
This Nameless Spectacle, 2011. Installation vidéo. Production MAC/VAL, musée d’art contemporain du Val-de-Marne, Vitry-sur-Seine. ANNA LENA Films. Courtesy galerie Perrotin, Paris. © Jesper Just, 2011.
À l’occasion de la fête de la création artistique internationale à Paris, le MAC VAL présente jusqu’au 5 février 2012 la première exposition monographique française dédiée à l’artiste danois Jesper Just (né en 1974 à Copenhague). Le musée offre donc quatre mois aux visiteurs pour découvrir les films et travaux vidéo d’un artiste encore mal connu du public français.
Jesper Just interroge le genre et bien d’autres sujets comme la jalousie, l’envie, la vieillesse, les sexualités, le désir etc. Proche des cinémas de réalisateurs comme Carl Theodor Dreyer, Ingmar Bergman, Jean-Pierre Melville, Elia Kazan ou encore David Lynch et Gus Van Sant, il s’inscrit dans une esthétique nordique et revendique des influences cinématographiques singulières. Il produit un cinéma expérimental, extrêmement référencé, esthétique et politique, doté d’une identité forte. Toujours avec une visée poétique et onirique, il questionne notre humanité, ses failles, ses faiblesses, mais aussi ses splendeurs qui jaillissent dans chacune de ses séquences. Jesper Just y déploie les multiples facettes de son univers fantasmagorique au sein duquel la figure humaine y est scrutée, observée et contemplée. Avec un style cinématographie et photographique de l’école nordique, Jesper Just explore sans relâche les entrailles de l’âme humaine. Les lumières, les couleurs neutres et métalliques, ainsi que l’apparente fragilité des protagonistes, confèrent aux images une force troublante. Il est à noter que le choix des acteurs est toujours référencé, Johannes Lilleøre, Alex Wipf, Ole Hedegaard ou encore Benedikte Hansen sont les acteurs fétiches de Jesper Just. Avec eux, il construit un travail sur la durée qui lui permet d’exploiter à l’infini les corps, les postures et les expressions.
L’exposition propose un parcours jalonné de six films, réalisés entre 2004 et 2011. Des réalisations qui nous offrent un aperçu de la pratique profonde et originale de Jesper Just. Le visiteur, immédiatement immergé dans l’univers de l’artiste, est invité à vivre une expérience cinématographique inédite et surprenante. The Nameless Spectacle (2011) est une installation vidéo spécialement produite pour l’exposition. Tourné à Paris au parc des Buttes-Chaumont et dans un appartement face au parc, le film met en scène une femme (Marie France) et un homme (Swann Arlaud) qui progresse dans un dialogue corporel incongru, artificiel et surprenant.

This Nameless Spectacle, 2011. Installation vidéo. Production MAC/VAL, musée d’art contemporain du Val-de-Marne, Vitry-sur-Seine. ANNA LENA Films. Courtesy galerie Perrotin, Paris. © Jesper Just, 2011.
The Lonely Villa (2004 – 4.30 min), dans une étrange bibliothèque, une douzaine d’hommes sont assis, chacun à une table, buvant du Cognac. Comme dans la plupart des films de Jesper Just, la musique joue un rôle essentiel, elle renvoie à un contexte spécifique, un message, et confère une ambiance aux scènes muettes. Deux chansons des Ink Spot, quatuor américain des années 1930-1940, servent de dialogue entre les protagonistes. « J’ai cessé de rêver des clameurs du monde. Je voudrais juste que tu m’aimes. Que tu m’avoues que notre trouble est le même. Crois-moi, c’est mon vœu suprême. » Le décalage entre la mise en scène, les personnages, le décor et les paroles chantées apportent un trouble. Ici il est question d’amour, d’homosexualité et de défiance des normes.
It Will All End in Tears (2006 – 20.00 min) est formé de trois parties, A Little Fall in Rain, And Dreaming is Nursed in Darkness et I Will All End in Tears. Trois séquences où deux hommes se rencontrent et s’apprivoisent dans une ambiance mélodramatique. Face à face dans un jardin asiatique artificiel à New York, puis dans un tribunal à huis clos avec un chœur d’hommes hurlant de manière saccadée « I’ve got you under my skin » (Cole Porter) et enfin sur les toits des studios de cinéma de la Silvercup à Brooklyn. Trois décors, trois scènes, trois ambiances et trois musiques nous aident à questionner la complexité des rapports humains.

