[Compte-rendu exposition] We Will Go Far – Laure Prouvost /// Musée Rochechouart /// Mouvement

Récompensée par le prestigieux Turner Prize, Laure Prouvost connaît pourtant une reconnaissance tardive sur la scène française. C’est à Rochechouart que l’artiste présente sa première exposition monographique dans un musée en France.

Laure Prouvost manipule le réel pour créer des récits à la fois loufoques, référencés, sensibles et extrêmement originaux. Il ne faut jamais se fier à ce qu’elle nous dit. Sa biographie change d’un site Internet à un autre et d’une publication à une autre : Laure Prouvost entretient le mystère et brouille les pistes. Son univers riche et déjanté s’inscrit dans une filiation artistique allant d’ Elaine Sturtevant à Ryan Trecartin, en passant par Mike Kelley et Matthew Barney. En alliant la vidéo, la peinture, la sculpture, la performance ou encore l’écrit, elle nourrit un scénario étrange, absurde, humain et délicat.

Laure Prouvost, Wantee, 2013, vue de l’installation à la Tate Britain, Londres, 2013, techniques mixtes, vidéo (14’), Courtesy de Mot International (Londres, Bruxelles).

Laure Prouvost, Wantee, 2013, vue de l’installation à la Tate Britain, Londres, 2013, techniques mixtes, vidéo (14’), Courtesy de Mot International (Londres, Bruxelles).

Laure Prouvost, Wantee, 2013, techniques mixtes, vidéo (14 min). Vue de l’installation MDAC Rochechouart.  Courtesy de l’artiste et de Mot International (Londres, Bruxelles). Photo Aurélien Mole

Laure Prouvost, Wantee, 2013, techniques mixtes, vidéo (14 min). Vue de l’installation MDAC Rochechouart. Courtesy de l’artiste et de Mot International (Londres, Bruxelles). Photo Aurélien Mole

Do you want tee ?

L’exposition We will go far se déploie en trois temps : au second étage du château nous découvrons l’installation Wantee (œuvre qui lui a valu le Turner Prize en 2013), dans la tour du château est implanté le Grandad’s Visitor Center, enfin, au grenier est installée The Smoking Image, une œuvre inédite produite à Rochechouart.

Il nous faut entrer dans la pénombre du salon des grands-parents de Laure Prouvost pour découvrir Wantee : le film et son décor. Au mur sont accrochées les œuvres de son grand-père, un artiste conceptuel proche de Kurt Schwitters. Il s’agit de peintures naïves, des portraits de son épouse, ou bien des sculptures réalisées à partir de matériaux récupérés et peints. Plus loin, sur une grande table en bois entourée de chaises dépareillées, s’amoncellent des tasses, des théières et différents éléments de table. Nous sommes cordialement invités à nous installer autour de la table pour regarder le film Wantee. La narratrice, l’artiste elle-même, nous décrit le salon, ses grands-parents et la joie qu’ils auraient ressentis s’ils avaient pu nous recevoir chez eux. Laure Prouvost nous raconte aussi le dernier projet artistique de son grand-père : creuser un tunnel capable de relier le salon au Maroc. Au sol, une trappe nous indique l’entrée du tunnel à l’intérieur duquel le grand-père se trouve depuis plus de 20 ans. Elle raconte l’attente de sa grand-mère, ses propres inquiétudes et sa volonté de le ramener à la maison. Les images du film ne sont pas linéaires, elles s’entrecoupent, le montage est saccadé, le flux est rapide et brinquebalant. Plus loin, à côté de la table, un choix se pose à nous, entrer ou non dans un tunnel creusé dans le mur. L’entrée est basse, l’issue est incertaine, pourtant une voix attise notre curiosité. Au bout du tunnel aux parois rosées se trouve un écran précédé d’un socle blanc sur lequel sont déposés quatre fruits et légume : un citron, une carotte, un oignon et une tomate. À l’écran, les mains de l’artiste s’agitent. Elle nous livre un « signe de Dieu », quatre légumes sont tombés dans sa chambre. Ils sont apparus dans son lit. « Ces formes totalement parfaites. Je n’y croyais pas. C’était un signe de Dieu. C’était un signe de Dieu. Finalement. Toute ma vie j’ai cherché un signe de Dieu. C’était un signe de Dieu. »

Le discours est frénétique et fascinant.

