
Life begins and ends in the unconscious; the actions we carry out while fully lucid are only little islands in an archipelago of dreams.’
Paul B. Preciado, An Apartment on Uranus, 2019 —
In the centre of the space, as in the centre of the plastic reflection, is the black paste. A boundless puddle, a dark and infinite ocean. It sticks, clings to our flesh, envelops us and overtakes us. We, the terrestrials, the individuals of a transtemporal ecosystem. The black paste is our immensity. It agglomerates the memories, the secrets, the silences that constitute us, in the present, as well as in the past and the future. The black paste is in us, around us, yet, often, it escapes us. It binds us to others, human and non-human. It is the invisible part of the living, what we have forgotten, what we do not want to see, what overflows and troubles us.
Metaphorically and conceptually, black paste embodies not only what binds Chloë Saï Breil-Dupont to her loved ones and the cyborg plants whose portraits she creates, but also what binds the individuals represented to their own memories, their own experiences, their own existences and interdependencies. The black paste connects everything. ‘It stores the whole, the atoms that constitute the whole. It is the beginning, where we come from and also where we will return. It is the proof, the memento that no matter what we do, I have been you, you have been me and we have been this plant.’¹ Physically, on the canvas as in space, it is the cooked result of a mixture of beeswax, Dammar resin, black pigments obtained by the calcination of materials. The black paste is applied by hand around the figure in the form of plant motifs, water currents or air currents. It is thick and matte. It generates densities. On the canvas, it absorbs light – thus bodies, human and non-human, are their own source of light. The artist explains that black paste is ‘a paint for bats, for beings who see with something other than their eyes’. The black paste tells us that there are a multitude of ways to see, to remember, to feel an image, a light, an object, a body, a texture.
It is the compost by which it becomes possible for us to dream the obscure, to think beneath flesh, beneath surfaces and appearances. ‘What we believe shapes the world.’ In the exhibition space as in the painting surface, the artist sculpts the black paste with her fingers to form swampy areas, riptides, torrents, paths or even mounds. She looks for what is buried, everything that is difficult for us to say or to show. The mounds, hillocks of black paste, conceal what has been buried. Graves, buried cities, swallowed up by the earth and by time. On the canvas, Chloë Saï Breil-Dupont buries elements beneath black paste. Like tightly-closed chests, the paintings contain an obscure part, an invisible part. Starhawk, a Californian witchand ecofeminist activist, speaks of the inner power: ‘Yes, the inner power is the power of the low, the dark, the earth; the power that comes from our blood, our lives, and our passionate desire for the living body of the other.’² Chloë Saï Breil-Dupont manifests through painting this ‘passionate desire for the living body of the other’. A desire freed from binary and alienating thoughts. A desire generated by a vital impulse that leads her to a deep encounter with the other, that guides her as much towards darkness, rich in dissimulations and troubles, as towards a light, a colour, a ‘meta-surreal’ interior of the individuals whose lives she explores. So perhaps the artist manages to manifest some of the inner power of those she chooses to represent. She also speaks of the ‘fire from within’. The portraits challenge certitudes, fixities and rigidities in order, on the contrary, to present individuals in becoming, beings in movement who evolve within an ecosystem, which also occurs over a long period of time, invariably mutating and becoming an ancestral metamorphosis of the living. ‘And, little by little, extend a map. Make the rest disappear. Not to pronounce any more in order to forget. Then pronounce only what is sure and move forward by feeling with the throat to pronounce a little more.’
Text by Julie Crenn
¹ Chloë Saï Breil Dupont’s quotes are taken from personal texts and conversations.
² STARHAWK. Dreaming the dark – Magic, sex and politics. Boston: Beacon Press, 1982.

French text/
“La vie commence et se termine dans l’inconscience, les actions que nous menons en pleine lucidité ne sont que des îlots dans un archipel de rêves.”
