FRANCIS RAYNAUD /// ALCHIMIES INSTABLES

De sa formation de cuisinier il subsiste un goût pour les concoctions audacieuses, les mélanges étonnants et les associations inattendues. Francis Raynaud (né en 1984 à Clermont-Ferrand) est un plasticien protéiforme : dessin, sculpture, installation, intervention, vidéo, photographie. La sculpte joue un rôle important au sein de sa pratique qui l’amène à produire des installations de type organiques, abstraites et hybrides. Son travail sculpté est le fruit de recettes atypiques grâce auxquelles l’artiste parvient à un équilibre précaire, instable et incertain. « La cuisine comme la sculpture dépend du travail d’atelier et d’une pratique quasi quotidienne. »[1] Nous y décelons les empreintes d’une histoire de l’art expressionniste et expérimentale, des Tirs de Niki de Saint-Phalle aux installations de Matthew Barney, en passant par les sculptures-mobiliers de Franz West, les personnages informes de Rebecca Warren, l’univers absurde et sensuel de Gelitin ou encore les moisissures de Michel Blazy. Autant d’influences qui ont mené Francis Raynaud à la réalisation d’une œuvre décalée, truculente et originale.

Au départ il y a la matière, une pâte, épaisse et collante, qu’il faut pétrir de ses mains. Francis Raynaud extrait de ses étranges mixtures des formes fragiles et organiques. La matière est présente, vivante, informe et disgracieuse. Elle jaillit et coexiste avec divers objets dans un environnement chaque fois réinventé. L’artiste entretient une relation singulière avec les matériaux qu’il choisit et s’approprie. Des ingrédients insolites comme le vin, la margarine, le beurre ou encore le sucre oula Maïzena, qu’il mélange au béton, au plastique, au plâtre ou au bois. L’aliment fusionne avec des matériaux associés à la construction, au bâti et au bricolage. Une combinaison de deux pôles matériels issus de l’habitat, de la sphère domestique, à la fois vue de l’intérieur et l’extérieur.

Chaque matériau possède ses propres propriétés, effets et densités. Ils impliquent également une gestuelle spécifique : concasser, broyer, moudre, fondre, écraser. Les mélanges (extra) ordinaires induisent une réflexion sur la fragilité de l’œuvre, son éphémérité et ses variations dans la durée. La présence d’aliments induit une possible moisissure, qui viendra augmenter et réenvisager la forme originelle. Des aliments qui peuvent aussi être amenés à se désagréger, voire à disparaître. Francis Raynaud crée des sculptures de type évolutives, elles interagissent avec leur environnement direct : températures, humidité, durées de l’exposition, passage des visiteurs etc.. Autant de facteurs qui favorisent les métamorphoses, les accidents et les imprévus. C’est justement ces imprévus qui intéressent l’artiste, le caractère mouvant et imprévisible de ses recettes fait intégralement partie du processus créatif. Du point de vue formel, nous percevons une négligence assumée, voire revendiquée. Il laisse les matériaux vivre et en constate les mutations, les altérations. Il est à la fois le créateur et le spectateur de son œuvre.

Le choix des matériaux traduit une relation sensible avec le visiteur. Les aliments notamment font appel à une mémoire collective et personnelle, aux souvenirs, aux expériences. Les formes, les odeurs, les recettes saugrenues et les goûts traversent les esprits. Le caractère culinaire et gustatif des matériaux nous fait entrer dans une sphère sensorielle où le corps et les sens primaires sont mis à contribution. Lorsque le visiteur est informé des mixtures, immédiatement un rapport physique est instauré avec les œuvres. Cela non seulement grâce au contenu, mais aussi à la forme et à l’aspect extérieur. L’informité des éléments sculptés, rend impossible une appréhension frontale, il nous faut alors tourner autour, revenir, se pencher pour en cerner chaque cavité et relief. L’œil ne peut embrasser l’œuvre d’un seul mouvement, le déplacement est imposé.

Les formes malaxées, triturées, s’éloignent de manière radicale de la sculpture traditionnelle, académique. Si elles sont parfois directement posées sur le sol, les sculptures sont aussi présentées sur des socles en bois brute, de simples baguettes de bois ou encore des étagères en métal. L’idée de socle apparaît comme un résidu de la tradition, qui est ici reconceptualisé et détourné. Pour chacune de ses expositions, Francis Raynaud développe une scénographie spécifique. La dichotomie entre noblesse et trivialité y est exacerbée. Il instaure des mises en scène bricolées et minimales, où les sculptures sont présentées sur des étagères en métal triviales, quotidiennes. Francis Raynaud accorde autant d’importance à l’exposition, l’investigation du lieu, qu’aux œuvres individuelles. Celles-ci fonctionnent via des ensembles hétéroclites au sein de scénographies qui viennent revisiter l’histoire des expositions contemporaines.

Francis Raynaud aborde la création comme une entité imprévisible, mouvante, sans barrière ni conceptions strictement académiques. Il ne fait pas de distinction entre les matériaux ou les mediums employés. La photographie, les ready-mades (une lampe de bureau, vêtements, plaque électrique, diffuseurs de parfums etc..), le dessin, les éléments naturels et la sculpture. En apportant une vision excentrique (au sens premier du terme) de la sculpture, de l’installation et de l’exposition, Francis Raynaud fait bouger les lignes, les conventions et bouscule les habitudes. L’éclatement des catégories, des classifications et des normes fait partie de son processus créatif à travers lequel il impose discrètement une œuvre désinvolte, singulière et dotée d’une remarquable audace.

Julie Crenn

Texte en collaboration avec La Belle Revue : http://issuu.com/inextenso/docs/labellerevue2011?mode=window&backgroundColor#222222


[1] Conversation avec l’artiste, octobre 2011.

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