Depuis le début des années 2000, Ninar Esber développe une pratique artistique protéiforme et politique. Par la performance, la vidéo, la photographie et la sculpture, l’artiste pointe du doigt les discriminations et les inégalités générées par la pensée patriarcale. Elle examine plus particulièrement le statut et le rôle attribués aux femmes au Moyen-Orient, en Europe ou ailleurs. Elle prête volontiers son corps pour exacerber l’absurdité, l’hypocrisie, la violence et l’injustice subies par les femmes et/ou les communautés dites « minoritaires ». Ninar Esber instaure systématiquement un décalage plastique avec les sujets épineux. Elle manipule les effets séducteurs, attise notre curiosité, pour nous plonger dans une réflexion basée sur le rapport à l’autre.
Le projet Triangle for Women who disobey s’articule autour d’une œuvre vidéo éponyme réalisée en 2012. Sur l’écran défile une série de fatwas et de lois dirigées à l’encontre des femmes au Moyen-Orient et dans le monde. L’artiste relève et compile les injonctions patriarcales qui régissent l’existence de femmes qui ne doivent en aucun cas montrer leur visage, voyager seules, aimer les bananes, aimer les femmes, être actives politiquement, prétendre que leur corps leur appartient, penser qu’elles sont les égales de l’homme. Les interdictions, qui varient selon les pays, nourrissent l’oppression et le contrôle des femmes. Extraites de leur contexte et accumulées les une à la suite des autres, elles traduisent un étouffement. Un malaise qui se prolonge puisque le titre de l’œuvre fait référence à une forme géométrique spécifique, le triangle. Il y est abordé de trois manières : musicale (Jacno, Triangle, 1979), historique et symbolique. D’un point de vue historique, il renvoie aux marquages nazis effectifs lors de la Seconde Guerre Mondiale. Si dans la mémoire collective, l’étoile jaune est le plus connu, les triangles colorés, ont permis diverses différenciations (religieuses, raciales, sexuelles, ethniques). Toujours tournés vers le bas, les triangles séparent : noir pour les tziganes, les prostituées ou les lesbiennes ; rose pour les homosexuels ; rouge pour les résistants politiques ; bleu pour les émigrés. D’un point de vue symbolique, le triangle renversé convoque le sexe féminin. Devenue symbole féministe depuis les années 1960, notamment grâce à l’œuvre d’une artiste comme Judy Chicago, la figure recèle les histoires de communautés stigmatisées. En ce sens, les dessins, où l’accumulation des fatwas retranscrites aux crayons de couleur forme différents triangles colorés, s’inscrivent dans un héritage artistique féministe affirmé.
De plus, les histoires et les expériences constituent, triangle par triangle, une porte lumineuse et multicolore, invitant à la désobéissance et à la résistance. La silhouette de The Gate of Women who disobey s’inspire de la porte d’Ishtar, une des huit portes de la cité intérieure de Babylone (586 avant JC) érigée en l’honneur de la déesse assyrienne. Redoutée, elle incarnait la vie et la mort, mais aussi l’accord entre le féminin et le masculin. Ninar Esber choisit un symbole d’autorité et d’équilibre pour y concentrer les outrages, passés comme présents, commis à l’encontre des minorités. La porte, insigne de fiertés, atteste de la persistance d’un combat quotidien.
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Ninar Esber / James Webb
Du 15 janvier au 14 mars 2015
Vernissage le 15 janvier à partir de 18h, en présence des artistes
DOSSIER DE PRESSE / dp_nous_fr
+ Galerie Imane Farès / http://www.imanefares.com/exposition_avenir.php?thm=expo_futures
++ NINAR ESBER / http://www.ninaresber.com/