Paul B. Preciado – Un appartement sur Uranus (2019)
Au centre de l’espace, comme au centre de la réflexion plastique, se trouve la pâte noire. Une flaque sans limite, un océan sombre et infini. Elle colle, s’accroche à nos chairs, nous enveloppe et nous dépasse. Nous, les terrestres, les individus d’un écosystème transtemporel. La pâte noire est notre immensité. Elle agglomère les souvenirs, les secrets, les silences qui nous constituent, au présent, comme au passé et au futur. La pâte noire est en nous, autour de nous, pourtant, souvent, elle nous échappe. Elle nous relie aux autres, humain.es et non humain.es. Elle est la part invisible du vivant, ce que nous avons oublié, ce que nous ne voulons pas voir, ce qui déborde et nous trouble.
Métaphoriquement et conceptuellement la pâte noire incarne ce qui lie non seulement Chloë Saï Breil-Dupont à ses proches aux plantes cyborgs dont elle réalise les portraits, mais aussi ce qui lie les individus représentés à leurs propres mémoires, à leurs propres expériences, à leur propres existences et interdépendances. La pâte noire relie tout. “Elle stocke le tout, les atomes qui constituent le tout. Elle est le départ, d’où nous venons et aussi où nous retournerons. Elle est la preuve, le memento que quoi que nous fassions, j’ai été toi, tu as été moi et nous avons été cette plante.” Physiquement, sur la toile comme dans l’espace, elle est le résultat cuisiné d’un mélange de cire d’abeille, de résine de Dammar, de pigments noirs obtenu par la calcination de matières. La pâte noire est appliquée à la main autour de la figure sous la forme de motifs végétaux, de courants d’eau ou de courants d’air. Elle est épaisse et mate. Elle génère des densités. Sur la toile, elle absorbe la lumière – ainsi les corps, humains et non humains, sont leur propre source de lumière. L’artiste explique d’ailleurs que la pâte noire est “une peinture pour chauve-souris, pour les êtres qui voient autrement qu’avec les yeux”. La pâte noire nous signifie qu’il existe une multitude de manières de voir, de se souvenir, de ressentir une image, une lumière, un objet, un corps, une texture.
Elle est le compost par lequel il nous devient possible de rêver l’obscur, de penser au-dessous des chairs, au-dessous des surfaces et des apparences. “Ce que l’on croit taille le monde.” Dans l’espace d’exposition comme dans l’espace de la peinture, l’artiste sculpte de ses doigts la pâte noire pour former des zones marécageuses, des baïnes, des torrents, des sentiers ou encore des tertres. L’artiste recherche ce qui est enfoui, tout ce qu’il nous est difficile de dire ou de montrer. Les tertres, les monticules de pâte noire, recèlent ce qui a été enterré. Des sépultures, des cités enfouies, englouties par la terre et par le temps. Sur la toile, Chloë Saï Breil-Dupont enterre des éléments sous la pâte noire. Tels des coffres bien fermés, les peintures comportent une part obscure, une part invisible. Starhawk, sorcière et militante écoféministe californienne, parle du pouvoir-du-dedans : “Oui, le pouvoir-du-dedans est le pouvoir du bas, de l’obscur, de la terre ; le pouvoir qui vient de notre sang, de nos vies et de notre désir passionné pour le corps vivant de l’autre.” Chloë Saï Breil-Dupont manifeste par la peinture ce désir passionné pour le corps vivant de l’autre. Un désir débarrassé des pensées binaires et aliénantes. Un désir généré par un élan vital qui la mène vers une rencontre profonde de l’autre. Qui la guide tout autant vers l’obscurité, riche en dissimulations et en troubles, que vers une lumière, une couleur, un intérieur “méta-surréel” des individus dont elle explore les vies. Alors peut-être que l’artiste parvient à manifester une part du pouvoir-du-dedans ce celles et ceux qu’elle choisit de représenter. Elle parle aussi du “feu de l’intérieur”. Les portraits mettent à mal les certitudes, les fixités et les rigidités pour, au contraire, présenter les individus en devenir. Des êtres en mouvement qui évoluent au sein d’un écosystème qui lui aussi advient dans un temps long, qui mute invariablement et se fabrique dans une métamorphose ancestrale du vivant. “Et, petit à petit, étendre une carte. Faire disparaître le reste. Ne plus prononcer pour oublier. Alors ne prononcer que ce qui est sûr et avancer en tâtant de la gorge pour prononcer un peu plus.”
VUES EXPOSITION /























Qu’est ce que c’est beau 🤩