EDVARD MUNCH /// AU-DELA DU CRI

La musique et les couleurs accaparaient mes pensées – elles accompagnaient les nuées légères et la tendre musique – dans un monde de joie et de lumière.

E. Munch – Le Manifeste de Saint-Cloud (1889).

Souvent présenté comme un peintre de la fin du XIXe, symboliste, expressionniste, autocentré et mystique, Edvard Munch (1863-1944) est désormais considéré comme une figure incontournable de la période moderne, au même titre que Mondrian ou Kandinsky. Le Centre Pompidou rend actuellement hommage au caractère moderne et avant-gardiste de l’œuvre de Munch. Sans être une rétrospective de son œuvre, il s’agit d’une exposition manifeste qui présente avec pertinence le travail protéiforme du peintre norvégien, en dehors des sempiternels clichés. Aux détours des différentes salles de l’exposition nous découvrons un travail photographique dense, une étonnante compulsivité créatrice, son goût pour les sciences et progrès techniques, pour le cinéma et le théâtre. L’exposition met aussi en lumière un contenu politico-social de son œuvre qui était jusqu’ici occulté à la faveur d’une image d’artiste maudit et torturé.

Edvard Munch n’était pas exclusivement préoccupé par son être et par ses troubles intérieurs, bien au contraire il était tourné vers le monde extérieur. Il se tenait informé de l’actualité, norvégienne et mondiale, grâce à la radio, au cinéma et les journaux. Il voyageait beaucoup (différents séjours en France, Scandinavie, Hollande, Belgique, Italie et Allemagne) et s’imprégnait de ses rencontres et découvertes. Munch était un homme curieux, ancré dans on époque, en phase avec les progrès techniques qui le fascinaient. Il était d’ailleurs intéressé par la découverte des rayons X, de la radioactivité ou encore des ondes de la télégraphie. Des innovations dont l’influence transparait non seulement dans son œuvre peint avec une utilisation singulière de couleurs vives conférant une lumière irradiante, ainsi que des effets de transparences et un caractère ondulatoire récurrent. Mais aussi dans ses photographies où, grâce à de longs temps de pose et une réflexion sur les mouvements du corps et de l’appareil, Munch obtenait des effets spectraux et énigmatiques. De plus, l’artiste se rendait régulièrement au cinéma. En 1927 il s’est procuré sa première caméra. Ce qu’il reste de ses expériences cinématographiques est présenté dans l’exposition, un film en noir et blanc morcelé de 5 minutes et 17 secondes, où Munch poursuit sa réflexion sur le mouvement : scènes urbaines, études des corps en mouvement, autoreprésentation etc.

Influencé par la presse illustrée, il rend compte de faits divers, d’injustices sociales et d’actions politiques. L’exécution de communistes en Finlande, la maison de sa voisine en feu, des scènes de paniques à Oslo après la déclaration dela PremièreGuerreMondiale, les revendications sociales de la classe ouvrière, des bagarres de rue etc. Sans donner de hiérarchie aux sujets représentés, Munch s’avère être réceptif au monde extérieur dont il capte des moments, des ondes et des mouvements. L’artiste est préoccupé par son environnement qu’il traduit dans son œuvre avec un point de vue personnel et intime.

Il est impossible de parler de l’œuvre de Munch sans évoquer ses autoportraits. Entre 1900 et 1944 il peint plus de quarante autoportraits pour constater le passage du temps, sur son physique et sa vision. L’exposition présente une série d’autoportraits peints, de sa jeunesse jusqu’au derniers mois de vie de l’artiste. Une collection d’autoportraits photographiés y est également dévoilée. Entouré de ses œuvres, Munch fait corps avec ses images. Ou bien pris à bout de bras, ses autoportraits traduisent un rapport libre et décomplexé avec l’appareil. Une liberté de composition présente dans son œuvre peint. Les deux techniques interagissent et nous livrent un regard sur le monde extrêmement original. Une salle de l’exposition présente les œuvres sur papier de Munch, où, à la fin de sa vie, il a travaillé sur sa vision, alors faussée par la présence d’une tache noire sur sa rétine (une hémorragie de l’œil droit). Chacun de ses dessins figure non seulement sa vie directe, mais aussi les évolutions et caractéristique de son invalidité.

Enfin, l’exposition livre une compulsivité créatrice chez l’artiste, qui, a exploité tous types de mediums (peinture, photographie, sculpture, gravure, lithographie, cinéma, dessins, écrits etc.) pour procéder à des séries de remaniements multiples de ses sujets. Des sujets qu’il fouille, réécrit, reformule jusqu’à épuisement. Il va et revient sur ses œuvres, sur plusieurs décennies. Une salle nous fait expérimenter cette obsession du détail en présentant différentes variations de Femme en Pleurs, six peintures, une photographie, une lithographie, plusieurs dessins et une sculpture (medium rarement utilisé par Munch). Sur différents supports, il gratte, ajoute, déchire, repeint, réimprime ses motifs. Des interventions qui montrent sa passion pour l’expérimentation technique allant jusqu’à une totale désacralisation de ses œuvres exposées dehors, autour de sa maison. Les toiles sont alors exposées à une lumière intense, aux intempéries et aux variations de températures.

Le fait est que l’on voit les choses avec des yeux différents selon le moment. On a des yeux différents le matin et le soir. Notre manière de voir dépend aussi de notre état d’âme. C’est pourquoi le même motif peut être perçu de tant de manières différentes et c’est là tout l’intérêt de l’art.[1]

Les cent quarante œuvres présentées au Centre Pompidou nous amènent à repenser le travail d’Edvard Munch qui n’est pas uniquement l’auteur du Cri. S’il a ausculté la mort, l’amour, la douleur, l’angoisse, la solitude, Munch s’est aussi attaché à l’Autre, à la vie, à l’actualité et à la nature. En 1929, il écrit : « On ne peut plus peindre des intérieurs avec des hommes qui lisent et des femmes qui tricotent. On peindra des êtres vivants qui respirent et qui sentent, qui souffrent et qui aime ».[2] L’exposition, Edvard Munch : l’œil moderne nous insuffle ce message vital, obsessionnel et compulsif d’une œuvre qui recèle encore mille et un secret.

Julie Crenn.

 

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Exposition Edvard Munch, l’œil moderne au Centre Pompidou, du 21 septembre 2011 au 9 janvier 2012.

Plus d’informations : http://www.centrepompidou.fr/

Munch Museet, Oslo : http://www.munch.museum.no/

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[1] POGGI, Jérôme. Edvard Munch : Ecrits. Dijon : Presses du Réel, 2011, p.142.

[2] POGGI (2011), p.23.

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Collaboration avec la revue Infernohttp://ilinferno.com/2011/10/25/edward-munch-a-pompidou-au-dela-du-cri/

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