Pretty hurts, we shine the light on whatever’s worst
Perfection is a disease of a nation, pretty hurts, pretty hurts
Pretty hurts, we shine the light on whatever’s worst
We try to fix something but you can’t fix what you can’t see
It’s the soul that needs the surgery.
Beyoncé – Pretty Hurts (2013)
Quels sont les ingrédients d’un film ? Un scénario, un décor, des acteurs, des costumes, une intrigue, une atmosphère, une bande originale, une photographie singulière, une esthétique. Emmanuelle Becquemin et Stéphanie Sagot forment La Cellule (Becquemin&Sagot), un duo artistique qui se joue des codes du cinéma, de la performance, du design et de l’art contemporain pour développer un scénario longue durée dont elles sont les actrices et les héroïnes. En déambulant sur un fil ténu situé entre le réel et la fiction, elles se présentent sous les traits et les costumes de sœurs siamoises : une femme répliquée et multipliable. Une femme standardisée, un modèle moderne et stéréotypé, qui devient le personnage d’une intrigue hautement critique. Les deux artistes plantent un décor, choisissent soigneusement les costumes et les accessoires, identiques évidemment. Elles façonnent les objets et les outils qui vont participer au déroulement du récit. Elles se mettent en scène, et, sur un mode à la fois absurde et ironique, vont détourner, retourner, déjouer un système normatif régissant la représentation des femmes.
Un système entièrement fondé sur une réflexion sexiste, qui porte, forcément, un jugement limitatif sur les statuts, les libertés et les corps des femmes. Ce système représente une source intarissable d’inspiration. En ce sens, La Cellule (Becquemin&Sagot) s’empare joyeusement des injonctions sociales et des stéréotypes essentiellement liés aux notions de la féminité, du désir et de la séduction. Elles examinent les normes et les traditions qui régissent les esprits classificateurs, les mœurs et les comportements. Ces normes sont distillées de différentes manières, par le biais des discours politiques, de la culture (notamment par le cinéma et la musique populaire) et de l’espace médiatique dans son ensemble (la publicité est un des puissants vecteurs du sexisme). Les artistes empruntent à ces trois pôles de diffusion des décors, des costumes et des objets qui trouvent un écho efficace dans l’imaginaire collectif. L’œuvre vidéo intitulée Ouh… she’s a sexy girl – Autoportrait à l’autoradio (2016) est un plan fixe présentant les deux artistes immobiles, vues de dos. Allongées sur une serviette de bain rose et vêtues d’un maillot de bain vert, elles regardent la mer. Entre elles, un parasol twerke énergiquement au son du tube de l’été, exagérément sexiste. La tactique de l’humour sert la cause critique d’une réflexion féministe.
Le corps féminin est en effet le plus souvent perçu et proposé comme un territoire de fantasmes, un objet de désirs et de séduction. La Cellule (Becquemin&Sagot) se joue du corps-objet. Sur un miroir circulaire sont posées deux paires de jambes réalisées en résine teintée de bleu. Autoportrait en natation synchronisée (2016) traite à la fois de la gémellité, mais aussi d’une déshumanisation présente dans la représentation des femmes. La femme-objet est ici réduite à deux paires de jambes gracieuses et aguicheuses. Une donnée que nous retrouvons dans l’œuvre Le Lèche-cul (2010), une sucette réalisée en chocolat hybridant les corps (du bassin aux pieds) des deux artistes. L’œuvre comestible adopte un ton humoristique et inquiétant. L’objet de désir se fait monstrueux et engendre un malaise. In bed with La Cellule (Becquemin&Sagot), traduit un sentiment de trouble et d’inquiétante étrangeté. Un oreiller blanc est posé au sol, il respire en inspirant et en expirant lentement. Il est marqué d’une phrase brodée, blanc sur blanc : « rupture prématurée de la membrane ». Tout en traitant de problématiques liées à l’intimité et au couple, les artistes mixent les références en allant d’une chanson de Madonna à une formule médicale indiquant la séparation entre l’enfant et sa mère au moment de l’accouchement. La Cellule (Becquemin&Sagot) cultive la notion d’inquiétante étrangeté en étudiant de près les fétichistes de la laine mohair. Depuis 2014, elles travaillent cette matière extrêmement douce à partir de laquelle elles fabriquent des extensions corporelles. À la fois sculptures et accessoires à porter, les œuvres en mohair s’appuient sur un registre de formes féminines, sensuelles, voire sexuelles. Les deux artistes ont d’ailleurs mis au point deux queues de sirènes en mohair, qu’elles ont porté pour la mise en scène d’un autoportrait réalisé en 2016. La sirène est dans l’imaginaire collectif un mythe, un fantasme, un dangereux appel, un corps étrange, à la fois libre et impuissant. Les Fétichistes du Mohair (2014-2016) se moque gentiment d’une communauté addicte à une matière spécifique et souligne une nouvelle fois le caractère déshumanisé et sexué du corps féminin.
