L’Art de ne pas faire de vague ——————–> [Art & Censure – MOUNIR FATMI]

Technologia. 2010, France, video installation,15 min, SD, 4/3, B&W, stereo. Courtesy Mounir Fatmi.

Depuis quelque temps nous assistons à différents types de censures en France, au profit d’expositions mettant en avant luxe, calme et volupté. Des œuvres sont retirées des expositions par souci de n’offenser personne. Je pense à Zineb Sedira à Vallauris, à Joana Vasconcelos à Versailles et plus récemment à Mounir Fatmi à Toulouse et à Paris. En cause, des discours engagés, des regards critiques par rapport à l’Histoire (en l’occurrence l’histoire coloniale), aux Femmes ou encore aux dérives religieuses. Les institutions font le choix d’écarter, le plus souvent contre la volonté des artistes, des œuvres aux contenus politiques explicites et assumés. J’ai souhaité ici revenir sur le cas de Mounir Fatmi.

 Mounir Fatmi devait présenter à Toulouse, dans le cadre du Printemps en Septembre (édition intitulée L’Histoire est à Moi !), une œuvre intitulée Technologia. Construite à partir de versets calligraphiés extraits du Coran et conçue comme un hommage lumineux aux Rotoreliefs de Marcel Duchamp, l’œuvre devait être projetée sur le Pont Neuf à Toulouse jusqu’au 21 octobre 2012. Or, lors du passage de l’œuvre sur le sol, un groupuscule d’individus de confession musulmane s’est offusqué parce qu’une passante venait de marcher sur les versets projetés. La passante a été giflée. S’en est suivie une manifestation qui a suffit pour que l’artiste décide de retirer son œuvre afin d’apaiser les esprits. Toulouse a vécu en mars 2012 un véritable traumatisme suite à l’extrême violence générée par Mohamed Merah. Un drame qui a ravivé différentes tensions non seulement dans la ville, mais aussi dans tout le pays puisque les politiques n’ont rien fait pour modérer la situation. Technologia avait auparavant été présentée dans différents lieux, et notamment au Mathaf Arab Museum of Modern Art de Doha (Qatar) sans qu’aucune réticence n’ait été exprimé. En effet, l’œuvre traduit une volonté de créolisation des cultures, de croisements entre l’art contemporain occidental et l’art de la calligraphie arabe. Elle n’a donc pas pour objectif de blesser les croyants.

Technologia. 2010, France, video installation,15 min, SD, 4/3, B&W, stereo. Courtesy Mounir Fatmi.

 Dans la foulée, l’artiste apprend avec étonnement que son œuvre vidéo intitulée Sleep – Al Naim est retirée de la programmation de l’exposition collective 25 Ans de Créativité Arabe qui se déroule actuellement à l’Institut du Monde Arabe à Paris. Il était convenu que l’œuvre y soit présentée, pourtant elle en est aujourd’hui écartée. Ironie du sort, l’Institut du Monde Arabe a préféré intégrer Technologia à l’exposition. La vidéo Sleep – Al Naim, elle-même inspirée d’un film d’Andy Warhol montrant six heures du sommeil du poète John Giono (1963), reprend la figure de l’homme endormi, immobile. Nous comprenons rapidement qu’il s’agit de Salman Rushdie, l’auteur britannique menacé d’une fatwa pour avoir publié en 1988 l’ouvrage Versets Sataniques. Une publication qui a soulevé une colère immense dans le monde arabe et qui lui vaut encore aujourd’hui d’être menacé de mort. Mounir Fatmi a souhaité afficher sa solidarité avec l’auteur qui est devenu depuis les années 1980 un symbole de la liberté d’expression et qui, à cause du poids des menaces, vit aujourd’hui dans un état d’isolation, et de quasi sommeil. En retirant l’œuvre, quel message est adressé non seulement à l’artiste, mais aussi à Salman Rushdie ?

Sleep – Al Naim. 2011, France, 6 hours, HD, B&W, stereo. Courtesy Mounir Fatmi.

 Le rapport entre image et religion s’est révélé explosif avec les affaires des caricatures dans le journal Charlie Hebdo ou encore avec le film Persépolis de Marjane Satrapi et Vincent Paronnaud. À cela j’ajoute un climat social français délétère (notamment depuis la période électorale) qui peut expliquer les réticences ressenties, mais qui ne justifie en rien l’exclusion d’œuvres qui, sans volonté d’attiser les foudres islamistes visent bien au contraire à un élan de rassemblement contre toutes les formes extrêmes.

 Puisque plus personne ne doit être brusqué, les institutions, les artistes et le public doivent-ils se contenter d’un art lisse, légèrement acidulé, édulcoré mais sans aucune aspérité ? Un art spectacle, aux sensations immédiates, rapidement consommable et digérable ? Un art qui ne génère plus aucune réflexion quant à la situation de notre société (locale comme globale) ? Bref, un simple art de la distraction. L’art doit porter la critique, il doit être le grain de sable qui va enrayer la machine à produire ce spectacle aliénant et excluant, ainsi que cet état de contemplation lobotomisée. L’art doit être subversif, politique, résistant et radical afin que notre conscience collective, que notre imagerie collective ne s’affaiblisse pas. Retirer les œuvres aux contenus politiques revient à priver le public de regards critiques envers nos modèles sociétaux vacillants. 

 Texte en collaboration avec la revue INFERNO : http://inferno-magazine.com/2012/10/17/lart-de-ne-pas-faire-de-vague/

 

2 Commentaires

  1. De l’art « inodore »…et « indolore »


    De même, justement, je suis quand même toujours surpris lorsque des oeuvres dites contemporaines – ce qui est montré par les FRAC, par exemple -) reprennent des parcours précédents ( par exemple lorsque des intervenants écrivent des textes sur des murs)… et qui font « consensus », c’est à dire que personne ne va s’insurger comme la banalisation grandissante, à partir du moment où les dites oeuvres sont sacralisées par l’étiquette « art contemporain »…

    de m^me, lorsqu’il y a des expositions quasi vides de visiteurs ( en général parallèlement vides de sens, ou de réel travail plastique), la presse, reporte « le grand succès rencontré lors de la manifestation »… – que serait alors un « petit succès » ?

    Le manque d’engagement, ou de propos qui fâchent, est une des caractéristiques d’aujourd’hui… et il n’est pas surprenant que cela se traduise par une censure rampante …

  2. Ping : Petit tour des galeries bruxelloises | osskoor

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