A Voyage in Dwelling, 2008. Super 16mm reporté sur Blu-ray, 11’11. Courtesy Galerie Emmanuel Perrotin, Miami & Paris. Courtesy Victoria Miro Gallery. © Jesper Just, 2008.
A Voyage in Dwelling (2008 – 11.11 min) est un film introspectif, le premier d’une trilogie (avec A Room of One’s Own et A Question of Silence, 2008). Nous y retrouvons Bennedkte Hansen (actrice fétiche de l’artiste) qui erre avec élégance et désinvolture sur une petite île déserte, Klavs Holm sur le lac Farum. Une île mythique au Danemark, car elle recèle de multiples histoires réelles et fictives. L’actrice vêtue de blanc, devient un personnage extrait de ces légendes populaires. Elle se déplace lentement, vers l’eau et « expérimente un plaisant décalage, devenue nomade de son propre esprit, elle ne recouvre jamais son état antérieur » (Jesper Just). La progression de l’actrice est extrêmement envoûtante, nous sommes happés par chacun de ses mouvements, filmés avec une grande précision.

A vicious undertow, 2007. Super 16mm, noir et blanc, 10’. Courtesy Galleri Christina Wilson, Copenhague. © Jesper Just, 2007.
A Vicious Undertow (2007 – 10.00 min) est un film en noir et blanc qui se déroule dans une ancienne maison close à Copenhague. L’endroit est aujourd’hui un bar lesbien. L’esthétique et la technique de la première séquence sont proches de celle déployées par Alain Resnais dans L’Année Dernière à Marienbad (1961) : de longs travellings sur des détails, des textures et des parties des corps des personnages féminins. Les références cinématographiques s’enchaînent ensuite, d’Ingmar Bergman à Alfred Hitchcock an passant par Robert Aldrich, le film présente des femmes fatiguées et raffinées. Le décalage est encore présent. Dans une lente et envoûtante chorégraphie, elles (Benedikte Hansen et Laura Drasbæk) sifflent tour à tour l’air de Nights in White Satin des Moody Blues (1967). Jesper Just allie désir, culpabilité, remord et sensualité.

Sirens of Chrome, 2010. RED reporté sur Blu-ray, 12’38. Courtesy Galerie Emmanuel Perrotin et Galleri Christina Wilson, Copenhague. Copyright © Jesper Just, 2010.
Sirens of Chrome (2010 – 12.38 min), quatre femmes noires dans une Chrysler noire avancent dans les rues de Détroit. La ville est quasiment déserte. Elles roulent en direction de l’ex-Michigan Theater bâti en 1926, là où Henry Ford a construit sa première automobile. Le lieu a été démoli en 1976 pour devenir un banal parking. Des femmes, une berline et un lieu chargé d’histoire industrielle et commerciale qui a transfiguré cette région des Etats-Unis. Une rencontre insolite créant un espace de réflexion sur la représentation et la place accordées aux femmes au sein d’une machinerie commerciale, où la femme est toujours présentée comme un appât réservé à une clientèle masculine. Jesper Just procède à une déconstruction des stéréotypes et renverse une imagerie commerciale qui formate nos esprits.
À travers ses films muets, mais jamais silencieux, Jesper Just développe une esthétique attirante, envoûtante et subversive. Il nous transporte dans un univers fantasmagorique aux lumières évanescentes et troublantes. Dans ce « spectacle inconnu » où le genre humain y est exposé jusque dans sa plus grande intimité. Ses personnages traduisent une aura à la fois fascinante et déconcertante. Les gestuelles et les regards sont dramatisés, exacerbés. Chaque détail compte et renvoie à une thématique précise : musiques, décors, costumes, lumières, lieux traversés, scènes cinématographiques revisitées etc.. Avec distance et ironie, il s’attaque à une déconstruction des représentations stéréotypées, du genre et d’une imagerie actuelle galvaudée. Avec pertinence et authenticité, Jesper Just fouille les troubles de nos sociétés contemporaines.
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Jesper Just – The Unkown Spectacle. MAC VAL, Vitry sur Seine, du 22 octobre au 5 février 2012.
Plus d’informations sur l’exposition : http://www.macval.fr/
L’artiste est représenté par la GaleriePerrotin, Paris : http://www.perrotin.com/.
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Article pour la revue Inferno : http://ilinferno.com/2011/10/21/jesper-just-the-unknow-spectacle/
Merci pour vos pensées sur Just à la Mac/Val, les miens (en anglais):
http://theurbanlandfill.wordpress.com/2012/01/12/jesper-just-this-unknown-spectacle-musee-dart-contemporain-du-val-de-marne/