À la recherche des stéréotypes et de la manière dont se matérialisent les rapports de pouvoirs, elles explorent différents territoires avec un regard à la fois artistique, ethnologique et sociologique. Elles observent alors les rapports hiérarchiques qui se distillent dans les ambassades, dans l’hôtellerie de luxe à l’étranger, ou, plus localement, dans les sites touristiques français. Elles réalisent La Créature de l’Ambassadeur (2008-2009), une série de photographies présentant une femme anonyme vêtue d’une combinaison intégrale dorée. Son visage est couvert, tandis que sa taille est parsemée de chocolats enveloppés de papier doré (Ferrero Rochés). La « créature » pose auprès d’ambassadeurs français dans différents pays. La publicité chocolatière est un prétexte pour analyser les codes, les protocoles et les comportements dans les sphères de pouvoir. Sur un même mode opératoire, la série de photographies intitulée Do Disturb! The Cocktail Party (2011), présente les deux artistes posant en compagnie de maîtres d’hôtel augmentés de plateaux, d’accessoires absurdes et de bouquets de fleurs. Les maitres d’hôtel performent au même titre que les artistes pour tourner en dérision les notions de bienséances, de discipline et de protocoles hiérarchiques. Quelques années plus tard, au sein du projet Road-movie pop-corn, elles se transforment volontiers en poupées siamoises, frivoles et faussement naïves. Équipées de maquillage, de mini shorts et d’un tandem, elles s’engagent dans une expédition pour étudier le tourisme de masse, qui selon elles « mécanise les envies, les paysages, et les corps ».
Alors, de stéréotype en stéréotype, La Cellule (Becquemin&Sagot) sonde un imaginaire collectif au sein duquel les femmes peinent à se libérer. Cagoulées, gantées, couvertes, souriantes, dociles, les sœurs siamoises pointent du doigt la persistance d’une oppression. Leur discours, tant visuel, plastique, conceptuel que sonore, est teinté d’absurde, d’autodérision et d’ironie. En transformant les clichés sexistes en un outil critique, les artistes taclent le système normatif. Du haut de leurs talons hauts, elles invitent à une confrontation sexie et décalée aux réalités d’un imaginaire sclérosé par ses traditions, ses désirs et ses projections.
Attaché à suivre les parcours professionnels des artistes de l’Occitanie, Croix-Baragnon a invité La cellule (Becquemin & Sagot), duo de plasticiennes issu du champ du design.
L’exposition Sexy Groovy présente une vingtaine d’oeuvres, mêlant nouvelles productions et pièces plus anciennes dont certaines n’ont encore jamais été montrées en France. Tout en questionnant en filigrane le genre de l’autoportrait, où les deux artistes se font les héroïnes d’un récit qu’elles tissent au fil de leurs productions avec humour et autodérision, l’exposition met en vue nos rapports aux objets dans une société qui n’est plus que loisir et divertissement.
Cette exposition s’inscrit dans la continuité de LOFT STORY (CIAM – La Fabrique), consacrée aux relations entre l’art et le design, sous le prisme de l’humour.
Rencontre autour de l’exposition le 20 janvier 2017, 18h
avec Christian Alandete.
+ LA CELLULE (Becquemin&Sagot)
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