dOCUMENTA (13) /// « La danse était frénétique, endiablée, bruyante, sonnante, tourbillonnante, folle, et elle durait très très longtemps… »

Museum Fridericianum, 2012,Museum Fridericianum, 2012, Photo: Nils Klinger © dOCUMENTA (13)

Manifestation incontournable de l’art contemporain depuis 1955, la 13ème édition de la Documenta à Cassel poursuit les ambitions premières du projet : rapprocher l’art du public, apporter des outils éclairants afin qu’il puisse s’approprier les pratiques actuelles et favoriser les expérimentations plastiques, curatoriales, théoriques et éditoriales. Une nouvelle édition orchestrée par Carolyn Christov-Bakargiev (conservateur en chef et directrice du Castello de Rivoli, à Turin) qui a choisi de réunir 150 invités venant de 55 pays différents. Pendant cent jours des plasticiens, des performeurs, des musiciens, mais aussi des écrivains, des historiens, des critiques, des philosophes ou encore des scientifiques vont interagir au sein d’un évènement multiforme. Sculpture, performance, installation, recherche, archive, peinture, photographie, film, vidéo, texte, son et autres objets seront les marqueurs d’une réflexion axée autour de la mondialité : ses failles, ses limites et ses potentialités. Autant d’intervenants que de prises de paroles réunies dans un catalogue intitulé 100 notes – 100 pensées. Chaque Documenta est accompagnée d’une édition dense et extrêmement riche en informations critiques, théoriques et scientifiques. Le catalogue est ainsi composé de 100 livrets en anglais et en allemand, rédigés par des auteurs aussi différents que Griselda Pollock, Judith Butler, Donna Haraway, Nalini Malani et Arjun Appadurai, Emily Jacir, Lawrence Weiner ou encore Franco Berardi.

Le contenu pluriel et rhizomique de la dOCUMENTA(13) provient d’une réflexion débutée en 2009 par Carolyn Christov-Bakargiev qui n’a pas ménagé ses efforts. Pendant deux ans, la commissaire est allée à la rencontre des artistes et des autres intervenants jusqu’à leurs lieux de travail pour instaurer un dialogue, des échanges et la mise en place de projet communs. Son objectif est de décloisonner la pensée artistique et théorique, de la libérée de codes et des habitudes sclérosantes, afin d’apporter un œil nouveau sur la situation mondiale, tant au niveau culturel, qu’économique, environnemental, politique ou social. La nouvelle édition s’égraine déjà depuis le 20 septembre 2009 avec des actions éphémères (comme les interventions du collectif And, And, And), la publication des 100 notes – 100 pensées, le catalogue en pièces détachées que le public pouvait se procurer avant l’ouverture officielle des expositions, mais aussi une série de conférences et d’évènements qui ont eu lieu non seulement en Europe mais aussi au Brésil, au Japon, en Afghanistan, au Mexique ou en Inde. « Nous parlons de la manière dont l’histoire se répète, et aussi ne le fait jamais, de globalisation, d’internationalisation, et du rôle que l’art et de la culture devrait jouer dans la reconstruction des sociétés civiques en conflit ou en situations post-conflictuelles, de comment l’identité peut grandir comme un paradoxe et dans des contradictions. » (C C-B, 25 oct. 2010).

