[TEXTE] JULIAN BURGOS – MUTATIS MUTANDIS [FR-ES]

LOLA, 2013 / HUILE SUR TOILE – 162 x 130 cm

LOLA, 2013 / HUILE SUR TOILE – 162 x 130 cm

La peinture de Julian Burgos est habitée par différents flux d’énergies liées à la fois au corps (celui du peintre et celui du sujet représenté) et à la matière picturale. Comme de nombreux artistes de sa génération, il se sert des moteurs de recherche pour faire surgir des images : étonnantes, anonymes, communes, distanciées, passées, présentes. Il les prélève pour constituer des séries thématiques, qui, de prime abord, peuvent sembler contradictoires : captures de films pornos, photographies de familles, images sportives, portraits individuels, paysages domestiques, reproductions de peintures anciennes. L’artiste sélectionne les images et les transpose sur la toile. La transposition n’est pas fidèle, il opère à des choix chromatiques radicaux (noir et blanc, bleu, accentuation des lumières ou bien des ombres) et à une gestuelle plurielle qui confère aux sujets à la fois une aura photographique, expressionniste, voire surréaliste. Quel que soit le sujet des photographies retenues, l’artiste concentre sa réflexion sur le corps, sa mise en scène, son apparition dans l’espace de la peinture, ses mouvements et sa carnation. Il procède ainsi à une remontée de l’image en travaillant différents plans. À l’arrière-plan, l’image originale apparaît sous une nouvelle apparence, elle est rapidement brossée, quelques détails sont rendus visibles. Peu à peu, par ajouts successifs de gestes, Julian Burgos nous fait saisir la matérialité de l’image. Au premier plan surgissent des touches épaisses, des signes (des lettres, des chiffres ou des symboles), des formes géométriques ou encore des matériaux comme un pantalon plié ou du crin. De l’image originale rendue méconnaissable et fantomatique, il fait jaillir le réel de l’atelier : un espace quotidien dédié à l’expérimentation. Alors, rien n’est systématique, sa peinture est en mouvement constant. Elle n’est jamais figée. Tant que les toiles restent à l’atelier, Julian Burgos intervient sans cesse sur leurs compositions en ajoutant de la matière et de nouveaux gestes.

SANS TITRE, 2015 / HUILE SUR TOILE – 146 x 97 cm

SANS TITRE, 2015 / HUILE SUR TOILE – 146 x 97 cm

Les figures sont sujettes à ce mouvement qui va engendrer une transfiguration des corps, à leur défiguration ou encore à une forme d’hybridation entre l’humain et l’animal, entre l’abstrait et le figuratif. En 2014, il revisite l’histoire de la peinture en sélectionnant des œuvres de Goya, Vélasquez, Poussin ou encore Fragonard. Les sujets sont d’abord peints d’une manière fidèle, puis l’artiste s’octroie une liberté de gestes, de couleurs et de matières. Comme Oscar Murillo, Laura Owens, Michaela Eichwald ou Guillaume Pinard, Julian Burgos s’inscrit dans l’héritage de la bad painting. Il fait surgir des signes et accentue le caractère rapide et intuitif de ses gestes de zones précises : les visages, les mains, les jambes. Qu’il s’agisse d’une infante de la cour espagnole, d’une actrice de film X, d’un tennisman ou d’une grand-mère, les images partagent l’anonymat, le ravage et la blessure. Les interventions primaires transforment les corps et installent un travail du mouvement qui structure son rapport à la représentation humaine. Ce mouvement, inhérent à sa peinture, génère à la fois la défiguration et la réparation de l’image. Là, ce sont les figures d’Edward Munch, Francis Bacon, Lucian Freud, Jenny Saville ou encore de Marlène Dumas qui viennent habiter sa famille picturale. À propos de l’œuvre de Francis Bacon, Michel Leiris écrit : « Essayer de transcrire une présence vivante et de la transcrire comme telle sans laisser échapper cette vie qui lui est essentielle, c’est chercher à la fixer sans la fixer, s’efforcer paradoxalement de fixer ce qui ne peut pas et ne doit pas être fixé, car le fixer c’est le tuer ! »[1]

PERRIER, 2015 / HUILE SUR TOILE - 210 x 140 cm

PERRIER, 2015 / HUILE SUR TOILE – 210 x 140 cm

Julian Burgos nourrit une relation convulsive à l’histoire de la peinture et aux images. Il en extirpe des traductions directes et différées pour opérer à une appropriation et à une forme de réconciliation avec elles. La défiguration engendre la transfiguration (au sens chamanique du terme), la métamorphose de l’image. Celle-ci traverse différents filtres, celui de l’écran, de la peinture, de son histoire et celui du rapport physique que l’artiste entretient avec elle. Il injecte en chacune de ses œuvres une énergie vitale, charnelle, troublante et puissante. Francis Bacon disait que le plus important pour un artiste est de savoir « saisir ce qui ne cesse de se transformer ».[2] En établissant des passages entre le passé et le présent, entre ce qui nous est familier et une forme d’inquiétante étrangeté, Julian Burgos travaille les représentations de la nature humaine : ses éclats comme ses profondeurs.

Julie Crenn, juin 2016

——————————–

[1] LEIRIS, Michel. Francis Bacon, face et profil. Paris : Albin Michel, 2004, p.20.

