[TEXTE EXPOSITION] GAELLE CHOTARD – La part de l’ombre /// GALERIE PAPILLON – Paris [FR-ENG]

Sans titre, 2018 – oeuvre produite par Drawing Lab Paris

Je suis fait d’ombre et de marbre.
Comme les pieds noirs de l’arbre,
Je m’enfonce dans la nuit.
J’écoute ; je suis sous terre ;
D’en bas je dis au tonnerre :
Attends ! ne fais pas de bruit.

Victor Hugo – Je suis fait d’ombre et de marbre (3 avril 1854)

Dans son atelier, Gaëlle Chotard raconte que lors de sa formation à l’École des Beaux-arts de Paris, elle a souhaité travailler dans l’atelier de métal. Elle n’y trouve cependant pas sa place tant sur le plan technique que sur le plan humain. Un excès de domination et de démonstration l’amène à appréhender différemment le métal. Elle expérimente le fil métallique alors par le tricot, puis par le crochet ou encore par l’aiguille. Le matériau (fin et souple) et la technique lui accordent une grande liberté quant aux modes de construction des formes. Une liberté aussi quant au processus de travail en lui-même puisque l’artiste, débarrassée de la lourdeur d’un atelier, peut travailler où elle le souhaite. La bobine de fil métallique et l’aiguille autorisent une mobilité dans la fabrication des œuvres. Le choix de la maille n’est pas anodin, il est apparu comme une “évidence”1. La technique s’inscrit dans un héritage matriarcal, elle se transmet d’une génération à une autre à des fins principalement utiles et décoratives. Pourtant, dès la fin des années 1960, les femmes artistes érigent à des fins critiques un ensemble de techniques jusque-là assignées aux usages domestiques. Dans le sillage de Pierrette Bloch, de Raymonde Arcier ou encore de Hessie, Gaëlle Chotard déplace le dessin et la sculpture. Par le fil, elle donne véritablement corps aux lignes, aux vides et aux trames de ses compositions.

Le geste est important. L’artiste est à l’écoute des matériaux (fils métalliques, cordes à piano, encre, papier, cire et bronze) : leurs propriétés, leurs mouvements, leurs tensions. Elle respecte la souplesse, la rigidité, la fragilité des matériaux qu’elle choisit d’explorer avec ou sans manipulation. Ainsi, les cordes à piano s’insèrent directement dans le mur, elles s’inclinent vers le sol sans aucun artifice. Les parties plus complexes réclament au contraire une manipulation exigeante et répétitive. La maille implique un temps de travail étiré, une concentration spécifique. Elle engendre aussi un état proche de celui que nous pouvons atteindre par la méditation ou l’hypnose. La répétition des gestes favorise une recherche introspective. Gaëlle Chotard explique d’ailleurs qu’elle s’immerge dans le matériau, dans la forme en devenir, mais aussi dans son propre corps. Elle regarde à l’intérieur pour extraire des dessins-volumes s’apparentant aussi bien au monde animal, qu’humain ou végétal. “Un temps qui permet d’être dans la perception du présent, des émotions.” Gaëlle Chotard génère ainsi un art physique et organique qui trouve ses racines dans l’art minimal. Un mouvement au sein duquel elle trouve une écriture personnelle en déployant une dimension corporelle où fourmillent des organes arachnéens, des arborescences s’inspirant autant du microscopique que de racines souterraines. L’artiste ouvre des mouvements allant de l’infiniment petit vers ce qui nous dépasse et ce qui nous est inconnu ; entre ce qui est perceptible, identifiable et ce qui l’est moins, entre l’intérieur et l’extérieur.

Gaëlle Chotard entretient un rapport déterminant avec l’espace. Les œuvres doivent “entrer dans l’espace” et générer un dialogue précis avec l’architecture. L’artiste installe les œuvres autant pour les rendre visibles (parfois au moyen d’une scénographie lumineuse qui va favoriser des jeux d’ombres) que pour souligner le vide et les ombres qui les constituent. L’espace est alors envisagé comme une page blanche à la surface de laquelle l’artiste dessine ses étranges organes dont les formats sont le plus souvent adaptés à l’échelle de la main ou du corps de l’artiste. L’expérimentation de l’espace formule autant d’apparition que de disparition. Il nous faut souvent rechercher les œuvres, leur porter une attention appuyée. “L’approche est importante, comme une rencontre avec une personne qu’il nous faut apprivoiser.” Les œuvres réclament du temps, de l’attention aux détails, à la subtilité et à la recherche d’une présence juste. Alors, l’alliance de gestes simples et de gestes plus complexes, de la destruction et de la reconstruction participent d’une relation singulière au dessin.

