TAYSIR BATNIJI /// LE MONDE N’EST PAS ARRIVE

Vue d'exposition à la galerie Eric Dupont, 2011. Courtesy Galerie Eric Dupont

La Galerie EricDupont accueille actuellement une exposition monographique de Taysir Batniji (né en 1966, à Gaza, Palestine). Il s’agit d’une présentation d’œuvres récentes et inédites de l’artiste installées dans le nouvel espace de la galerie. Des œuvres qui s’inscrivent dans la continuité d’une réflexion amorcée dans les années 1990 durant lesquelles l’artiste a décidé de quitterla Palestine(où il a vécu jusque ses 25 ans) pour s’installer et travailler en France. Sa pratique est multiple : peinture, vidéo, installation, photographie, dessin et performance. Différents medium à travers lesquels il explore des thématiques comme l’exil, les migrations, l’appartenance, les identités, le foyer. Son histoire, sa culture et sa relation actuelle avecla Palestinesont au cœur de son projet artistique. Il dit : « Je fais en sorte d’être au plus proche de moi, d’évoquer cette réalité sans tomber dans l’illustration, le pathos, le discours politique convenu. J’essaie donc, à partir de mon expérience personnelle, de rendre compte de cette histoire, de cette réalité avec une dimension poétique, esthétique, conceptuelle. J’essaie de proposer autre chose que ce que les médias nous donnent à voir. »

GH0809, 2010. 103 tirages numériques couleur sur papier, Plexiglas, 35 x 27 cm. Courtesy Galerie Eric Dupont

Le visiteur est d’abord attiré par une série de photographies présentées comme dans les vitrines des agences immobilières : une photographie des maisons et immeubles, encadrée d’un liseré rouge, accompagnée d’une description et recouverte d’une simple plaque de verre. Si l’artiste adopte les codes d’une stratégie commerciale, liée à un marché habituellement vecteur d’un rêve collectif : avoir un foyer, la série GH0809 (Gaza Houses 2008-2009) dénonce une toute autre réalité. Taysir Batniji qui ne pouvait plus revenir à Gaza depuis 2006, en raison du blocus, a confié une mission précise au journaliste Sami al-Ajrami : photographier de manière neutre et distante les maisons bombardées par l’armée israélienne. Il devait se faire le témoin des conséquences d’une action militaire musclée qui s’est déroulée entre 27 décembre 2008 et le 18 janvier 2009 : plus de 1 300 victimes (dont 65 % de civils) et plus de 5 000 blessés. Le journaliste était non seulement un témoin, mais aussi un passeur d’une réalité isolée, silencieuse et douloureuse. Taysir Batniji travaille à partir d’un langage visuel familier, trivial et purement commercial, pour y inscrire le quotidien d’un pays, d’un peuple méprisé subissant une guerre usante, violente et complexe. Un décalage formel et conceptuel est imposé par l’artiste pour nous amener à une prise de conscience abrupte et franche. Face aux images est disposée l’œuvre intitulée Tiling and Clamp (2010), il s’agit de carreaux de carrelage usagés, empilés et assemblés par un serre-joint. L’œuvre nous renvoie à une réalité matérielle, à l’idée de chantier, de reconstruction éphémère puisque les carreaux usagés indiquent un recommencement.

Verre, anneau métallique, 2007. Copie à l'échelle du trousseau de l'artiste. Courtesy Galerie Eric Dupont

Au mur sont accrochés des dessins sobrement réalisés sur fond blanc, ainsi des corps fragmentés, des éléments domestiques et guerriers défilent sous nos yeux : une table, des chaises, un lustre, un matelas, une main, des couteaux, des hachoirs, un casque militaire, un fauteuil roulant ou encore un cendrier et un trousseau de clés. Taysir Batniji extrait des maisons de Gaza des symboles ayant trait non seulement à la perte du foyer, d’une forme de tranquillité normale et rassurante, mais aussi à un quotidien stressant, aliénant et violent. Non loin des dessins, est installé un trousseau de clés en verre (Sans Titre, 2007) reflétant la fragilité et l’inconsistance de ce que nous pensons comme acquis, tangible et normal. Les clés, qui sont celles de l’artiste, symbolisent une incertitude et un questionnement constant de la valeur de ces biens acquis. Au sol, un matelas de pierre de pavés vient faire écho non seulement aux maisons et aux rues détruites, mais aussi aux dessins révélant la fragilité de la sphère domestique. Socle du Monde est un hommage à l’œuvre éponyme de la figure de l’Arte Povera, Piero Manzoni (Socle du Monde, 1961), qui lui-même avait réalisé son œuvre en hommage à Galilée. Une correspondance historique et thématique s’instaure alors entre Socle du Monde et la photographie lui faisant face : Constellation. Une image sombre, d’un noir profond, d’où d’extrait des points lumineux semblables à des étoiles. En réalité, Taysir Batniji a obtenu ce résultat en laissant le capuchon de son appareil fermé. Il trouble ainsi notre perception des objets et met en place un jeu conceptuel qui se concrétise de manière flagrante avec le dessin mural, MINEDERIEN (2011), réalisé à la pointe de graphite. Les lettres grisées, mesurant un mètre vingt de haut, nous renvoient non seulement aux mines utilisées par l’artiste mais aussi à sa philosophie consistant à observer les détails, les glissements visuels et sémantiques et les interstices. Le titre de l’exposition, Le Monde n’est pas arrivé, vient de la surprise de l’artiste lorsqu’il a vu une pancarte portant cette mention, affichée sur un kiosque de presse. Il n’a pas immédiatement pensé au journal, mais a plutôt considéré cela comme un commentaire poétique et ironique de la situation mondiale et des dérives passées comme actuelles. Le monde est en chantier, en devenir, il est instable et fragile, à l’image des œuvres de Taysir Batniji.

Taysir Batniji détourne les symboles, il les réinvestit afin qu’ils produisent un sens nouveau, une alternative et qu’ils nous rapprochent de réalités occultées, dérangeantes et brutales. Il pose un malaise à travers des codes et des objets qui nous sont pourtant familiers et nous transpose dans un monde en suspension, chahuté entre la pierre et le verre, la constance et l’inconstance, la présence et l’évanescence. Un monde en proie aux contradictions, aux interrogations et aux stupéfactions. L’artiste observe et démêle subtilement les petits riens de nos quotidiens, d’ici et d’ailleurs, des petits riens qui se révèlent être les vecteurs de questions cruciales et de problématiques essentielles quant à l’équilibre précaire de nos sociétés, de la fragilité des échanges humains et des aliénations contemporaines.

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Exposition Taysir Batniji – Le Monde n’est pas Arrivé, du 8 décembre 2011 au 21 janvier 2012 à la galerie Eric Dupont.

Plus d’informations sur l’exposition : http://www.eric-dupont.com/

Plus d’informations sur l’artiste : http://taysir.b.free.fr/

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Collaboration avec la revue Infernohttp://ilinferno.com/2012/01/10/taysir-batniji-le-monde-nest-pas-arrive/

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