[TEXTE] VICTOR VIMONT – Totems de mémoire

Victor Vimont _ Totems de mémoire

Julie Crenn

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Animé par un paradoxe, Victor Vimont est curieux du réel, tout en s’y tenant à distance. Conscient d’appartenir à une histoire d’ordre géologique, il est ennuyé par les contraintes du quotidiens, les obligations, les jugements extérieurs et les normes. Il voue un culte à l’inaction, propice à l’ennui, au repos, à la rêverie et à la pensée flottante. Il pense ainsi au temps long de la planète Terre, à l’histoire humaine, à la mémoire intime et collective. A l’aide d’imprimantes 3D et d’autres machines qu’il se plaît à réparer et à augmenter, Victor Vimont créé des totems de mémoire. Il fixe son attention sur des objets et plus spécifiquement sur leurs détails : des rideaux, un dolmen datant de 3000 ans avant JC, un arbre, des ardoises, des branches de bois. L’artiste oscille entre le faire et le laisser faire. Il pratique le code pour transmettre, entre autres, des informations à ses machines compagnes. Il les active et les laissent faire pour à la fois gagner du temps et de l’autonomie. Elles travaillent avec lui. D’autre part, il grave à la surface des ardoises ou il thermo-dessine avec son stylo 3D. D’une technique à une autre, Victor Vimont injecte dans le réel des objets refabriqués avec la volonté de les figer dans le temps et dans l’espace. Il précise : “Les objets sont composés et vivent hors de toute temporalité. Je pense que déconnecter le temps est important par contraste avec les injonctions turbo-capitalistes.” Par incidence, les objets de pierre, de bois et de bioplastique, toujours noirs ou blanc (“les couleurs du repos”), ont trait à une mémoire défaillante, à une perte inévitable.

Victor Vimont retient des indices de son expérience intime, tout en les alliant avec d’autres, qui eux, attestent d’une forme d’ancestralité commune. Ainsi, les rideaux lui rappellent des moments de contemplation. Ils sont aussi inertes que le reste. Un peu comme l’atmosphère d’une maison de grands-parents ou d’une grotte dans laquelle le souvenir de deux personnes posant leurs mains sur les murs attend depuis 10 000 ans.” L’arbre, constitué de fils de bioplastique noirs, est une réplique d’un olivier centenaire présent dans le jardin de son père. La pierre est une reconstitution d’un dolmen préhistorique situé au milieu d’un champ à Montivilliers et dont personne ne se soucie de la présence, pourtant sacrée. Il s’attèle ainsi à donner une réalité concrète à des objets-images, des fragments pouvant sembler anodins ou insignifiants, des réalités abandonnées et méprisées. A la manière des briques dans Minecraft, les totems de mémoires participent à la construction d’un espace mental, poétique et mémoriel. 

Conscient de l’ineffable beauté du monde tout comme de sa puissance de haine, Victor Vimont dit : “Pour moi tout est incroyablement merveilleux, la beauté de la moindre chose dépasse l’entendement humain.” Il fabrique alors un espace hautement mélancolique : un refuge politisé où constellent des souvenirs, une quête de quiétude et des éléments de fascination. Sa pratique artistique témoigne autant d’une sensibilité accrue quant à son écosystème quotidien, que d’une violence sourde difficile à affronter. “Le monde entier vit dans une réalité alternative qui n’a, selon moi, aucun sens. J’ai effectivement peur de cette monstrueuse parodie de réalité qui tue chaque année des millions de personnes et fait vivre d’autres milliards dans une précarité unique du point de vue de l’Histoire.” Victor Vimont se refuse à l’oppression d’une pensée dominante et uniformisante. Il est aussi hermétique aux injonctions et assignations aliénantes. Pour cela il allie un ensemble de facteurs qui peuvent sembler contradictoires : le travail et la paresse, la lenteur et l’efficacité, la mémoire et l’oubli, le réel et le virtuel, la peur et l’éblouissement, la sérénité et la férocité, la volonté de faire et de défaire, l’action et la contemplation absolue. Dans ces mouvements de pensées complexes, l’artiste procède alors à une archéologie intime interrogeant son rapport au monde passé, présent et futur.

Plus d’informations _ https://www.instagram.com/victor.vimont/

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