Tous les chemins mènent vers l’histoire de l’art. Par le dessin, la vidéo, la sculpture, l’installation ou la performance, Bérengère Hénin en explore les méandres et les icônes pour interroger le contexte de création, le positionnement de l’artiste et les critères de légitimation de son œuvre. Il est complexe pour un jeune artiste de faire fi du passé et de parvenir à créer des nouvelles formes et des nouveaux concepts. Comment se débarrasser des héritages, des mythologies, des mouvements artistiques et des références qui collent aux formes et aux esthétiques ? Le poids du passé peut s’avérer être soit un frein, soit un moteur de création. Bérengère Hénin a choisi son camp en s’attaquant au sujet de manière réjouissante. Elle s’empare de l’histoire de l’art pour opérer à des déplacements et des décalages. En 2010, elle filme Yo MOMA, la mise en scène d’une battle entre Big Rob et Big A, deux jeunes Américains qui s’affrontent sur le terrain des mots. Ils échangent chacun leur tour des jeux de mots, des blagues et des insultes dont les racines proviennent de l’art, du passé comme du présent. Ta mère est tellement grosse qu’on va la voir à la Monumenta. En ce sens, l’histoire de l’art et les mécanismes de l’art contemporain constituent une matière de réflexion. Plus tard, l’artiste parcourt les salles du Musée du Louvre. Ses visites donnent lieu à une série de dessins intitulée Le Louvre de Poche (2011). Réalisés sur son téléphone portable, les dessins constituent une version numérique du traditionnel dessin de copie. Tout jeune artiste se doit de copier les grands maîtres dont les œuvres sont hébergées dans les grands musées. Bérengère Hénin revisite à sa manière une tradition inhérente à la formation d’un artiste et à l’idée de transmission.
Bérengère Hénin incarne pleinement cette exploration de l’art en lui conférant une dimension à la fois personnelle et fictive. Ainsi en 2007, elle réalise une photographie intitulée Mon père ce héros. L’image en noir et blanc est un véritable portrait de famille. Pourtant, le visage du père de l’artiste est remplacé par celui de Pablo Picasso. L’œuvre fait ironiquement référence à « la grande famille de l’art ». La même année, sur une feuille de papier elle dessine à l’encre de Chine Bérengère, un prénom qui résonne comme un autoportrait. L’artiste reprend avec fidélité la typographie de la célèbre signature de Picasso. Au fil des œuvres se dessine une volonté de se mesurer aux monstres sacrés de l’art. En 2012, elle présente Sans titre – Hommage à Hockney, un diptyque où des dessins se font face. À gauche, Picasso et Hockney sont assis face à une table. À droite, Bérengère Hénin, nue et sereine, apparaît de l’autre côté de la table. Elle cite une œuvre d’Hockney, Artist and Model (1973-1974), où l’artiste anglais affronte nu le maître espagnol. Bérengère Hénin pose ainsi la question du positionnement de l’artiste par rapport à une histoire collective, riche et aliénante. Les œuvres traduisent à la fois une difficulté (une mise à nu permanente), mais aussi une extrême liberté. Non sans humour, elle pointe également du doigt l’identité machiste de cette histoire collective. C’est dans cette perspective qu’elle reprend Les douze travaux d’Hercule (2009), où elle incarne, une à une, les douze épreuves bravées par le héros antique. L’œuvre vidéo présente l’artiste vêtue d’un bleu de travail qui accomplit vaillamment les différents exploits. Parce qu’elle doit premièrement « tuer le lion de Némée », elle décide d’éteindre un téléviseur alors que le lion de la Metro Goldwyn Meyer rugit sauvagement. Une autre œuvre, discrète et cocasse, lui permet de se mesurer de manière littérale aux artistes majeurs ovationnés par l’histoire de l’art. Toise (2012) consiste à marquer d’un trait, sur le coin d’un mur blanc, la taille d’Andy, de Jean-Michel, de César, de Léonard ou de David. Le protocole, absurde et désopilant, constitue un nouveau critère d’évaluation. Bérengère Hénin remet clairement en cause les notions de génie, de héros ou de maître. Les œuvres invitent à une désacralisation des œuvres et des artistes. L’ironie, l’idiotie et l’absurdité inscrites dans sa réflexion et ses formes, soulignent les manques, les oublis et les écarts qui constituent l’histoire de l’art. Les œuvres participent ainsi à une réécriture d’une histoire inutilement autoritaire et sclérosante.
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