EXPOSITION [texte] /// Thomas Tronel-Gauthier – Ce que j’ai vu n’existe plus /// Galerie 22,48m²

10872626_10152552786248316_615537580_n

L’Archipel est errant, de terre en mer, il est ouvert de houle et de petit matin.

Edouard Glissant. Traité du Tout-Monde, 1997.

L’œuvre de Thomas Tronel-Gauthier est la traduction d’une expérience, celle d’une rencontre avec un paysage. Du Nord de la France aux îles Marquise, en passant par la Thaïlande, l’artiste nous emporte dans ses voyages. Par la sculpture, la photographie, la vidéo et l’installation, il restitue des fragments de terre ou de mer, d’un phénomène naturel ou d’un éclat. Ces fragments, apparemment isolés de leur contexte originel, s’avèrent être des zones de projection. En eux réside un paysage mental, celui que nous (re)créons d’après nos propres souvenirs, nos fantasmes et notre imaginaire. Les œuvres ouvrent un champ des possibles au sein duquel le regard et la mémoire sont interdépendants. « Il faut que le regard se promène pour que le paysage apparaisse.»¹ Les moulages et les captations sont les résidus d’un ensemble, d’une étendue dont l’artiste a souhaité retenir un moment spécifique. La technique du moulage et la prise d’images (fixes ou en mouvement) génèrent un rapport intense non seulement avec l’espace, mais aussi avec le temps. L’artiste peut ainsi absorber et traduire une manifestation naturelle et éphémère : le passage d’une vague, les scintillements lumineux sur la mer, une roche, l’envol des hirondelles, le mouvement du sable une fois la mer repartie. À nos yeux, ces petits moments sont envisagés comme des miracles, ils s’inscrivent pourtant dans un cycle d’éternel recommencement. En les isolants, l’artiste ramène le paysage à l’échelle humaine (son corps et sa temporalité) et nous rappelle son immensité.

TTG_RECIF D'EPONGES (CAPITA VITUM)_1

Récif d’éponges (capita vitium) 2010 Porcelaine blanche 25 cm x 47 cm x 41 cm

Ses peintures monochromes fonctionnent de manière inverse. L’idée du paysage est amenée par la production d’empreintes rhizomiques. Sur les fonds bleus, blancs, noirs ou verts se révèlent des motifs racinaires. De même, au creux des grandes nacres, l’artiste grave les dessins d’explosions. Celles-ci font écho aux essais nucléaires réalisés par la France dans le Pacifique. Par là, l’artiste saisit l’invisible. Si les essais ont modifié le vivant de manière indélébile, la présence nucléaire est indiscernable. Le coquillage, objet d’exotisme, devient le vecteur d’une réalité politique. Thomas Tronel-Gauthier conserve la trace d’un voyage, d’une émotion, d’une inquiétude comme d’une exaltation. Plus que le souvenir d’un instant perdu, chacune de ses œuvres témoigne d’une vision et d’une manière d’être au monde. En ce sens, l’artiste matérialise la pensée de la trace telle qu’elle est développée par Edouard Glissant : « La pensée de la trace s’appose, par opposition à la pensée du système, comme une errance qui oriente. Nous reconnaissons que la trace est ce qui nous met, nous tous, d’où que venus, en Relation. […] La trace, c’est manière opaque d’apprendre la branche et le vent : être soi, dérivé à l’autre. C’est le sable en vrai désordre de l’utopie. […] Elle est l’errance violente de la pensée qu’on partage. »²  Il fait de sa pratique du paysage la restitution, physique et sensible, d’une traversée. De ses yeux et de ses mains, il l’effleure pour en livrer la trace.

¹  JULLIEN, François. Vivre de paysage ou L’impensé de la Raison. Paris : Gallimard, 2014.
²  GLISSANT, Edouard. Traité du Tout Monde. Paris : Gallimard, 1997.

TTG_LES ORACLES_2

Les Oracles 2012 – 2013 Série de gravures sur nacres de l’archipel des Tuamotu (Pacifique) Socles en laiton soudé à l’argent dimensions variables

ENGLISH VERSION /

The archipelago is drifting, from land to sea, it harbours the waves and the early hours. Edouard Glissant, Traité du Tout-Monde, 1997.

