ICÔNE DE LA CONSTELLATION NOIRE : JOSÉPHINE BAKER. Représentation de Joséphine Baker dans les œuvres de Faith Ringgold, Hassan Musa et Billie Zangewa

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Grande dame de la constellation Noire, depuis les années 1920 Joséphine Baker est représentée, d’abord au centre des affiches de la Revue Nègre, de dessins désormais célèbres. De nombreux artistes ce sont appropriés sa silhouette et son histoire. Nous avons souhaité analyser les œuvres de Faith Ringgold, artiste majeure de l’art Africain Américain, d’Hassan Musa, artiste politique emblématique, et de la jeune artiste sud africaine Billie Zangewa. Trois artistes appartenant à trois générations différentes qui ont souhaité travailler une une même femme dont l’histoire reflète les maux de l’histoire Noire.

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Je suis du côté des « niggers ». Je n’en ai ni gloire ni humiliation. Je n’ai pas choisi.

Joséphine Baker. (Mémoires)

      La figure de Joséphine Baker (née le 3 juin 1906 à Saint Louis, Missouri, Etats-Unis et décédée le 12 avril 1975 à Paris) tient une place singulière dans les travaux de nombreux artistes Noirs. Elle est le symbole de la femme Noire belle et libre. Libre de son corps, de son image et de son exotisme qu’elle a toujours su utiliser à bon escient. Baker est née à Saint Louis, dans l’État du Missouri, « la ville aux 100 000 Nègres » comme elle l’a confié à Marcel Sauvage dans ses Mémoires (1). La situation financière de sa famille étant critique, elle quitte très jeune l’école et se lance dans une carrière de danseuse dans les années 1920. Elle intègre différentes compagnies ambulantes qui vont la mener jusqu’à New York. Les portes de Broadway restent closes pour la jeune danseuse Noire. Confrontée aux discriminations et à la ségrégation, elle tente sa chance en Europe, à Paris. Après une longue traversée de l’atlantique, elle débarque à Cherbourg le 25 septembre 1925. C’est à Paris que la chance et le succès lui sourient, grâce à ses prestations dans le cadre de la Revue Nègre au théâtre des Champs-Élysées qui l’a fait connaître du grand public. Avec son tableau La Danse Sauvage, où vêtue d’une jupe composée de banane, Baker se lance dans une danse endiablée sur de la musique charleston, elle suscite immédiatement curiosité et polémique. Joséphine Baker se décrit ainsi dans ses Mémoires :

Joséphine Baker, voilà ! Je fais tourner mon épaule comme une roue de machine dans la chair. Je joue aux billes avec mes yeux. J’allonge mes lèvres quand cela me plaît. Je marche sur les talons quand cela me plaît. Je cours à quatre pattes quand cela me plaît. Je secoue tous les regards. Je ne suis pas une pelote à épingles, après tout. Je vous raconte qui je suis avec mes mains, mes bras. Je rame dans l’air. Je sue, je saute, et voilà ! (2)

Elle est rapidement devenue une égérie dans le monde artistique et musical de l’époque. Les artistes Paul Colin et André Daven peignent les affiches désormais célèbres de la Revue Nègre et choisissent immédiatement Baker comme icône. À la Revue Nègre qui enfermait la danseuse dans une stratégie coloniale explicite, Baker a pourtant su développer un personnage singulier, à la fois comique et extrêmement élégant. Une danseuse hors du commun qui louchait pour amuser son public. L’image qui nous reste d’elle est d’ailleurs celle d’une femme pétillante mais aussi engagée dans différentes causes pendant la seconde guerre mondiale et pour la lutte des droits civiques aux Etats-Unis. C’est dans ce cadre que nous avons choisi d’analyser la présence de Baker dans les œuvres de Faith Ringgold (née en 1930, à Harlem, Etats-Unis), Hassan Musa (né en 1951, à El Nuhud, Soudan) et Belinda (Billie) Zangewa (née en 1973, à Blantyre, Malawi). Trois artistes de générations différentes, se retrouvant sur deux aspects essentiels : le travail sur tissus et la volonté de représenter dans leurs travaux les personnages mythiques de la constellation Noire.

