’intérieur comme dans la rue, qui traduisent non seulement le climat politico-social explosif de la fin des années 1960 aux Etats-Unis, mais aussi les troubles psychiques de l’artiste. Celle-ci explique d’ailleurs que ses œuvres sont de fruits de visions qui lui surviennent, des visions qu’elle matérialise et partage avec le public.
En 1973, elle décide de rentrer définitivement au Japon. Fragile psychologiquement, son œuvre est marquée par ses tiraillements et ses démons. Elle produit une série de collages évoquant la guerre, le suicide et autres idées morbides. Elle choisit alors de vivre et de travailler dans un hôpital psychiatrique, où elle retrouver un apaisement et une force créatrice explosive. Progressivement, son œuvre acquiert une autre dimension : sculptures textiles colorées, peintures grands formats et environnements psychédéliques.
À partir des années 1980, Yayoi Kusama travaille sur la répétition, l’expansion et la contamination des espaces. Si depuis le début de sa carrière son œuvre est marquée par le motif du pois, il va proliférer par la suite de manière obsessionnelle et compulsive. Elle dit à ce propos : « Les pois (j’ai vu les premiers à l’âge de 10 ans et je continue à en voir encore) / Les pois sont ma marque de fabrique / La vision obsessionnelle / Des milliards de pois / L’auto-effacement ».[1] Ils sont les résultats de visions hallucinées de son enfance, dont les troubles souvenirs hantent Yayoi Kusama. L’accumulation et la répétition confèrent une identité hypnotique à son art. Elle raconte : « Un jour, à New-York, alors que je peignais des réseaux de lignes et des poids sur toute la surface de la toile, sans présupposé de composition, mon pinceau a quitté, en dehors de ma volonté, les limites de la toile et a commencé à recouvrir de pois, la table, puis le sol pour aller partout dans la pièce. (C’était certainement une hallucination). »[2] Des pois qui recouvrent son corps nu lors de performances à New-York, en « signe de glorification de la vie ». Elle opère ainsi à une saturation du motif non seulement autour d’elle mais aussi sur sa propre peau. Sa vie et son œuvre sont imprégnées de pois multicolores.
Lors de ses expositions monographiques, elle investit littéralement les lieux dans lesquels elle expose. Du sol au plafond, les miroirs, pois colorés, ampoules et diodes constellent l’espace. Tous nos sens sont convoqués. Les couleurs vives, lumières, miroirs, textures, formes, températures etc. Chaque matière et chaque forme sont mises en scène afin de créer une ambiance spécifique. Pénétrer ses environnements devient une expérience sensorielle unique. Yayoi Kusama inonde l’espace d’une joie et d’une lumière qui vont bien au-delà de simples visions hallucinatoires. Son œuvre est réjouissante, optimiste et rassurante, en totale opposition avec le contexte socio-éco-politique mondial. Yayoi Kusama est un ovni artistique propageant une ivresse sensorielle à nos yeux et nos esprits.
Julie Crenn
[1] KIM, Seug-duk. « Interview avec Yayoi Kusama » in Yayoi Kusama. Dijon : Les Presses du Réel, 2000, p.37.
[2] KIM, Seug-duk (2000), p.36.
Yayoi Kusama / Centre Pompidou / 10 octobre 2011 – 9 janvier 2012 / 11h00 – 21h00.
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Texte publié sur le site internet de la revue Inferno : http://ilinferno.com/2011/10/09/yayoi-kusama-a-beaubourg-art-contamine/
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