Thomas Tronel-Gauthier’s work is the translation of an experience: the encounter with a landscape. From the North of France to the Marquesas Islands, via Thailand, the artist invites us to join him on his journey. Using sculpture, photography, video and installations he brings back fragments of a land or seascape deriving either from natural phenomena or from violent interventions. These fragments, seemingly isolated from their original context, turn out to be zones of projection. They harbour a mental landscape, one which we (re)create after our own souvenirs, our demons and our imagination. Gauthier’s works release a field of possibilities where memory and perception become mutually dependent. « For the landscape to appear, the gaze needs to wander »¹ The casts and moulds are the remains of an ensemble, of a territory of which the artist aims to retain a specific moment. The process of moulding and the process of taking pictures (still or moving images) creates an intense relationship not only with space, but also with time. This allows the artist to absorb and to translate a natural and fleeting event: a wave passing by, the glistening sea, a rock, swallows taking flight, the movement of the sand once the sea has withdrawn. We tend to perceive these moments like miracles, and yet they’re part of an ongoing cycle. In isolating them, the artist brings the landscape back to a human scale (its body and temporality) and reminds us of its immense nature.

TAHITI-MOOREA 2012 Vidéo HD, 2mn en boucle

TAHITI-MOOREA
2012
Vidéo HD, 2mn en boucle

His monochromatic paintings work differently. The idea of a landscape is conveyed by the production of rhizome-like imprints: motifs in the shape of roots featured on blue, white, black or green surfaces. In a similar way, the artist uses shells, particularly fan mussels and engraves their backsides with images of explosions. These latter ones echo the testing of nuclear weapons carried out by the French in the Pacific Ocean. Thus the artist captures something invisible. While the tests have modified the life there in a way that’s indelible, the nuclear presence remains indiscernible. Shellfish, usually an object of exotic reveries, becomes the carrier of a political reality. Thomas Tronel-Gauthier preserves the trace of a journey, of an emotion, of a sense of uneasiness or else, one of exaltation. More than just a reminder of a lost moment, each of his works gives evidence of a vision and a way of being in this world. In this sense, the artist applies the philosophy of Edouard Glissant, in particular his notion of traces: « A mode of thought centred on the notion of traces presents itself, in contrast with a mode of thought centred on a system, like a wandering journey that provides some orientation. We recognize that traces connect us, all of us, regardless of where we are coming from.[…] Traces teach us how to read the branches and the wind: being oneself, drifting towards the other. Like sand in a real utopian disorder. […] Traces make for fierce divagations in our common mode of thought. »² Thomas Tronel-Gauthier’s relationship with landscapes is centred on giving back, in a physical and sensitive way, a journey. Through his eyes and hands he brings it to the surface to reveal its trace.

[Julie Crenn, translation by FRANK’S]

¹ JULLIEN, François. Vivre de paysage ou L’impensé de la Raison. Paris : Gallimard, 2014.
² GLISSANT, Edouard. Traité du Tout Monde. Paris : Gallimard, 1997.

——————————————————————————————————————–

Thomas Tronel-Gauthier 
 CE QUE J’AI VU N’EXISTE PLUS
29/01/2015 – 28/03/2015
vernissage jeudi 29 janvier, 18h
+ Galerie 22,48m² / http://www.2248m2.com/2014/06/32.html
++ Thomas Tronel-Gauthier / http://thomastronelgauthier.com/
+++ CONVERSATION SUR LE PAYSAGE /
Dans le cadre de l’exposition
CE QUE J’AI VU N’EXISTE PLUS
de Thomas Tronel-Gauthier
Julie Crenn réunit les artistes : Thomas Tronel-Gauthier,
Cécile Beau, Mathilde Denize, Maude Maris, et Eva Nielsen
RÉSERVATION CONSEILLÉE : reservation@2248m2.com

Un commentaire

  1. Ping : CONVERSATION SUR LE PAYSAGE /// Galerie 22,48m² | Julie Crenn

Laisser un commentaire

Ce site utilise Akismet pour réduire les indésirables. En savoir plus sur la façon dont les données de vos commentaires sont traitées.