[2] ARCHIMBAUD, Michel.  Francis Bacon, entretiens avec M.Archimbaud. Paris : JC Lattès, 1992, p.124.

Spanish version /

La pintura de Julián Burgos está recorrida por diferentes flujos de energía ligados tanto al cuerpo, el del pintor y el del sujeto representado, como a la materia pictórica. Como numerosos artistas de su generación utiliza motores de búsqueda para hacer surgir imágenes sorprendentes, anónimas, comunes,  alejadas, pasadas, presentes. Las toma para constituir series temáticas que, en un principio, pueden parecer contradictorias: fotogramas, capturas de pantalla de películas porno, fotografías de familia, imágenes deportivas, retratos individuales, paisajes domésticos, reproducciones de pinturas antiguas. El artista selecciona las imágenes y las transpone al lienzo.La transposición no es fiel, opta por alternativas cromáticas radicales (negro y blanco, azul, acentos luminosos o sombras)  y por una gestualidad plural  que confiere a los  sujetos una aura  que es simultáneamente fotográfica, expresionista, hasta surrealista podría decirse. Independientemente del tema de las fotografías elegidas, el artista concentra su reflexión en el cuerpo, en la puesta en escena, en la manera como aparece en el espacio de la pintura, en sus movimientos y en su carnación. Procede así a una genealogía de la imagen trabajando diferentes niveles.  En segundo plano, la imagen original adquiere una nueva apariencia, es pintada rápidamente, algunos detalles se hacen visibles. Poco a poco, añadiendo sucesivamente gestos, Julián Burgos nos permite captar la materialidad de la imagen. En primer plano aparecen gruesas pinceladas, signos (letras, cifras o símbolos), formas geométricas y llega a incluir objetos como un pantalón doblado, o crin.  De la imagen original convertida en algo irreconocible y fantasmático, hace surgir lo real del taller: un espacio cotidiano consagrado a la experimentación. En consecuencia nada es sistemático, su pintura es movimiento constante. Nada es fijo mientras los lienzos no salgan del taller. Julián  Burgos interviene incesantemente sus composiciones añadiendo materia y nuevos gestos.

Las figuras están sujetas a un movimiento que va a engendrar una transfiguración de los cuerpos, su desfiguración, inclusive una forma de hibridación entre lo animal y lo humano, entre lo abstracto y lo figurativo. En 2014, pasa revista a la historia de la pintura y selecciona obras de Goya, Velásquez, Poussin, inclusive Fragonard. Los temas son abordados de manera fiel, luego el artista se otorga una libertad de gestos, de colores y de materiales. Como Oscar Murillo, Laura Owens, Michaela Eichwald o Guillaume Pinard, Julián Burgos se inscribe en la herencia de la bad painting. Hace surgir signos y acentúa el carácter rápido e intuitivo de sus gestos en zonas precisas: los rostros, las manos, las piernas. Que se trate de una infanta de la corte española, de una actriz de película porno, de un tenista o de una abuela, las imágenes comparten el anonimato, el deterioro o la mutilación. Las intervenciones primarias transforman los cuerpos  e instalan una dinámica de movimiento que estructura su relación con la representación humana. Este movimiento, inherente a su pintura, genera a la vez la desfiguración y la reparación de la imagen. En este caso son las figuras de Edward Munch, Francis Bacon, Lucian Freud, Jenny Saville o Marlène Dumas que vienen a residir con su familia pictórica. A propósito de la pintura de Francis Bacon, Michel Leiris escribe: “ ¡Tratar de trascribir una presencia viva y hacerlo sin dejar escapar esa vida que le es esencial, es buscar fijarla sin fijarla, esforzarse paradójicamente en fijar lo que no puede o no debe ser fijado, porque fijar es matar!”

Julián Burgos mantiene una relación convulsiva con la historia de la pintura y  con las imágenes. Realiza traducciones directas y diferidas para operar una apropiación y una forma de reconciliación con ellas. La desfiguración engendra la transfiguración (en el sentido chamánico del término), la metamorfosis de la imagen. Esta atraviesa diferentes filtros: el de la pantalla, el de la pintura, el de su historia y el de la relación física que el artista mantiene con ella. Inyecta en cada una de sus obras una energía vital, carnal, perturbadora y poderosa. Francis Bacon decía que lo más importante para un artista es saber “captar lo que no deja de transformarse” . Al establecer vínculos entre el pasado y el presente, entre lo que nos es familiar y una forma inquietante de lo extraño, Julián Burgos trabaja las representaciones de la naturaleza humana, sus estallidos como sus profundidades.

Julie Crenn, Juin 2006

———————-

LEIRIS, Michel. Francis Bacon, face et profil. Paris, Albin Michel, 2004, p. 20.

ARCHIMBAUD, Michel. Francis Bacon, entretiens avec M. Archimbaud. Paris, JC Lattès, 1992, p. 124 .


JULIAN BURGOS

Un commentaire

  1. Ping : À Paris comme à Mexico (OK – manque juste le dessin de Fab terminé) – Les Croqueuses de Paris

Laisser un commentaire

Ce site utilise Akismet pour réduire les indésirables. En savoir plus sur la façon dont les données de vos commentaires sont traitées.