Julie Crenn

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1/ Les citations de l’artiste sont extraites de conversations menées en septembre 2018.


Marble and night created me.
I, like the black feet of a tree,
Delve through the darkness underground,
Now I am listening, From below
I tell the thunder:
Wait! Not a single sound!

Victor Hugo – Marble and night created me (April 3, 1854) [1]

In her studio, Gaëlle Chotard says that during her training at the École des beaux-arts in
Paris, she wanted to work in the metal workshop. However, she had a hard time fitting in there on a technical and human level. An excess of domination and demonstration would lead her to approach the metal in a different way. She then experimented with wire by knitting, then crocheting or using a needle. The material (thin and flexible) and the technique have given her a great amount of freedom in terms of how the forms are constructed. There is also a freedom in the work process itself since the artist, freed from the burdens of a workshop, can work anywhere she wants. The coil of wire and the needle allow mobility in creating her works. The choice of knitting has significance, it became an « obvious » choice [2]. The technique is part of a matriarchal heritage passed on from one generation to another mainly for useful and decorative purposes. However, by the end of the 1960s, women artists were creating for critical purposes a set of techniques that had up to that point been used for domestic purposes. In line with Pierrette Bloch, Raymonde Arcier and Hessie, Gaëlle Chotard displaces drawing and sculpture. With wire, she truly gives substance to the lines, empty spaces and the weaves of her compositions.

Gesture is important. The artist understands the materials (metal wires, piano strings, ink, paper, wax and bronze): their properties, their movements, their tensions. She respects the flexibility, the rigidity, the fragility of the materials that she chooses to explore with or without manipulation. The piano strings are inserted directly into the wall and lean naturally towards the floor. The more complex parts however require a demanding and repetitive manipulation. The knitting involves long hours of work and a specific concentration. It also generates a state close to what we can reach through meditation or hypnosis. The repetition of the movements encourages introspective research. Gaëlle Chotard explains that she immerses herself in the material, in the form that is taking shape, but also in her own body. She looks inside to extract volume-drawings that are related to the animal world as much as they are to the world of humans or plants. « A time that allows us to be in the perception of the present, of emotions”. Gaëlle Chotard therefore generates a physical and organic art that finds its roots in minimal art. A movement in which she finds her own voice by deploying a physical dimension teeming with spidery organs and tree structures inspired by the microscopic as well as the roots under the ground. The artist opens movements that go from the infinitely small to what is beyond us and unknown to us; between what is perceptible, identifiable and what is less so, between inside and outside.

Gaëlle Chotard has a decisive relationship with space. The works must « enter the space » and generate a precise dialogue with the architecture. The artist installs the works to make them visible (sometimes by way of a luminous scenography that encourage the interplay of shadows) as well as to emphasize the emptiness and shadows that form them. The space is then considered a blank page on the surface of which the artist draws her strange organs whose sizes are most often adapted to the scale of the artist’s hand or body. The experimentation with space formulates both appearance and disappearance. We often have to look for the works, pay a lot of attention to them. « The approach is important, like meeting someone we need to tame.” The works require time, attention to detail, subtlety and the search for a true presence. The combination of simple and more complex gestures, of destruction and reconstruction all contribute to a unique relationship with drawing.

Julie Crenn

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1 Taken from Selected Poems of Victor Hugo: A Bilingual Edition, translated by EH and AM Blackmore,
University of Chicago Press, 2001.
2 The artist’s quotes are taken from conversations in September 2018.

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Gaëlle Chotard
La part de l’ombre
13 octobre – 1er décembre 2018
Vernissage samedi 13 octobre, 15h – 21h

Communiqué de presse de l’exposition

GALERIE PAPILLON – Paris

++ GAELLE CHOTARD

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