Plasticienne, photographe et vidéaste, Zoulikha Bouabdellah (née en 1977 à Moscou) offre un travail où s’entremêlent le langage, l’érotisme, les religions, le féminisme et la symbolique féminine. Son œuvre est un langage poétique amenant une perspective politique. Zoulikha Bouabdellah lutte avec fermeté contre l’orientalisme stéréotypant et contre toute forme d’exotisme lié au corps des femmes orientales. Son exposition du moment, intitulée « Opening The Doors : Collecting Middle Eastern Art », se déroulera du 3 novembre 2010 au 5 janvier 2011 au Emirates Palace à Abu Dhabi.
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Depuis le début de sa carrière artistique, Zoulikha Bouabdellah joue avec une interculturalité présente dans sa propre vie. Elle est née à Moscou, là où sa mère faisait des études d’histoire de l’art à l’université Lomonossov et où son père étudiait le cinéma au VGIK. Elle a ensuite grandie en Algérie, où sa mère était directrice du musée des beaux-arts d’Alger. Très tôt, la jeune Zoulikha a développé son goût pour les arts grâce à cette proximité avec le musée et les activités de sa mère. En 1994, lors de la guerre civile algérienne, elle quitte l’Algérie avec sa famille pour rejoindre la France. En 2002, elle a obtenu son diplôme de l’Ecole des beaux-arts de Cergy et exerce depuis une pratique de l’art où les cultures se mêlent. Bouabdellah aime à faire ressurgir dans son art les stéréotypes et les problématiques liées à la question des identités : culturelles et sexuelles. Lors de l’exposition Africa Remix en 2006, elle y présente une œuvre vidéo intitulée Dansons (2003) où elle se filme exécutant une danse du ventre. La caméra est orientée uniquement sur le bassin vu en cadrage resserré. Bouabdellah ne porte pas une robe traditionnelle orientale, mais un drapeau français formé de trois foulards, bleu, blanc et rouge. Sur les foulards sont cousus des cliquetis qui viennent rythmer la danse de l’artiste. En fond sonore est diffusée La Marseillaise. L’Orient qui danse sur l’Occident pour le bousculer dans ses préjugés. Dansons au lieu de Marchons. Bouabdellah joue avec les codes et les symboles culturels à travers une œuvre souhaitant le dépassement de ces symboles qui sont souvent étouffants. L’artiste explique le choc qu’elle a subi à son arrivée en France à cause de son accent raillé par les autres. Ceci n’est pas sans nous rappeler la reprise de la chanson de Charles Trenet Douce France par le chanteur Rachid Taha. Dansons est un appel à l’harmonie et à l’effondrement du concept de la différence lorsqu’il est envisagé de manière négative. Zoulikha Bouabdellah prône dans on œuvre la différence, sa différence capable de danser avec toutes les différences. Par le biais de son corps, l’artiste interroge de manière subversive la question de l’intégration en France qui nous ramène au débat avorté sur l’identité nationale. Une identité nationale qui ne peut exister aux yeux de Zoulikha Bouabdellah. L’identité étant le complexe résultat d’une mosaïque de différences et d’influences. L’identité ne peut être nationale, elle est personnelle et multiple. Selon elle, « Orient-Occident est la nouvelle forme de conscience que j’ai déterminée par mon séjour en France. Je couvre ce que j’ai de plus intime par les couleurs de la République et de la France. Bleu, blanc, rouge, la dynamique même, le rythme en soi, mélodie entraînante, vibration que mon corps épouse » (1).
Son corps épouse le drapeau et le rythme de La Marseillaise, Bouabdellah procède à une appropriation personnelle des deux symboles car ils font partie intégrante de son identité. La danse orientale est l’autre facette de cette identité plurielle. L’artiste s’attaque avec vigueur aux contradictions et aux absurdités qu’elle rencontre dans ses déplacements. Si Zoulikha Bouabdellah met en exergue les problèmes français, elle n’hésite pas à faire de même avec les pays arabes, notamment en ce qui concerne le rôle des femmes. Dans la série photographique Ni Entendu, Ni Parlé, Ni Vu (2007), l’artiste nous propose trois autoportraits. Le premier où elle recouvre ses oreilles de deux casseroles, le second où un couscoussier recouvre sa bouche et le troisième où le couscoussier couvre ses yeux. Il s’agit là d’une dénonciation du statut réprimé de certaines femmes arabes enfermées dans un système patriarcal. Elle ne doit pas entendre, ni parler, ni voir.
Cette œuvre parle de la femme confinée à la sphère domestique, qui ne doit pas exister publiquement. Cette femme qui a seulement le droit d’exister dans son foyer pour élever ses enfants et effectuer les taches ménagères.
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