Cueco – Journal d’un peintre
Commissariat : Julie Crenn & Amélie Lavin
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Ce qui m’intéresse, c’est cette lutte, c’est « d’aller y voir », là où l’on croit qu’il n’y a rien à voir !
Henri Cueco (2011)
Au départ, il y a une envie partagée : celle de donner une plus grande visibilité à l’œuvre d’un artiste dont nous pensons que la reconnaissance reste modeste. Henri Cueco (1929-2017) est un acteur majeur de la Figuration Narrative en France. Il a fait de sa vie un véritable journal d’images et de récits. Autant attentif aux simples choses du quotidien, aux luttes politiques, aux paysages ou à l’histoire de la peinture, Cueco livre un œuvre singulier qui met à mal à la fois la dimension élitiste de l’art et la figure du génie. Son style, tant en peinture qu’en littérature, compose avec la sincérité, la modestie, la rusticité, la malice et l’ironie. L’exposition souligne alors un engagement sans compromis envers un œuvre qui trouve une place pertinente au sein des réflexions actuelles portées sur la peinture, sur le rôle et le statut de l’artiste, sur un besoin collectif d’une pensée horizontale et résolument politique. S’il ne s’agit pas d’une rétrospective à proprement parler, l’exposition réunit un grand nombre de séries, de périodes de l’œuvre de Cueco. Nous l’avons pensée comme un journal, celui d’une vie, celui d’un artiste qui a consacré sa vie au dessin, à la peinture et à l’écriture. L’exposition-journal invite à une traversée non exhaustive mais généreuse dans l’œuvre de Cueco. Elle est ainsi formée d’entrées plurielles où chaque salle explore une thématique précise pour embrasser les lignes directrices d’un œuvre dense et prolifique.
Le journal s’ouvre sur un aspect fondamental de l’œuvre de Cueco : Le dessin. La salle est en elle-même une synthèse de toute l’exposition, la sélection de dessins renvoyant à différents aspects qui seront fouillés par la suite : l’histoire de l’art, l’image fragmentée, la figure du chien, le paysage, le corps nu, le corps inscrit dans un espace politique, urbain, social. Cueco a, tout au long de sa vie, déployé une réflexion sur l’image. Une réflexion profondément horizontale qui va de son jardin jusqu’à Cézanne, en passant par les ciels, les cailloux ou les dessins d’Ingres.
La page suivante du Journal d’un peintre est ainsi consacrée à la manière dont Cueco s’est emparé de L’Histoire de la peinture pour revisiter les œuvres de grands artistes du passé parmi lesquels Philippe de Champaigne, Giorgione, Delacroix, etc. L’Histoire de la peinture est alors envisagée comme une matière qu’il manipule, décompose et multiplie. Ce plaisir de la fragmentation et du dé/montage, qui s’applique ici aux œuvres du passé, est un jeu récurrent chez Cueco, et revient comme un fil rouge dans tout le parcours de l’exposition. Un jeu que nous retrouverons également dans la salle des Images empêchées où Cueco travaille la surface de ses œuvres pour en contrarier la lecture. Il peint ainsi des barrières ou des claustras derrière lesquelles on devine un chien, un mouton. Ces dispositifs se jouent de notre perception qui devient le véritable sujet de l’artiste.
Une autre page du journal réunit les Imagiers et les portraits de Pommes de terre. Sur des petits formats, Cueco peint des objets du quotidien. Un soulier à talon, un paquet de Gitanes, une épingle à cheveux. Il convoque l’ordinaire pour en isoler des motifs, qui font l’objet de longues observations. C’est aussi le cas pour les patates : il en a peint les nuances chromatiques, le silence, les textures, les creux, les plis terreux, les protubérances, les métamorphoses.
Cueco s’est attaché à revisiter une grande partie des genres dits majeurs que représente l’exercice de la peinture. L’autoportrait n’échappe pas à ses explorations picturales. Son visage y fait l’objet d’un cache-cache avec celles et ceux qui regardent. Il se représente de dos, la main dans ses cheveux, ou bien le visage partiellement obstrué par ses mains, par des mouchetis ou par des feuillages. Et lorsque son visage apparaît dans sa totalité, ses yeux restent fermés.
