La Galerie Toutouchic à Metz, présente actuellement une exposition personnelle de Mélanie Lecointe (née en 1979, à Douai). Après avoir étudié l’art du vitrail à l’Ecole des Métiers de l’Art d’Arras, elle ne voulait pas s’enfermer dans un travail strictement technique, artisanal. Bien au contraire, elle a souhaité ouvrir un art méconnu et uniquement rattaché aux édifices religieux aux autres champs de la création pour qu’il puisse porter des messages débarrassés des contextes religieux et décoratifs. Faire du vitrail un medium actuel et pertinent était son défi premier. Il est ainsi dépoussiéré, bousculé et actualisé dans une démarche audacieuse, radicale, critique et ironique. Contrairement aux vitraux contemporains produits par des artistes comme Matisse ou Soulage, Mélanie Lecointe fait sortir le vitrail du cadre de la fenêtre et pour le faire dialoguer avec l’espace, la société et l’air du temps. Il devient malléable et modulable et se fait le support de problématiques nouvelles : politiques, sociales, genrées etc. A l’image des figures majeures du Bauhaus dans les années 1920-1930 (Josef Albers) ou des artistes féministes qui dès la fin des années 1960 ont choisi de revenir vers des techniques oubliées, isolées et ouvertement déconsidérées (Judy Chicago, Louise Bourgeois, Harmony Hammond ou encore Sheila Hicks), elle donne une nouvelle impulsion au vitrail en le décloisonnant puisqu’il est devenu entre ses main une sculpture ou une installation à part entière.

Présidentielle, 2012 Bois, masse, vitrail, sable Dimensions : Vitrail (80 x 80 cm) sur structure en bois (180 x 80 x 160 cm) © Photos : Mélanie Lecointe
Dans l’espace de la galerie, Mélanie Lecointe présente deux œuvres inédites, Mitraillette et Présidentielle. Deux vitraux caractérisés par l’utilisation des couleurs rouge et blanche qui donnent visuellement le ton de son propos. La première s’inscrit dans la poursuite d’un travail de recherche à la fois formel et critique. En effet, en 2010 elle produit une installation intitulée Vous qui êtes mortes, vous qui vivez encore et vous qui viendrez à l’avenir, réjouissez-vous, une œuvre qui reprend et déconstruit la fonction première des vitraux religieux. Elle explique : « Les vitraux représentent un menu McDo : les frites, le burger, le soft drink, le muffin. Le dessin est simplifié : ce qui m’intéressait c’était d’emprunter davantage au graphisme qu’à la peinture. D’ailleurs, il y a aussi un rapport à l’enseigne ou au panneau publicitaire. […] Tout cela marque en effet une sorte de tournant politique. »[1] L’image triviale vient tutoyer un medium lié au sacré pour délivrer des messages critiques sur nos modes de fonctionnements sociétaux, les travers d’une société de consommation annihilante et aveuglante.
À l’origine les vitraux étaient non seulement destinés à imager de manière littérale les textes sacrés, c’est pour cela qu’ils étaient nommés la Bible des ignorants. Les images devaient remplacer les mots, inaccessibles aux analphabètes, qui devaient malgré tout intégrer les idées fondamentales instillées par les textes. Ainsi les vitraux sont devenus les supports d’une propagande assumée non seulement en faveur de l’Eglise, mais aussi des mécènes, des seigneurs et des rois, puisqu’ils contenaient des scènes religieuses et politiques. Les gens qui incarnaient le pouvoir s’en servaient comme d’affiches électorales et programmatiques. De plus, ils se glorifiaient en étant représentés près des saints, dela Vierge ou du Christ. Ils intégraient ainsi un panthéon imaginé et construit par eux-mêmes.
Incorporée à un caisson lumineux, Mitraillette reprend et reformule l’histoire du medium en y ajoutant les codes de l’information et de la communication actuelle : graphisme, logos, couleurs attrayantes etc. Des codes impliquant une simplification des formes amenant à un formatage plus rapide et universel des esprits. L’objet désigne l’idée. À cette schématisation du discours s’ajoute la présentation même de l’œuvre. Le vitrail est installé sur une palette en bois, il apparaît ainsi comme une marchandise. Un objet de consommation lambda que l’on produit, transporte, consomme et jette. En cela, Mélanie Lecointe accentue sa volonté de désacraliser le medium et de le faire entrer dans notre quotidien, la vie courante.

Mitraillette, 2012 Caisson lumineux en bois, vitrail Dimensions : 120 x 60 x 15 cm © Photos : Mélanie Lecointe
La seconde œuvre, Présidentielle, est plus provocante, piquante et radicale. En plein cœur d’une campagne électorale agitée, dure et virulente par la pauvreté des débats proposés, le vitrail représente une couronne stylisée. Celle du roi déchu ou du roi à venir. Elle peut être celle de Nicolas Sarkozy, l’hyperprésident qui pendant cinq ans a démontré une omniprésence et des comportements dignes d’un néo-monarque. De manière symbolique, l’artiste a, le soir du vernissage, donné un coup de massue au centre de l’œuvre. Briser pour en finir avec les discours trompeurs, avec cette spirale du toujours plus où finalement les citoyens en pâtissent continuellement. Briser pour en finir avec les petits rois de pacotilles et pour revenir à des sujets essentiels. L’œuvre reprend l’esprit des images de propagande en utilisant une iconographie claire, qui est ici accompagnée d’un geste radical renvoyant à l’esprit critique et ironique de l’artiste.
Les deux œuvres se rejoignent sur une thématique liée à la violence du système politique, la couleur rouge, l’arme et le verre brisé accentuent l’intention et le message de l’artiste. Le geste, les choix iconographiques et chromatiques, participent à ce projet de déconstruction du médium afin qu’il puisse être intégré dans le circuit actuel au même titre que les techniques dites traditionnelles. Le vitrail est ainsi rendu accessible, pertinent et subversif. Dans sa démarche de sortir les vitraux des lieux sacrés et institutionnels, Mélanie Lecointe travaille sur un projet qui va permettre aux gens de commander une œuvre sur mesure pour leurs maisons. Elle a ainsi créé un catalogue de commandes, Les Domestiques et le Poulet Vert, qui va permettre d’activer ce dispositif de désacralisation. La commande d’une œuvre pour chez soi fait véritablement entrer l’art dans la vie et favorise une décomplexification par rapport au sacré saint art contemporain.
Julie Crenn
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Exposition Mélanie Lecointe – Mitraillette, du 7 mars au 7 avril 2012, àla GalerieToutouchic(Metz).
Plus d’informations sur l’exposition : http://www.letoutouchic.com/
Plus d’informations sur l’artiste : http://melanielecointe.com/
Mélanie Lecointe participe également à une exposition collective dans le cadre des projets mis en place par le collectif Anywhere Galerie.
Vendredi 16, samedi 17, dimanche 18 mars 2012 – 14 h – 20 h. L’Atelier des Vertus accueille AnyWhere Galerie.
Participants : Marie Aerts, Katia Feltrin, Francine Flandrin, Joël Hubaut, Léa Le Bricomte, Mélanie Lecointe, Stéphane Lecomte, Marie-Fleur Lefebvre, Paul Pouvreau, Sylvie Ruaulx, Hugo Schüwer Boss
Pour en savoir plus : http://www.anywheregalerie.com/
Article en collaboration avec la revue Inferno : http://ilinferno.com/2012/03/14/melanie-lecointe-briser-la-glace/.
[1] Entretien avec François Coadou. Tract n°2, mars 2012.