POESIE DE LA DESUETUDE /// YOUSSEF NABIL

La Maison Européennedela Photographie présente actuellement la première rétrospective française du travail photographique Youssef Nabil. Né au Caire en 1972, il connaît depuis les années 2000 une accélération dans sa carrière. Ainsi il expose aux quatre coins du monde et partage avec le public ses photographies teintées de nostalgie et de poésie. Des portraits et autoportraits qui composent un univers singulier, intimiste et suranné. Il a choisi de réunir à Paris soixante photographies, aux formats divers, reflétant une esthétique sans faille, envoûtante et intense. Le caractère inédit de l’évènement est une occasion pour nous de revenir sur le cheminement d’un artiste nostalgique, rêveur et passionné par le genre humain.

Alors qu’il étudie la littérature à l’université du Caire, il commence à prendre de photographie à l’âge de 19 ans. Il entre dans le milieu de la mode et devient l’assistant de David Lachapelle à New York, puis de Mario Testino à Paris. De cette expérience, il retient une attention particulière pour une sophistication des modèles, des mises en scènes cinématographiques et des décors surannés. IL prend conscience la nécessité de formuler un travail plus personnel, il se photographie et décide de réaliser des portraits de ses amis : artistes, acteurs, chanteurs et anonymes. Sa galerie comporte aujourd’hui les visages de Catherine Deneuve, Shirin Neshat, Zaha Hadid, Marina Abramovic, Natasha Atlas, Mona Hatoum, Rossi de Palma, David Lynch ou encore Tracey Emin et Louise Bourgeois.

Le plus souvent des femmes à qui il offre un portrait comme suspendu dans le temps, iconique et éternel. L’artiste joue ainsi de la vanité de la célébrité fixée à un instant T d’une carrière éphémère, qu’il prolonge sur le papier. Les peaux sont lumineuses, les regards pénétrants, émouvants. Les portraits sont ceux de personnes qu’il aime sincèrement et dont il trouve une résonance dans ses propres préoccupations. Malgré les poses hiératiques et les plans rapprochés, il parvient à révéler un aspect resplendissant de leurs personnalités au moyen de ses pinceaux et couleurs séduisantes. Nous sommes happés par leurs visages. Célèbres ou anonymes, Youssef Nabil a besoin d’être fasciné par ceux et celles qu’il voit à travers son objectif. Une fascination qui se matérialise avec éclat. Chacun d’entre eux possède une intensité non seulement due à l’aura des modèles, mais aussi à la technique spécifique employée par Youssef Nabil.

Ses photographies sont réalisées en studio ou dans des endroits intimes où chaque détail est pensé et arrangé par l’artiste. Il pratique ensuite des tirages en noir et blanc, qu’il colorise de manière totalement artisanale. À l’aide de fins pinceaux il applique lui-même la couleur sur l’image. Il s’est inspiré d’un art traditionnel en Egypte, la colorisation manuelle des affiches de cinéma. Notamment du cinéma des années 1940-1950, la période « Hollywood sur le Nil » durant laquelle les affiches étaient peintes à la main. Enfant et adolescent il passait des heures devantla TVà regarder les films des années 1950, égyptiens et hollywoodiens. Un cinéma romantique, aux sentiments exacerbés, à l’esthétique parfaite et aux histoires troublantes et envoûtantes. Nous y observons un attrait particulier pour les couleurs qui apportent une touche glamour, une élégance et une intemporalité des visages et des postures. Il s’agit là d’une technique fastidieuse que l’artiste s’est appropriée et qu’il a transposée à son propre univers. La peinture confère aux photographies un grain exceptionnel et un caractère unique. Les portraits se métamorphosent en icônes, où chaque visage compose la mythologie personnelle et affective de l’artiste.

Pour moi, le cinéma c’est la vie. C’est notre histoire, c’est la fin, le début, ce que tu fais entre deux. Et, vous savez depuis le début que cela va se terminer un jour. Vous allez voir un film, vous savez qu’il ne va durer que deux heures ! Deux heures, ou trois heures, ou une heure et demie la plupart du temps et cela va se terminer ! Et c’est l’ensemble qui parle de la vie pour moi. J’espère que mon film n’est pas trop court et qu’il ne va pas s’achever trop vite. Mais quand il va finir, il finira. C’est une folle découverte pour moi.[1]

Un film dont il choisit chacun des acteurs, des lieux et des ambiances. Un film dont il tient le premier rôle et dont il maîtrise avec soin l’esthétique faussement désuète. À l’image de ses autoportraits pris dans des chambres d’hôtels et paysages traversés lors de ses différents déplacements. Au Brésil, en Sardaigne, à Paris, au Caire, à Venise, à Istanbul, nous suivons le fil de son périple global et culturel où son corps et son regard nous apparaissent comme les vecteurs d’une narration intime, discrète et solitaire. À propos de ses autoportraits il dit : « Ils sont tristes, oui, bien sûr parce que les autoportraits sont les plus personnels. Ils parlent plus directement de ma vie. »[2]

De dos, endormi, espérant « mourir dans son sommeil », sur une barque dans le port d’Alexandrie, plongé dans une mélancolie, dans une lecture dans ses pensées, Youssef Nabil se met en scène et impose une distance entre lui et le spectateur. En ce sens, ses autoportraits sont influencés par sa passion pour une artiste comme Frida Kahlo (à qui il rend hommage via un portrait intitulé My Frida, réalisé au Caire en 1996). Comme elle, il s’entoure d’éléments symboliques qui favorisent une interprétation des images et des messages qu’il souhaite nous transmettre. Vu de profil, il est nimbé d’un néon indiquant le mot CINEMA, allongé parmi les épaisses racines d’un arbre, couché devant une peinture de Sandro Botticelli, fixant à l’horizon les majuscules blanches d’HOLLYWOOD ou assis au pied d’une pyramide. Il nous ouvre une porte sur son univers interculturel, ses influences passées et présentes, ses voyages et ses envies.

L’œuvre singulière de Youssef Nabil, entre photographie et peinture, est lumineuse, pudique, délicate et extrêmement personnelle. Il construit depuis les années 1990, un scénario où chacun des acteurs et actrices y est mythifié, fixé dans le temps. Un film qui a récemment quitté le papier pour se jouer sur l’écran, puisqu’il est passé derrière la caméra en 2010. Il a réalisé le film You Never Left (montré pour la première fois àla Galerie Natalie Obadia en 2011) où il met en scène Fanny Ardant et Tahar Rahim (son alter ego). Le film conserve les couleurs surannées, la lenteur des gestes et l’expression intense des visages. Youssef Nabil donne du mouvement à ses images poursuivant et renouvelant ainsi son exploration intérieure.

Julie Crenn

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Exposition Youssef Nabil, àla Maison Européenne dela Photographie, du 18 janvier au 25 mars 2012.

Plus d’informations sur l’exposition : http://www.mep-fr.org/expo_1.htm

Plus d’informations sur l’artiste : http://www.youssefnabil.com/

Youssef Nabil est représenté par la GalerieNatalieObadia : http://www.galerie-obadia.com/artist_detail.php?ar=113&af=1&p=3&g=2

Texte en collaboration avec la revue Inferno : http://ilinferno.com/2012/01/26/photographie-youssef-nabil-poesie-de-la-desuetude/

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[1] Entretien avec Karen Wright,New York, 2010.

[2] Ibid.

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