Les autoportraits annoncent les pages suivantes qui articulent le Bestiaire, la Cohabitation entre l’humain, l’animal et leurs environnements, et les Paysages. Trois espaces qui traitent de la relation puissante que Cueco entretenait avec le vivant. Animaux, herbes, feuillages, prés et ciels : Cueco traite de l’ensemble du vivant, du monde dans lequel il s’inscrit. S’il a peint et dessiné des paysages depuis les années 1950, on observe qu’à partir des années 1970 il s’attache plus aux détails, aux variations et aux vibrations. Il peint et dessine sur le motif ou bien depuis la fenêtre de son atelier. Peindre le vivant, c’est aussi peindre la sensualité. Cueco est un peintre et un homme amoureux de la ligne, de la sinuosité des corps, des surfaces de peau vibrantes. Son œuvre est traversé par la question du désir et du regard érotique du peintre sur ses objets et ses modèles. De nombreuses œuvres abordent frontalement la représentation du corps sexué, des jeux amoureux. Et c’est à une sexualité joyeuse que nous invite l’artiste dans la plupart de ses dessins érotiques, dans ses peintures fragmentées de seins, culs, sexes, langues, dans ses citations des grands peintres des corps que sont Rembrandt, Delacroix, Ingres.
Cueco revisite l’histoire et les genres de la peinture, on note cependant l’absence du portrait dans son immense production. L’humain, le plus souvent, est réduit à une silhouette, il est envisagé en groupe, en meute. Ces meutes humaines sont présentées au troisième étage du musée où est mise en évidence La dimension politique de l’œuvre de Cueco. Si l’ensemble de son travail est politique, nombre de ses œuvres expriment, sans détour, un positionnement antimilitariste, anticolonial et critique à l’égard de la violence sociale et des luttes de pouvoir qu’il dépeint dès la fin des années 60. Avec la série des Hommes Rouges, il représente les bras levés des hommes et femmes du peuple. Cueco peint l’histoire en marche d’un corps collectif.
Le journal se clôt avec une série de Petites peintures avec lesquelles l’artiste rejoue l’ensemble de son œuvre en petit format, série qui traverse et récapitule en somme toutes les autres séries produites par l’artiste. Toute sa vie durant, Cueco aura cherché, dans son œuvre, à restituer non « le réel », mais ce qu’il appelle « l’expérience du vécu ». Le rattachement de son œuvre à la Figuration Narrative a du sens historiquement, mais il masque en partie le véritable enjeu de la peinture de Cueco qui serait « d’avoir le courage bête d’être un peintre » : comme Cézanne se confrontant à une pomme, se confronter à un corps et à sa limite, se confronter à une pomme de terre, à un ciel de nuage, à une brassée d’herbes. Sans aucune certitude ni vérité, Henri Cueco pose un regard sincère et radical sur le monde dans lequel il a vécu. Il a su préserver une liberté formelle et critique. « La manière de peindre ou de dessiner, le dessin, la couleur, sont des dispositifs ludiques ou pervers qui, en chatouillant la superficie, finissent par troubler les profondeurs. »[1]
Julie Crenn & Amélie Lavin, juillet 2020
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[1] Cueco. Paris : Cercle d’art, 2001, p.17.
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VUES EXPOSITION [ Musée des BA de Dole – copyright Aurélien Mole] ///
—— > RDC
—— > ETAGE – « Les Hommes Rouges »
Crédits photo / [ Musée des BA de Dole – copyright Aurélien Mole]
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CUECO – Journal d’un peintre
Vernissage le samedi 17 octobre (toute la journee)
17 octobre 2020 – 12 septembre 2021
Au Musée des Beaux-arts de Dole
COMMUNIQUE DE PRESSE DE L’EXPOSITION
Musée des Beaux-Arts de Dole
85 rue des Arènes – 39100 Dole
tél : +33 (0)3 84 79 25 85
e-mail : accueil-musee@dole.org
http://www.facebook.com/museedole
Horaires et tarifs
Ouvert tous les jours, sauf le dimanche matin et le lundi – 10h-12h/14h-18h
Ouvert 1 ou 2 mercredis par mois jusqu’à 20h
Entrée gratuite
Plus d’information / Page Facebook du musée
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L’exposition CUECO – Journal d’un peintre s’inscrit dans un cycle d’expositions débuté au MASC (Henri Cueco – Jeune peintre, du 2 février au 20 septembre 2020, Sables d’Olonnes) et qui se poursuit dans différents lieux :
La Maison Cueco, dessins choisis
Le Carré, Scène nationale – Centre d’art contemporain d’intérêt national / Pays de Château-Gontier.
12 septembre – 15 novembre 2020
Cueco, journal d’un peintre
Musée des Beaux-Arts de Dole
16 octobre 2020 – 7 mars 2021
Les Meutes, Henri Cueco & Edi Dubien
Transpalette – Centre d’art contemporain, Bourges
2 juillet – 19 septembre 2021
Cueco multiple
La Box – École nationale supérieure d’art de Bourges
2 juillet – 29 août 2021
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Un catalogue est publié aux Editions Liénart / CUECO – Liénart
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PRESSE ///
France 3 –