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Joséphine Baker est donc présente dans une œuvre de l’artiste Américaine Faith Ringgold, aujourd’hui acclamée comme une artiste pionnière en ce qui concerne la lutte pour les droits des femmes Noires et plus particulièrement des femmes artistes Noires. En effet, Ringgold travaille depuis les années 1980 avec une technique spécifique : le quilting. Elle peint sur des morceaux de tissus qu’elle assemble à la manière d’un patchwork.

Jo Baker’s Birthday (The French Collection, Part II : #10, 1993) est une œuvre quiltée qui reprend volontairement trois peintures phares de l’histoire de l’art Occidental. Faith Ringgold a en effet rassemblé et transformé deux compositions d’Henri Matisse : La Desserte Rouge (1908) apparaissant en second plan et L’Odalisque aux Magnolias (1923-1924) au premier plan. Au centre est allongée, bras étendus vers le haut et jambes écartées, la célèbre chanteuse et danseuse : Joséphine Baker. Elle regarde fixement le spectateur, les yeux brillant et avec un large sourire. De la même manière que l’odalisque de Matisse, Joséphine Baker porte une tunique blanche, ouverte sur son buste, laissant apparaître sa poitrine et son ventre. Elle porte des boucles d’oreilles saillantes et un collier de perles blanches à quatre rangs descendant sur ses seins. Baker est allongée sur une couche aux couleurs vives, entourée d’une corbeille de fruits, d’une plante verte et en arrière-plan nous voyons une femme, Blanche, disposant des fruits sur une table. Faith Ringgold fait non seulement référence à deux œuvres d’Henri Matisse, mais aussi à L’Olympia (1863) d’Edouard Manet. Souvenons-nous que L’Olympia de Manet représente une femme blanche, nue, allongée, à côté de laquelle se tient une domestique Noire aux formes généreuses. Avec l’œuvre quiltée de Ringgold s’opère une inversion des rôles traditionnels dans la peinture occidentale : la femme Noire est servie par la femme Blanche. De plus, le personnage de Joséphine Baker n’est pas représenté comme les traditionnelles odalisques soumises au regard du spectateur en quête d’exotisme. Au contraire, Joséphine Baker apparaît comme une femme épanouie, libre, fière de son corps et de sa beauté, elle semble parfaitement maîtriser l’espace et la pose. Le choix même du modèle est judicieux, puisque toute sa vie Joséphine Baker a su utiliser son corps et son image comme elle l’entendait. Reconnue internationalement comme une icône Noire, elle jouissait également d’une grande liberté. Une icône que l’artiste soudanais Hassan Musa n’a pas hésité à reprendre dans une série de peintures sur tissus intitulée Who Needs Bananas ? (Qui a Besoin de Bananes ?) Des peintures qui mettent en scène la danseuse, à demi nue, entourée de bananes. La banane, qui est malheureusement devenue un stéréotype façonné par les Occidentaux, symbolisant tristement la culture Noire, non seulement africaine mais aussi caribéenne. Faith Ringgold a réalisé un second quilt dédié à Joséphine Baker, il s’agit de Jo Baker’s Bananas (1997). Un quilt dont la scène centrale est découpée en deux parties : en haut la figure de Joséphine Baker est démultipliée en cinq exemplaires. Elles dansent à demi-nues et portant la jupe bananes. En bas, un homme blanc danse avec une femme noire et une femme blanche. De part et d’autre des danseurs sont représentés deux jazzmen jouant du saxophone et de la trompette. La danse frénétique et corps souple de Joséphine Baker sont mis en lien avec l’essor de la musique jazz dans les années 1920. À propos de Joséphine Baker, dont La proximité artistique que ressent Hassan Musa à l’égard deJoséphine Baker se traduit par ses lignes :

Elle s’est positionnée en tant qu’artiste. L’art lui a offert, non seulement les moyens d’échapper aux conditions des personnes exclues, mais aussi de gagner la reconnaissance et la gloire. Mais l’artiste qu’elle était autorisée à être, dans le Paris des années vingt, était conditionnée par les considérations coloniales et raciales de la société française de l’époque. La complexité de son attitude en tant que personne noire, une femme et une artiste, mérite beaucoup plus d’attention que la simple commémoration de la Revue Nègre, Joséphine Baker est une figure centrale dans la question problématique de l’esthétique africaniste quand elle fut instrumentalisée pour en faire un niveau d’exclusion (3).

La suite du texte ici : http://www.africultures.com/php/index.php?nav=article&no=9819

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