Une centaine d’artistes ont été invité à travailler à Breitenau (situé à quelques kilomètres de Cassel), un ancien monastère aujourd’hui transformé en un hôpital psychiatrique, qui entre temps a aussi servi de prison et de camp de concentration entre 1937 et 1945. Chacun d’entre eux se devait se créer un ensemble d’œuvres inédites ayant trait ou non à l’histoire du site et qui seront dispatchée entre plusieurs lieux. Carolyn Christov-Bakargiev instaure quatre questions : « Que signifie se retirer du monde, Que signifie être en état de siège ? Que signifie être sur scène ? Que signifie être porteur d’espoir ? ».[1] La retraite, le siège, la scène et l’espoir, quatre postulats qui rythment et construisent les propositions de chaque acteur de la Documenta. dOCUMENTA(13) ne repose pas sur une idée ou un concept défini, bien au contraire elle s’articule autour d’un non concept et d’un scepticisme partagé. Elle explique : « Le savoir n’est qu’une option parmi d’autres. Cette catégorisation prend toute son importance à l’âge du capitalisme triomphant, elle est le résultat d’un travail commun. Il s’agit d’ailleurs moins d’un non-savoir que d’un savoir en train de se constituer ».[2] À partir de cette cela, toutes les portes sont ouvertes et les projets les plus radicaux et curieux sont activés : un parc de sculptures pour chiens (Brian Jungen) ou une pièce pluri-organique (Pierre Huygue). Les pièces sont présentées dans les espaces traditionnels de la Documenta : Le Fridericianum, la documenta-Halle et la Neue Galerie. Le Fridericianum où les visiteurs seront accueillis par une œuvre de Ryan Gander et Till I Get It Right de Ceal Floyer. À l’étage, ils pénétreront dans un espace nommé « Le Cerveau » où seront exposées des œuvres anciennes et contemporaines engageant des allers-retours entre passé et présent. L’histoire et l’actualité dela Documenta, l’histoire de l’art, l’archéologie, la sociologique, la politique etc. Nous découvrons ainsi les peintures de Giorgio Morandi, le travail de William Kentridge ou encore des photographies de Lee Miller.

Agent Eva Scharrer listens to a meteorite. Courtesy dOCUMENTA(13).

Cette année, l’art investit d’autres espaces et d’autres lieux de la ville : l’Ottoneum, l’Orangerie, le parc Baroque Karlsaue (où Giuseppe Penone présente Idee di Pietra – Ideas of Stone), mais aussi des anciennes zones industrielles (Hauptbahnhof, une ancienne gare aujourd’hui utilisée pour les transports en commun de la ville), un ancien cinéma (Gloria Cinema), une maison Huguenot abandonnée, le Ständehaus et le Grand City Hotel Hessenland. La liste des lieux est pour le moment incomplète, l’ensemble sera révélé le jour de l’ouverture dela Documenta. La ville entière se fait terrain d’expérimentations et de surprises. Un réseau est tissé afin que les visiteurs puissent appréhender et s’approprier la ville, son histoire et ce que les artistes ont souhaité souligner à travers elle.

Gloria Kino, Photo: Nils Klinger

Au départ,la Documentaétait une initiative post-guerre visant à replacer les arts et la culture dans une société traumatisée. L’art se devait de construire du lien avec le public, pour lui redonner goût à la création. Aujourd’hui, sur fond de crise mondiale, il s’agit de montrer les capacités de l’art à révéler, à bousculer et à questionner notre monde, ainsi qu’à inciter à une prise de conscience individuelle et collective. Les diverses propositions présentées à Cassel interrogent l’homme et le système économique et financier : rapports, aliénations, restrictions, communication, déplacement, dérives, possibilités, espoirs etc. Il s’agit de nous amener à penser l’individu comme le collectif plongé dans les flux mondiaux : nos responsabilités, nos (des)engagements mais aussi les enjeux, les freins, les ouvertures et les aberrations d’un système auquel les artistes, les théoriciens et les scientifiques apportent des alternatives, des conseils, des avertissements. Conçue comme un espace de discussions et de collaborations, la dOCUMENTA(13) qui porte le sous-titre suivant : « La danse était frénétique, endiablée, bruyante, sonnante, tourbillonnante, folle, et elle durait très très longtemps » se veut engagée, radicale, expérimentale et relationnelle.
Julie Crenn


[1] Voir « Interview de Carolyn Christov-Bakargiev par Caroline Naphegyi » in Artpress, n°390, juin 2012.

[2] Ibid.

