
Réparation de papillon – 2012. Papillon abîmé, ongles, peaux mortes, épingle et boite spécimen, 32 x 32 x 7 cm. Collection privée Lionel Sabatté
La Galerie Municipale Jean-Collet à Vitry-sur-Seine présente actuellement une exposition personnelle de Lionel Sabatté. L’artiste fabrique des histoires à partir de matériaux provenant d’histoires entremêlées. Il produit une réflexion sur le temps à travers une pratique de l’hybridation : de matériaux, de formes et de références.
Dans le métro parisien, station Chatelet, armé d’un balai et d’une pelle, il récolte patiemment les miettes de nos passages quotidiens. Sur le sol, sur les marches, dans les recoins se déposent des bribes des usagers : leurs corps, leurs vêtements, leurs nourritures. Des micro-déchets transformés en poussière, un matériau rebutant qui devient précieux dans l’œuvre de Lionel Sabatté. Les tas de poussières servent à la création d’une meute de loups. Ces derniers, hurlant à la lune, campés sur leurs pattes ou tapis au sol, sont constitués de ce matériau déconsidéré et indésirable. Synonyme de la perte, du déchet et vecteur du temps qui se dépose sous nos pieds, la poussière est ici transcendée. Du dégout qu’elle peut susciter, une nouvelle dimension est générée, l’étonnement et la fascination dominent. Les moutons grisâtres du métro donnent formes à des loups en chasse. De même, l’artiste réalise des dessins à partir de cette poussière fileuse. Des figures androgynes surgissent de la matière. Les cheveux se font traits. Nous les retrouvons également agrégés à des flaques de béton séché déversées sur des feuilles de papier. La matière brute devient alors un territoire que l’artiste explore par le dessin, la gravure et la brûlure. Il y incruste des visages et des corps emprunts d’un héritage surréaliste assumé.

Vues de l’exposition Parenthèses et suspensions
(…) de Lionel Sabatté à la Galerie
municipale Jean-Collet
(loups en montons de poussière)
© Rebecca Fanuele
La poussière est également présente dans ses peintures. A Vitry, il présente une série de peintures débutée lors d’une résidence à Pékin en 2011. Aux tonalités sombres s’arriment des agrégats poussiéreux provenant de la fenêtre de son atelier. Les particules de la ville intègrent sa peinture. Il y ajoute un motif qui se fait récurrent : des allumettes. Symboles de lumière et de chaleur, elles guident les compositions obscures. A travers elles, il développe une réflexion sur l’essence même de la peinture. Fabriquée à partir de pétrole, elle contient le produit d’énergies fossiles auxquelles l’artiste souhaite rendre hommage. Il s’attache ainsi aux origines ancestrales du medium.

L’échafaudage introspectif du 28.05.2013, 2013
Mine de plomb, béton, brulures, poussières et vernis sur
papier, 46 x 61 cm
© Rebecca Fanuele
La poussière n’est pas l’unique matériau-rebus qui intéresse l’artiste. Il collecte chez des antiquaires et spécialistes, des corps de papillons abimés ; ils sont alors considérés comme « impropres à la collection ». Ailes blessées, corps tronqués, antennes arrachées, Lionel Sabatté procède à un véritable travail de réparation en associant les corps à des ongles coupés. Mi insectes, mi humains, ils sont ainsi remodelés et réanimés d’une nouvelle histoire. Une articulation présente dans la série d’œuvres produites lors de sa résidence du Vent des Forets dans la Meuse. Sur place, l’artiste déterre huit souches de chaines centenaires. S’il pensait au départ les tailler, il est rapidement stupéfait non seulement par les qualités plastiques des immenses souches, mais aussi par l’histoire qu’elles contiennent. Les arbres, témoins de guerres, sont chargés d’une mémoire que l’artiste veut transmettre. Les souches, sorties de la terre, portent un cri, une souffrance, qu’il amplifie avec la fusion du bois et d’une créature primitive formée d’un tissage de tiges métalliques parsemé de pièces de monnaie en cuivre. Entre dinosaure enragé et oisillon affamé, leurs gueules hurlent de vie. De cette terre chargée d’histoire, l’artiste fait surgir un nouveau type de phœnix.

Chant silencieux, 2013
souche de chêne, pièces de 1 cnt d’euros,
fer, étain et laiton., 160 x 202 x 150 cm (vent
des forêts)
© Rebecca Fanuele
De l’informe et l’impropre, Lionel Sabatté extrait des œuvres aussi troublantes que poétiques comme en témoigne une rose dont la tige a été plongée dans le béton et dont la fleur est formée de peaux mortes. Les matériaux, rudes et primitifs, servent ainsi une réflexion sur notre rapport au temps, au corps et à la perte. L’artiste porte un regard subtil et sensible sur l’histoire et la mémoire.
Julie Crenn
Site Internet : http://galerie.vitry94.fr/expositions/details/fiche/parentheses-et-suspensions-lionel-sabatte/?cHash=c575eca154f54463c4dab11599e30742
Lionel Sabatté est représenté par la Galerie Patricia Dorfmann /http://www.patriciadorfmann.com/artist/lionel/works
INFERNO / http://inferno-magazine.com/2013/09/25/parentheses-et-suspensions-lionel-sabatte-a-vitry/