L’exposition Men at Work, Go Slow ! est le fruit d’une collaboration entre Thierry Micouin (né en 1961 à Antibes), le Musée dela Danse et le centre d’art contemporainLa Criée à Rennes. Il s’agit un projet interdisciplinaire liant danse, vidéo et performance, axé sur le thème de la prostitution masculine. En 2009, alors que Thierry Micouin, danseur / chorégraphe / vidéaste, est en résidence à New-York, il décide de se plonger dans les rouages de la prostitution masculine, majoritairement homosexuelle, considérée comme une prestation de service comme une autre dans une ville où ce qui est illégal est contourné. Il observe toute une industrie du sexe via Internet où se multiplient les sites de rencontres proposant des prestations sexuelles rémunérées, mais aussi via les arrières boutique de sex-shop ou de DVD stores. Son projet donne naissance à un spectacle chorégraphique (dont une captation est diffusée dans une salle de l’exposition) et à une forme installation-vidéo inédite actuellement présentée àLa Criée.
L’installation-vidéo propose une perspective extrêmement intime de ses rencontres avec dix travailleurs du sexe new-yorkais qui ont accepté de jouer le jeu de Thierry Micouin : raconter leurs expériences, leurs parcours, leurs histoires. Chaque rencontre s’est déroulée chez l’escort (forme légale et admise, qui se substitue à la réalité qui elle est illégale), que l’artiste est parvenu à contacter en se faisant passer pour un client potentiel ou bien pour un journaliste. Visages découverts, filmés en gros plan, les huit hommes se confient en toute liberté sur leur travail, les difficultés et leurs conceptions des relations sexuelles, amoureuses et humaines dans leur ensemble. Dans une ambiance tamisée, bleutée, le visiteur est convié à s’asseoir successivement en face de huit écrans et à écouter le récit des escorts dans un casque. Quatre moniteurs fixés sur un mur et quatre autres leur faisant face. Rapidement, une intimité se crée entre eux, à l’image de celle qui peut exister dans les arrières boutiques des DVD stores où des hommes viennent discrètement visionner des films pornographiques. L’ambiance calfeutrée renvoie au fait que les hommes prostitués ne travaillent plus dans les rues, mais de manières confidentielles, secrètes et discrètes. Sous notre regard et dans nos oreilles, Justin, Brandon, Heihul, Jan, Jordan, Kevin, David et Tommy partagent sans compromis, sans pudeur et sans hypocrisie, leurs choix, leurs expériences et leurs identités respectives.
Le gros plan à le pouvoir d’arracher l’image aux coordonnées spatio-temporelles pour faire surgir l’affect en tant qu’exprimé. [Gilles Deleuze, « Le gros plan et l’obscène », 2002].
Le fait que chaque entretien soit réalisé dans l’appartement des escorts rencontrés augmente notre intrusion dans leurs intimités. Leurs foyers sont aussi leurs lieux de travail. Ils vendent leurs corps et leur temps sur des sites internet et fixent des rendez-vous dans des hôtels ou lieux publics, mais le plus souvent ils reçoivent les clients directement chez eux. Thierry Micouin a souhaité mettre en lumière cet aspect de leur travail. Chaque entrevue est découpée en trois phases : le récit, le lieu et 5 minutes silencieuses face caméra (en référence aux Screen Test d’Andy Warhol). L’artiste accorde autant d’importance à la scène qu’au protagoniste. Il filme espaces de vie, la chambre, les vêtements, les objets personnels, les accessoires etc.
De part et d’autre des huit moniteurs, sont projetés deux films liés à la ville de New York. NYX, Fall (2009) est composé de plans multiples de la ville, des ponts, des trottoirs, d’objets et de travailleurs. Le titre de l’exposition vient d’ailleurs des panneaux de signalisation qu’il a rencontrés lors de ses promenades dans la ville. Il juxtapose ces injonctions publiques aux parcours des escorts. Thierry Micouin a choisi d’entrecouper ces vues urbaines au quotidien des escorts : corps, accessoires, visages en surimpressions, masqués. On y décèle une furtive chorégraphie dans les rues de New York avec David, l’un des escorts interviewé. Le second film, Golden Shoes, est un plan fixe sur les pieds d’hommes dans des toilettes publiques à New York. Face à l’écran, nous nous retrouvons dans une position de voyeur frustrés. Si nous ne voyons rien à partir des pieds masculins, la bande sonore nous indique leurs déambulations mécaniques des toilettes, vers les robinets et le sèche-main. Le voyeurisme est suggéré, il fait appel à un imaginaire collectif et à nos expériences.
Sans aucune volonté documentaire, subversive ou voyeuriste, Thierry Micouin parvient à percer l’intimité des escorts rencontrés et nous offre de véritables portraits vidéo où espaces publics et espaces privés s’entremêlent. L’artiste parvient à une mise en perspective pertinente de la prostitution masculine, des questions corporelles, de la vidéo et de la performance. L’expérience personnelle, les lieux et les corps font jaillir une réflexion socio-corporelle sur nos identités, nos choix, l’utilisation de nos corps, nos libertés et nos relations à l’autre.
—————————————————————————————————————————————-
Repères biographiques : Après des études de médecine, Thierry Micouin se forme au théâtre puis à la danse, notamment auprès de l’équipe du Tanztheater Wuppertal et de Peter Goss. Il a été interprète pour Philippe Minyana, Karine Saporta, Félix Ruckert, Mié Coquempot, Jesus Hidalgo, Valérie Onnis et Osman Khelili.
Depuis 2002 et la création de la pièce Cantieri, il collabore avec Catherine Diverrès en tant qu’interprète et vidéaste. Cette chorégraphe évidemment, comme Dominique Mercy et Malou Airoudo associés au Tanztheater Wuppertal, sont les trois piliers fondamentaux, fondateurs de son identité de danseur. Ils l’inscrivent dans la spécificité d’un travail ancré profondément, non seulement sur la technique mais aussi sur la perception de l’espace, la matérialisation du temps et l’exploration profonde de la mémoire et de l’imaginaire.
Sa rencontre avec Boris Charmatz en 2009 marque un nouveau pas dans son parcours artistique. Il conçoit Le Petit musée de la danse, présenté dans le cadre de l’exposition Brouillon et est actuellement interprète dans ses deux dernières pièces, Levée des conflits et Enfant.
—————————————————————————————————————————————-
Thierry Micouin, Men At Work, Go Slow !, du 17 novembre au 18 décembre 2011, au Centre d’Art Contemporain La Criée (Rennes), Plus d’informations sur l’exposition : http://www.criee.org/
Site de Thierry Micouin : http://www.thierrymicouin.com/
—————————————————————————————————————————————-