[TEXTE] BORIS CHOUVELLON – Modern Express /// La Maison Rouge

Modern Express

It’s not really work
It’s just the power to charm
I’m still standing in the wind
But I never wave bye bye
But I try, I try.

David Bowie – Modern Love (1983)

Depuis toujours, Boris Chouvellon est fasciné par l’envers du décor, ou ce qu’il nomme « l’esthétique de la zone ». Pour en déceler les motifs, les matériaux et les objets, il arpente les zones périurbaines et les tiers paysages. « Tiers paysage renvoie à Tiers état (et non à Tiers-monde). Espace n’exprimant ni le pouvoir ni la soumission au pouvoir. »[1] L’artiste scrute et analyse ce qui se cache derrière les vitrines de nos sociétés, ce qui (sur)vit sous le vernis. Il procède ainsi par prélèvements et articule des formes et des matériaux issus des tiers paysages avec des objets du quotidien et des références à l’architecture moderne et brutaliste. Nous rencontrons alors les ersatz de piscines dressées, de manèges désossés, de toboggans déglingués, d’estrades impraticables, de poussettes vides et de barques trop lourdes pour naviguer. Les œuvres, ruines futures de la société du spectacle, renvoient aux notions de désillusion, de survivance et de désenchantement total.

Dans le Patio de la Maison Rouge, Boris Chouvellon installe un mobile, Modern Express,  dont l’échelle est magnifiée. D’Alexander Calder à Xavier Veilhan, en passant par Joana Vasconcelos ou Bruce Nauman, le mobile, à la fois comme sujet et comme motif, trouve différentes traductions formelles, conceptuelles et critiques. Suspendu au-dessus d’un lit d’enfant, le mobile fonctionne comme un générateur de rêves, qui, par son mouvement rotatif et hypnotique, conduit lentement au sommeil. L’objet est à la fois vecteur d’un imaginaire puissant et d’un pouvoir lénifiant. Modern Express explore un mode dichotomique non seulement lié au mobile et à sa portée, mais aussi à sa matérialité. Construite à partir de chaînage métallique et de béton, elle s’élève à plus de huit mètres de hauteur. De la potence, colonne vertébrale du mobile, s’articulent plusieurs chaînes au bout desquelles sont suspendus des godets de pelleteuses. Chez un revendeur de matériel d’occasion il sélectionne les différents godets pour leurs formes et leurs dimensions. Loin d’être neufs, les objets métalliques sont rouillés et marqués par une vie de travail à creuser et à charrier la terre. Une existence laborieuse des outils que l’artiste a souhaité exacerber en les malmenant. Les godets ont ainsi été partiellement fondus, écrasés, frappés, troués et éclatés. Ils se balancent dans les airs, tandis qu’au sol se déploie un paysage reconstitué. Sur un tapis de marbre concassé, Boris Chouvellon dispose de nouveaux godets dotés de dimensions plus modestes et réalisés à partir de différents matériaux : du verre, du bronze, de la feuille d’or et du béton. Le gravier blanc et brillant contraste avec la mélancolie qui se dégage du béton et du métal rouillé. Dans la continuité de ses recherches portées sur l’esthétique de la ruine et du naufrage, il développe ici un paysage où les rapports sont inversés entre ce qui est précieux et ce qui ne l’est pas, entre le corps et la machine, entre la présence et l’absence, entre le travail et le repos, entre la candeur et la clairvoyance.[2]

L’œuvre de Boris Chouvellon porte un regard lucide et désenchanté sur le monde contemporain. Conscient d’un abandon politique, mais aussi des ravages opérés par le système néolibéral sur nos quotidiens, l’artiste s’empare de ce qu’il voit et trouve pour formuler des échappées. Ses œuvres, anti-spectaculaires et chargées d’une lourde désillusion, se saisissent d’un imaginaire collectif pour désamorcer un sentiment partagé d’aliénation et d’impuissance. Le choix des motifs, le jeu des rapports d’échelles et l’utilisation de matériaux industriels participent d’une stratégie animée par la force poétique d’une pensée objective et révoltée.

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[1] CLEMENT, Gilles. Manifeste du Tiers Paysage. Paris : Sens & Tonka, 2014, p.13

[2] Le titre de l’œuvre fait référence au nom du cargo panaméen qui a fait naufrage en janvier 2016 dans le Golfe de Gascogne. Le roulier, qui transportait une cargaison de 3600 tonnes de bois entre le Gabon et Le Havre, a fait l’objet d’une impressionnante opération de sauvetage.


BORIS CHOUVELLON

++ LA MAISON ROUGE

+++ GALERIE VIRGINIE LOUVET

 

 

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