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Documenta (13), du 9 juin au 16 septembre 2012, à Cassel.

Plus d’informations sur l’évènement : http://d13.documenta.de/.

Voir aussi le programme de la Maybe Education (congrès, séminaires, lectures, projets divers, résidence, films etc) : http://d13.documenta.de/#dtours/.

Liste (par ordre alphabétique) des participants :

Adnan, EtelAdorno, Theodor W.Ahmady, Leeza Akhunov, VyacheslavAnastas, AyreenAppadurai, ArjunApplebroog, IdaAristarkhova, IrinaAshford, DougAult, Julie Balestrini, NanniBang Larsen , LarsBartolini, MassimoBayadyan, HrachBellatin, MarioBenjamin, WalterBennett, JillBerardi Bifo, Franco Blazwick, Iwona Bosteels, BrunoBrivanlou, Ali Buck-Morss, SusanButler, JudithCastillo Deball, Mariana Castoriadis, Cornelius Cavalletti, AndreaChan, GeorgeChristov-Bakargiev, Carolyn Cox, GeoffCritical Art EnsembleCruzvillegas, Abraham Dalí, SalvadorDath, DietmarDavis, LydiaDoll, Nikola Durham, JimmieEl Saadawi, Nawal Eskin, MichaelFaivovich & GoldbergFaldbakken, MatiasFuncke, BettinaGabri, ReneGalison, Peter L.Gamboni, Dario Garcia Torres, Mario García-Dory, Fernando Ghani, Ashraf Ghani, Mariam Glissant, Édouard Goldsmith, KennethGordon, Avery F.Groys, BorisGrünbein, DursGyörgy, PéterHaraway, DonnaHardt, MichaelHarman, GrahamHassan, Salah M.Heiss, AlannaHeller-Roazen, Daniel Hernández Chong Cuy, Sofía Hoheisel, HorstHolmes, BrianHuyghe, Pierre Ibrahim, Sonallah Jacir, EmilyJodorowsky, AlejandroKentridge, WilliamKim, SunjungKleinman, AdamKluge, Alexander Kouoh, Koyo Krysa, Joasia Kuhtz, ChristianKurenniemi, ErkkiKuzma, Marta Lee, Pamela M. Leslie, JolyonLevi Strauss, DavidLink, DavidLombardi, MarkLovelace, AdaLukács, GyörgyMalabou, CatherineMalani, Nalini Malasauskas, RaimundasMann, ThomasMartínez, Chus Menke, ChristophMitchell, W. J. T.Moreton, Romaine Moritz, JuliaMuecke, Stephen Niermann, IngoObrist, Hans Ulrich Páldi, Lívia Papastergiadis, Nikos Penone, GiuseppePentecost, ClairePerkins, Hetti Petzet, Michael Pollock, Griselda Prvacki, AnaRifky, SarahRolnik, Suely Ross, AndrewRousseau, PascalRyan, PaulRyggen, HannahSadr Haghighian, NataschaSauzeau , Annemarie Scharrer, Eva Schillinger, Jakob –  Scott, KittySepahvand, AshkanSetari, NicolaShiva, VandanaSong DongTamás, G. M.Tarakhovsky, AlexanderTaussig, Michael Taylor, JaneToufic, JalalTrockel, RosemarieVidal-Folch, Ignacio Vila-Matas, Enrique Viliani, AndreaViveiros de Castro, Eduardo – Wagner, Roy Wallace, Ian Weiner, LawrenceWeizman, EyalZeilinger, Anton 

Texte en collaboration avec la revue INFERNO / http://inferno-magazine.com/2012/06/05/documenta-13-la-danse-etait-frenetique-endiablee-bruyante-sonnante-tourbillonnante-folle-et-elle-durait-tres-tres-longtemps/


[1] Voir « Interview de Carolyn Christov-Bakargiev par Caroline Naphegyi » in Artpress, n°390, juin 2012.

[2] Ibid.

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