L’œuvre de Zineb Sedira est présenté au Musée d’Art Contemporain de Marseille jusqu’au 23 mars 2011 et au Palais de Tokyo à Paris jusqu’au 2 janvier. Une double actualité pour la plasticienne dont le travail a été rudement censuré l’été 2010 au Musée Picasso de Vallauris. L’artiste s’attache à une réflexion sur un passé commun, celui de la France et de l’Algérie. En cela elle mène un travail de mémoire, au risque de raviver les tensions et les blessures les plus vives.
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Zineb Sedira est née en 1963 à Paris, de parents Algériens. Deux résistants et militants pour l’indépendance de l’Algérie, installés dans la banlieue parisienne. L’artiste a grandi dans un entre-deux : deux cultures, deux langues, deux histoires qui se sont pourtant rejointes avec la colonisation et dont les plaies ne se sont jamais refermées. Lorsqu’elle demande à son père et à sa mère de témoigner à la fois de leurs histoires personnelles et de la grande Histoire, la confrontation est douloureuse. Mother, Father and I (2003) est composée de trois écrans disposés l’un à côté de l’autre. Le regard du spectateur est amené à passer de l’écran figurant l’artiste, puis sa mère et enfin son père. L’un et l’autre racontent la violence et le racisme exacerbés lors de leur arrivée en France. Zineb Sedira, filmée alors qu’elle écoute ses parents, se confronte directement avec leur histoire, son histoire.
De la censure à la double reconnaissance
Un travail de témoignage qu’elle poursuit avec le film Retelling Histories : My Mother Told me… L’œuvre vidéo est une conversation entre l’artiste et sa mère. Un entretien intime durant lequel sa mère revient sur les passages douloureux de la guerre : les viols, sévices, tortures envers les femmes. Zineb Sedira choisit, à travers ce témoignage, de mettre l’accent sur la condition des femmes durant cette période. Leur conversation en arabe est traduite en sous-titre anglais. L’œuvre en question a enclenché une forte polémique au printemps 2010. En effet l’artiste, qui a fait ses études à Londres où elle travaille, a souhaité donner une signification anglophone au mot Harki. Elle a choisi de le traduire par « collaborateurs », ce qui lui a attiré les foudres d’associations d’Anciens Combattants ne supportant pas cette idée. (1) Le maire de Vallauris a alors pris la décision de fermer l’exposition au public pendant deux mois. Zineb Sedira explique : « Le problème soulevé par les Harkis était un faux problème, estime-t-elle. Je me suis rendu compte qu’il s’agissait plus de crispations et d’incompréhensions liées à cette page non assumée de l’histoire de France, la Guerre d’Algérie. Ce que dit ma mère dans ce témoignage, quand elle évoque les viols et les tortures, eh bien cela dérange » (2). Sous la pression du milieu culturel et politique, l’exposition a finalement rouvert ses portes, à la condition que le sous-titrage soit modifié et que le mot harki ne soit plus traduit. L’artiste a dû se plier à une solution de complaisance.
Sa double exposition à Paris et à Marseille est une belle revanche pour l’artiste dont l’œuvre a littéralement et arbitrairement été censurée.
Zineb Sedira ne recherche pas le politiquement correct, elle entretient une mémoire vive au travers des souvenirs de sa famille et de son propre point de vue critique. Des mots et des visages doivent être posés sur une guerre et une histoire dont personne ne veut plus entendre parler. Une guerre dont beaucoup préfèrent oublier l’existence. Une guerre dont les conséquences non seulement sur les acteurs de l’époque, mais aussi sur les générations suivantes, sont aujourd’hui marquées.
Dépasser l’Histoire
Zineb Sedira ne ferme pas les yeux sur son histoire, bien au contraire elle souhaite la confondre afin de pouvoir la dépasser. En 2001, elle réaliseSilent Sight, une œuvre vidéo montrant son regard d’abord fermé, puis ouvert. Le spectateur est plongé dans ce regard qui vient le troubler durant dix minutes. Une musique jouée au violon traverse l’œuvre, tandis que retentit la voix de l’artiste qui raconte en anglais des souvenirs de vacances passées en Algérie. Sedira creuse, cherche et retourne son histoire dans tous les sens. Elle en capture chaque bribe pour la reconstruire et lui donner un sens. Elle se définit elle-même comme une « gardienne d’images ». Son œuvre est multimédia puisque Sedira utilise aussi bien la vidéo, la photographie, l’installation que le travail numérique. L’exposition au MAC de Marseille est la première rétrospective qui lui est consacrée regroupant des œuvres couvrant la période 1995 à 2009. Le fait qu’elle se tienne dans la ville de Marseille est cohérent avec son œuvre. Pour la plasticienne « Marseille est une ville de passage, il y a la mer et de l’autre côté l’Algérie, c’est plutôt cohérent quand on regarde mon travail. Cette rétrospective permet de voir les œuvres vivre ensemble, et même celles que je ne supportais plus, celles que je trouvais moins fortes, ont trouvées leur place dans cet ensemble et, à mes yeux, retrouvées toute leur force » (3). Le visiteur peut alors appréhender et suivre le parcours énoncé par l’artiste. Un parcours aux problématiques multiples : la condition des femmes, la mémoire, l’immigration, l’exil, le déracinement etc. Lorsqu’elle a choisi de quitter la France pour s’installer au Royaume Uni dans les années 1980, Zineb Sedira a aussi pris en quelque sorte de la distance avec sa famille, ses racines et son histoire.
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