L’œuvre d’Édith Magnan est régie par une économie matérielle et locale. L’artiste investit un espace en observant ses contraintes, ses singularités et ses avantages. À partir de ce premier examen, elle entrevoit de possibles interventions : au sol, au mur, contre le mur. Il lui faut ensuite trouver le matériau adéquat. Si l’on se concentre sur ses dernières œuvres, le matériau est unique : de la terre prélevée sur un chantier situé tout près de son atelier à Paris. À l’aide d’un seau, l’artiste ramène, petit à petit, des blocs de terre argileuse qu’elle apprivoise pour en expérimenter toutes les propriétés. Son corps va mettre en relation la terre et son environnement direct.
L’artiste remarque les silhouettes d’anciennes affiches qui couvraient les murs, et décide de s’emparer de ces cadres fantomatiques. Elle mélange du terreau et de la colle naturelle et applique la matière noire directement sur les murs (Poster – 2014). Une première intervention in-situ qui va la pousser à chercher de la terre autour de son atelier et à produire des œuvres avec un minimum de moyen. Elle ajoute à la terre de l’eau et n’utilise plus aucun liant.En séchant, la terre s’effrite, se décolle et tombe au sol. De matière solide, elle redevient sable, matière mouvante, inconstante. Édith Magnan épuise le matériau en déployant différents processus : réalisation d’une brique de terre posée au sol. La brique est surmontée d’un anneau (Notes – 2014), le regardeur est ainsi tenté d’introduire son index dans l’anneau pour la soulever, un geste innocent qui provoquerait la destruction quasi immédiate de l’objet. La brique est ensuite multipliée. Sans moule, l’artiste produit une centaine de briques soigneusement disposées au sol (173+1 – 2014). Les briques sont ensuite empilées de manière à créer un départ de mur.La manipulation entraîne une inéluctable dégradation. Très vite, elle prend conscience que le frottement des briques les unes contre les autres engendre la formation d’un sable fin, quasiment doré. En suivant le marquage quadrillé du sol de son atelier, elle remplit méticuleusement 3 carrés de terre (2014).Enfin, de façon plus invasive et radicale, Édith Magnan recouvre la totalité du sol de son atelier de terre sèche et tamisée (Rise – 2014). La circulation dans l’espace est empêchée. Seule une petite entrée dans la terre permet une projection et une expérience physique.
D’une autre manière, l’artiste fixe au mur une longue bande de terre qui semble comme suspendue dans l’espace (Line – 2014). Au fil des heures et des minutes, la matière s’égraine et se dépose sur les plinthes de l’atelier. Un peu plus loin, une série de bâtons est disposée de manière oblique entre le sol et le mur. Les œuvres sont les prémices d’architectures en devenir ou bien les résidus d’édifices évanouis. Sa pratique fait écho au minimalisme, au Land art et à la performance, les trois courants artistiques sont digérés et hybridés au profit d’un travail de sculpture spatial, corporel et éphémère. Du Land Art, elle conserve une exigence matérielle : faire avec son environnement direct, sans ajout. La manipulation du matériau unique génère une série de formes et d’objets aux contours épurés. Son œuvre comporte une dimension performative puisqu’elle met en place un dispositif non seulement lié au chantier (une somme de gestes répétés : prendre la terre, la ramener, la mélanger, la tamiser, la malaxer, la mettre en forme), mais aussi à l’espace et aux limites de son propre corps. Les œuvres éphémères résultent d’une constante interaction entre le matériau, le corps et l’espace. Sans artifice et au moyen de gestuelles précises, la terre est manipulée pour faire corps avec l’espace.
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+ EDITH MAGNAN / http://www.edithmagnan.com/