Laure Prouvost, Grandad’s Visitor Center, 2014, avec Maquette For Grand Dad’s Visitor Center , Become a Triangle and Become a Tunnel, table, desserte, service à thé, paper-board, projets de maquette.  Courtesy de l’artiste, de MOT international (Londres, Bruxelles) et de la galerie Nathalie Obadia (Paris, Bruxelles). Vue de l’exposition MDAC Rochechouart.  Photo Aurélien Mole

Laure Prouvost, Grandad’s Visitor Center, 2014, avec Maquette For Grand Dad’s Visitor Center , Become a Triangle and Become a Tunnel, table, desserte, service à thé, paper-board, projets de maquette. Courtesy de l’artiste, de MOT international (Londres, Bruxelles) et de la galerie Nathalie Obadia (Paris, Bruxelles). Vue de l’exposition MDAC Rochechouart. Photo Aurélien Mole

Dans la tour du château, nous découvrons le Grandad’s Visitor Center, une œuvre interactive et participative. L’artiste active le projet de construire un musée dédié à l’œuvre de son grand-père dont la maquette est présentée à l’entrée. Celle-ci est réalisée à partir de grillage à poule, de tablettes vidéo, de tasses de thé, de boue et de sculptures miniatures. Tous ces éléments sont entremêlés au sein d’une architecture dotée d’une silhouette moderniste. En face est installée une table en arc de cercle. D’un côté, du thé et des petits gâteaux sont offerts aux visiteurs. Le film d’une performance réalisée en 2013, nous informe qu’une levée de fonds a été initiée par ses petites-filles. La vente des gâteaux devait permettre le retour de leur grand-père perdu entre l’Europe à l’Afrique : « Sil vous plait, aidez-nous à retrouver grand-père. » De l’autre côté, du matériel est mis à disposition du visiteur pour réaliser des sculptures miniatures. Toutes les sculptures sont réunies et présentées au même titre que celles de l’artiste. La hiérarchie entre l’art et le non-art est alors évacuée. Aux murs, des affiches sont renouvelées quotidiennement : « Pourquoi grand-père doit revenir sur terre et sortir de son tunnel ? » Les réponses, directement inscrites sur les affiches, attestent de l’imagination ou de la suspicion des visiteurs.

Laure Prouvost,  Maquette For Grand Dad’s Visitor Center, 2014, techniques mixtes, miroirs, bois, métal, fil de fer, terre, mousse, vidéo, plâtre, verre, renard empaillé, trois écrans vidéo. Vue de l’exposition MDAC Rochechouart.   Courtesy de la Galerie Nathalie Obadia (Paris, Bruxelles) Vue de l’exposition MDAC Rochechouart.  Photo Aurélien Mole

Laure Prouvost, Maquette For Grand Dad’s Visitor Center, 2014, techniques mixtes, miroirs, bois, métal, fil de fer, terre, mousse, vidéo, plâtre, verre, renard empaillé, trois écrans vidéo. Vue de l’exposition MDAC Rochechouart. Courtesy de la Galerie Nathalie Obadia (Paris, Bruxelles) Vue de l’exposition MDAC Rochechouart. Photo Aurélien Mole

Moto, rap et alcool

Au grenier, The Smoking Image nous plonge dans une autre ambiance, un autre scénario s’engage au creux d’un décor nocturne et inquiétant. Au sol, de la terre, des cailloux, des plumes, des œufs cassés et des Smartphones aux écrans brisés. Il nous faut déambuler dans la pénombre pour découvrir trois motos, dont les phares allumés offrent un éclairage lugubre et troublant. Une fois de plus la fiction se frotte au réel. La troisième moto éclaire une tapisserie qui s’apparente au synopsis imagé du projet : The Smoking Image. Il s’agit d’une réflexion visuelle et sensorielle sur l’adolescence, ses réalités, ses fantasmes et ses aspirations : le voyage, partir loin, la liberté, la moto, le sexe, l’alcool, la cigarette, l’amour, le partage, la musique, la jouissance, etc. De la fumée se dégage régulièrement du pot d’échappement de la moto. L’image s’épaissit, le récit s’embrume. Il faut contourner la tapisserie pour découvrir un film réalisé à Rochechouart.

