Henni Alftan structure un imaginaire guidé par la fragmentation, celle de l’image, des corps, des objets et de la narration. Rien ne nous est jamais donné dans sa totalité, l’artiste examine avec attention les détails pour s’écarter un maximum de la notion de récit. La dimension narrative et temporelle de la peinture nous échappe. Le bavardage est exclu. Pour cela, l’artiste travaille la question du cadre et du cadrage des sujets qu’elle invente à partir de ses observations quotidiennes. D’une scène spécifique, elle va retenir un regard, une main, un objet, une silhouette, une ombre, le détail d’un vêtement, un geste, un motif, une couleur. En s’attachant à reproduire en peinture les détails du quotidien, du commun, Henni Alftan nous invite à réfléchir à ce que nous voyons, au monde visible et à ses modes de représentations. En ce sens, les œuvres nous amènent à penser l’image à travers l’objet peinture : son histoire, son actualité, sa légitimité, sa matérialité et sa dimension conceptuelle.
Henni Alftan explore les problématiques inhérentes à deux histoires croisées, celle de la peinture et celle de la photographie. Elle poursuit et analyse des problématiques picturales : la surface, la profondeur, l’aplat, la couleur, l’objet, le regard, la ligne, la composition, le motif, le cadrage, le récit (ou plutôt le refus du récit), l’image dans l’image, le miroir ou encore le montage. Si sa peinture est figurative, elle ne s’inscrit en aucun cas dans une approche où le réel serait parfaitement imité. Elle ne met en place aucune démonstration picturale qui permettrait la création d’une illusion. Pourtant, la photographie, son histoire et son actualité, joue un rôle important dans la construction de ses œuvres et dans sa manière de voir le réel. Elle est notamment présente dans ses choix de cadrages qui souvent sont en décalage avec ceux habituellement employés en peinture. Elle cite volontiers l’œuvre de Wolfgang Tillmans dont l’intérêt pour la dimension physique de l’image, la décontextualisation, le prélèvement de motifs, l’anonymat, les formes, les matières et les couleurs trouve un écho certain avec ses peintures. « J’aimerais voir l’instant où la peinture commence à faire référence, à ressembler à autre chose qu’à elle-même. C’est pourquoi je cherche à donner seulement la quantité nécessaire d’éléments, d’indices. (Ce que vous pensez voir est souvent à l’abri des regards.) » (Henni Alftan) Effectivement, la notion de regard relie les problématiques de la peinture et de la photographie. De manière quasi systématique, l’artiste esquive le contact visuel direct entre le sujet figuré et celui du regardeur. Le face à face est évité au profit de situations étranges et poétiques. La question du regard est récurrente au fil des œuvres : une femme devant un miroir pose une lentille sur son œil, une autre se regarde dans la lame d’un couteau, les yeux d’un homme sont obstrués par des ombres noires, un couple endormi est allongé dans l’herbe sous l’ombre d’un arbre, une nageuse nous tourne le dos. Les regards sont absents, empêchés, obstrués, détournés, mis en abyme ou dupliqués. Ainsi la part de subjectivité, d’interprétation ou de projection est volontairement réduite afin que le regardeur puisse focaliser son attention sur les détails, les indices et les amorces d’un récit rendu impossible.
En creux de cette réflexion sur la représentation du réel, du sujet et de celui qui regarde, Henni Alftan distille une atmosphère nourrie d’une inquiétante étrangeté. Les œuvres sont traversées d’un silence troublant et d’une violence sourde : la main gantée d’un chirurgien extrait un organe d’un corps lors d’une opération, un bras nu dont la peau est parsemée d’ecchymoses, un homme porte des lunettes dont l’un des verres est brisé, des flammes s’échappant d’une fenêtre, un corps plongé (noyé ?) dans une baignoire, une longue cicatrice autour d’une oreille. À cela s’ajoute la récurrence des couteaux, des masques, des ombres, des visages absents et du dédoublement des corps. L’artiste s’emploie aussi à former des filtres sur, dans ou à travers les scènes représentées. Ces derniers fonctionnent comme des écrans ou bien des voiles de motifs répétés qui viennent inonder le premier ou l’arrière-plan. Une averse battante, les feuilles d’un arbre, des fleurs, l’ornementation d’un papier peint, un manteau de fourrure de léopard, un tee-shirt en dentelle, des herbes hautes, un grillage. Ainsi, Henni Alftan manipule et perturbe le sens des images qu’elle nous donne à voir. Avec un style simple et efficace, elle questionne notre rapport à la construction de l’image en brouillant les registres, les références, les indices d’espace et de temps.
Julie Crenn
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Henni Alftan / One sweet Moment / Galerie Claire Gastaud
01.09.17 – 28.10.17
Du 22 septembre au 28 octobre 2017, la galerie Claire Gastaud présente la troisième exposition personnelle de la peintre finlandaise Henni Alftan.
Vernissage / jeudi 21 septembre – 18h – 21h
En présence de l’artiste
++ HENNI ALFTAN
Merci de cette belle découverte 🙂