Laure Prouvost, The Smoking Image, 2015, tapisserie, vidéo (8.40 min), motos, machines à fumée, terre, moquette, œufs, smartphones, plumes.  Vue de l’exposition MDAC Rochechouart.  Courtesy de l’artiste, de MOT international (Londres, Bruxelles) et de la Galerie Nathalie Obadia (Paris, Bruxelles). Photo Aurélien Mole

Laure Prouvost, The Smoking Image, 2015, tapisserie, vidéo (8.40 min), motos, machines à fumée, terre, moquette, œufs, smartphones, plumes. Vue de l’exposition MDAC Rochechouart. Courtesy de l’artiste, de MOT international (Londres, Bruxelles) et de la Galerie Nathalie Obadia (Paris, Bruxelles). Photo Aurélien Mole

Laure Prouvost, The Smoking Image, 2015, tapisserie, vidéo (8.40 min), motos, machines à fumée, terre, moquette, œufs, smartphones, plumes.  Vue de l’exposition MDAC Rochechouart.  Courtesy de l’artiste, de MOT international (Londres, Bruxelles) et de la Galerie Nathalie Obadia (Paris, Bruxelles). Photo Aurélien Mole

Laure Prouvost, The Smoking Image, 2015, tapisserie, vidéo (8.40 min), motos, machines à fumée, terre, moquette, œufs, smartphones, plumes. Vue de l’exposition MDAC Rochechouart. Courtesy de l’artiste, de MOT international (Londres, Bruxelles) et de la Galerie Nathalie Obadia (Paris, Bruxelles). Photo Aurélien Mole

Laure Prouvost fait jouer un groupe d’ados, dans la campagne, autour du château. Ils sont réunis, près de leurs motos, ils fument, discutent, rêvent. Sur un fond de musique rap (une collaboration avec 8sho), les images s’entrechoquent, le montage faussement anarchique articule différentes prises de vues : les jeunes à Rochechouart et un autre groupe d’ados à Los Angeles. Deux récits se font écho dans un va-et-vient incessant. Laure Prouvost travaille d’ailleurs à la réalisation du pendant américain du film pour confronter deux réalités, urbaine et rurale, européenne et américaine. À cela s’ajoute un ensemble d’images liées aux sens et à une communication primaire entre les êtres. L’artiste insère ainsi des images d’écoulements, de liquides divers (œufs cassés, boue, rivière, salive, lait) ou encore des gestes de caresses. Comme avec Wantee, nous pénétrons et expérimentons un collage narratif, le décor d’un film, le réel est recontextualisé au profit d’une réalité parallèle, où l’imaginaire débridé, référencé et foisonnant de l’artiste peut s’épanouir.

Laure Prouvost, The Smoking Image, 2015, tapisserie, vidéo (8.40 min), motos, machines à fumée, terre, moquette, œufs, smartphones, plumes.  Vue de l’exposition MDAC Rochechouart.  Courtesy de l’artiste, de MOT international (Londres, Bruxelles) et de la Galerie Nathalie Obadia (Paris, Bruxelles). Photo Aurélien Mole

Laure Prouvost, The Smoking Image, 2015, tapisserie, vidéo (8.40 min), motos, machines à fumée, terre, moquette, œufs, smartphones, plumes. Vue de l’exposition MDAC Rochechouart. Courtesy de l’artiste, de MOT international (Londres, Bruxelles) et de la Galerie Nathalie Obadia (Paris, Bruxelles). Photo Aurélien Mole

Smoking image 3

Laure Prouvost, The Smoking Image, 2015, tapisserie, vidéo (8.40 min), motos, machines à fumée, terre, moquette, œufs, smartphones, plumes. Vue de l’exposition MDAC Rochechouart. Courtesy de l’artiste, de MOT international (Londres, Bruxelles) et de la Galerie Nathalie Obadia (Paris, Bruxelles). Photo Aurélien Mole

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++ LAURE PROUVOST

+++ MUSEE ART CONTEMPORAIN DE ROCHECHOUART

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